Karak Vanne, signé Arzhiel
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Karak Vanne, signé Arzhiel

Forum de l'oeuvre littéraire d'Arzhiel.
 
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 La Saison 5

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Skalli
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MessageSujet: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMar 22 Déc - 21:55

Le Trailer de la Saison 5

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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 6 Jan - 12:24

Episode 121 – La Légende


- « Fier seigneur de guerre nain, noble héritier et sage maître de Karak, ces colossales forteresses naines, Arzhiel fut banni par les siens pour avoir préféré son amour envers la sorcière elfe Elenwë qu’il épousa aux poids des traditions de son peuple. Il fut banni avec une poignée de fidèles et loyaux compagnons avec lesquels il vécut de grandioses et chevaleresques aventures, la plus commune… »
- « Non, c’est chiant, » coupa Arzhiel depuis son trône, le regard dans le vide. « C’est naze, c’est pas accrocheur, on s’emmerde déjà ! C’est nul votre truc de légende à écrire, ça donne juste envie de roupiller dès le premier couplet ! »
- « C’est un premier jet… », balbutia le scribe elfe. « Monseigneur désire-t-il aborder le sujet de manière moins péremptoire et directe ? »
- « Y a ça aussi. Vous savez pour qui vous l’écrivez votre légende ? Vos loyaux compagnons, c’est les moins débilos de mon peuple et c’est qu’un ramassis de bras cassés et de cerveaux foulés. Si vous utilisez des mots comme ça, c’est pas au premier couplet qu’ils vont pioncer, c’est au titre. »
- « Seigneur Arzhiel n’est pas encore très en phase avec l’idée de retranscrire le récit de son règne, » expliqua Garfyon, son ministre à ses côtés, à l’elfe dérouté. « Poursuivez, mon brave, nous aurons une meilleure vue d’ensemble de vos écrits en écoutant le reste. »
- « Bien, alors là j’enchaînais avec une description de quelques-unes de vos quêtes euh…je vais passer directement à vos compagnons puisque vous y faîtes référence. Tout d’abord, votre épouse, grande sorcière délivrée durant une quête de jeunesse et qui vous valut d’être banni par les vôtres. »
- « On n’écoute pas ses parents et paf ! » commenta Arzhiel. « On fait une connerie et on morfle sur deux siècles au moins. »
- « Donc de votre amour passionné naîtra Vorshek, votre héritier aujourd’hui âgé d’une cinquantaine d’années, juste un adolescent. »
- « Une seconde connerie et on rajoute un siècle à la punition », marmonna le nain. « Ah, et puis rayez amour machin-chose. J’ai déjà elfe dans la phrase précédente, je vais encore passer pour une fiotte. »
- « Soit », corrigea le scribe. « Je ne vais peut-être pas non plus faire mention de votre politique progressiste et ouverte issue de votre mariage avec une autre race qui permet aujourd’hui aux elfes et aux nains de vivre en harmonie au Karak. »
- « Deux bastons communautaires par semaine, c’est une vision un peu trop féérique de l’harmonie, en effet. »
- « Ensuite, vos alliés »…dit l’elfe en cherchant dans ses parchemins, un peu nerveux. « Brandir, le chef de vos guerriers, courageux berserker, marié et père d’une naine nommée Gonzague. »
- « C’est une brute rustaude et arriérée, ivrogne, incompétente dont la seule passion est la lecture du menu du prochain repas ! » intervint Garfyon d’un ton cassant.
- « Pas mieux, » fit Arzhiel en haussant les épaules. « Sauf qu’il ne sait pas bien lire en fait ».
- « Hjotra, votre fidèle ingénieur, toujours gai et insouciant, inventeur des célèbres golems de combat et très grand amoureux de la faune de tout horizon ».
- « Le boulet suprême », souffla le seigneur de guerre, désolé. « Là vous avez le haut du panier des demeurés, l’élite de l’élite des ânes bâtés, le naze dans toute sa prestance et sa splendeur. Attention, je ne vous parle pas du crétin du quartier qui ricane en coursant les poules, un doigt fourré dans le nez. Hjotra, c’est de la bête de concours, l’ahuri frappé par l’illumination du dieu des bouffons. Il est le meilleur dans le pire. Rajoutez aussi qu’il a peur des enfants et que son invention miracle, les golems, il en a paumé les plans et oublié ses secrets de fabrication. Ça lui fera bien les pieds, il a encore dévasté la cantine en libérant par maladresse sa meute de loups apprivoisés lors de l’anniversaire de Svorn. Svorn a passé six semaines à l’infirmerie, c’était marrant, mais j’ai douillé pour les réparations. »
- « Svorn, justement ! » rebondit le scribe. « Svorn est votre prêtre, serviteur des dieux, vidame de votre temple et de la religion au Karak. C’est exact ? »
- « Crotte, j’aurais du garder des adjectifs pour Svorn. Ah ben, mettez crotte pour sa description, c’est très bien. Svorn est un fanatique fou furieux, raciste, fan de bûchers et il ne s’arrange carrément pas avec l’âge. Une fois, il m’a renversé…non, mais renversé pour prendre le pouvoir, pas physiquement. Effacez-moi ce dessin, bougre d’imbécile, on dirait qu’il me culbute, c’est dégueulasse. Vous croyez que je ne souffre pas suffisamment marié avec une elfe ?! »
- « Quelle divinité sert Svorn ? » demanda le scribe en gommant. « Ce détail n’est pas très clair dans les archives. »
- « Au début, il courait pour Gazul, le dieu des Morts. Faut dire aussi qu’une fois banni, c’est pas évident de trouver un dieu un peu propre et qui vous accepte sans vous demander de lui sacrifier des chèvres et des marmots tous les dimanches. Après avoir quitté notre monde d’origine qui plongeait dans le chaos, on s’est établis dans le coin où Gazul n’existait pas et Svorn s’est converti au Protecteur. Il a un peu adapté le culte à sa sauce pour le rendre plus croustillant avec tortures et génocides de non-nains, mais en général, ça ne craint pas trop. Hein ? Pourquoi vous faîtes cette tronche ? J’ai dit qu’on venait d’un autre monde ? Ah, c’est vrai que ça doit rester secret pour ne pas affoler le peuple…Qu’est-ce qu’on fait Garfyon maintenant qu’il est au jus? On le bute et on recrute un autre scribe ? »
- « Seigneur, ça fait tout de même le troisième ce mois-ci… »

Les deux nains tournèrent un regard grave vers l’elfe qui se décomposait, puis éclatèrent d’un rire gras.

- « On plaisante ! » s’exclama Arzhiel. « On s’en fout pas mal que la nouvelle se répande maintenant. On est dans la place depuis trop longtemps. Tout le monde s’en secoue le coquillard. »
- « Haha », ricana jaune l’elfe. « Monseigneur est aussi taquin. En parlant d’humour, j’ai su que dans vos riches aventures, vous avez également compté un humain dans vos rangs, Ségodin. »
- « Ségodin, il est tout vioque maintenant, il sucre les fraises. D’ailleurs, il les sucrait aussi avant. C’était un paladin à ce qu’il disait, on n’a jamais eu de preuve. Précieux, empoté, lamentable, mettez-le dans la colonne boulet lui aussi. Il était amoureux d’Elenwë et m’a juré loyauté pour elle. Au final, il a épousé Doreen, une voleuse, menteuse, tricheuse qui nous a collé aux basques quand on a dérouillé Gudrid. »
- « Gudrid ? » répéta le scribe en réfléchissant. « Ne s’agissait-il pas de l’ancien maître de ce Karak, chassé, et qui avait enlevé Rugfid, le cousin de monseigneur afin de l’entraîner dans un piège mortel ? »
- « En gros, c’est ça. Il nous a un peu cassé les bonbons un moment, mais comme c’était une brêle, on s’en est débarrassé. Garfyon était son ministre avant d’être le mien. Ça remonte à un demi-siècle quand même, vous pensez que ça va intéresser les gens ? Parce que dans le détail, c’était pas épique du tout. C’était même carrément déplorable. Il va falloir sacrément broder pour que la plèbe lise ça. »
- « Vous sous-estimez votre héroïsme. Vous avez sauvé votre cousin à deux reprises si je ne m’abuse, à chaque fois contre des ennemis dangereux et terribles comme Gudrid ou le gnome Teclan qui voulait dominer le pays grâce à un artefact démoniaque. »
- « Mais tourné comma ça, on dirait que j’aime mon cousin ! C’est plus de la féerie à ce niveau, c’est du délire fantasmagorique ! Mon cousin est un alcoolo abruti et kleptomane. Il tient une taverne du quartier des marchands « La vérité est au fond du godet », ça veut tout dire. Vous notez ça aussi ? J’imagine déjà la tronche de l’histoire avec ce genre de personnages. Bah, au pire, on changera mon nom dans la version officielle. C’est encore un coup à se faire bannir par les dieux, une lose pareille. »
- « La confiance que mon seigneur démontre envers mes talents de scribe réchauffe mon cœur », déclara l’elfe sans lever les yeux de son parchemin. « J’ai aussi une question à propos des Archanges. Il s’agirait d’une sorte de…secte, groupe, ou club de loisir selon votre épouse, composé de seigneurs dans le but de collectionner d’après elle des…rames ? Ce n’est pas très clair… »
- « Comme si je galérais déjà pas assez…Plus jamais vous interrogez mon épouse, d’accord ? Les Archanges étaient un groupe de faucheurs élus des dieux de la mort pour récolter les âmes des tocards des équipes d’en face. C’était fendard jusqu’à ce que les dieux nous trahissent et nous exterminent un par un… »
- « Et comment avez-vous survécu ?! »
- « On s’est barrés », répondit Arzhiel en souriant. « On a mis les voiles pour un autre monde, celui-ci où on a récupéré le Karak de Gudrid pour remettre en place une nouvelle boutique. Je ne sais pas ce qu’il est advenu des copains. J’imagine qu’ils vont bien aujourd’hui ou alors ils sont tous claqués. Essayez de ne pas trop les faire passer pour des rigolos, ils n’étaient pas tous complètement tarés et je leur dois bien ça pour les avoir abandonné et avoir survécu à leur place. Surtout lui, là, il était sympa…Si, le grand qui sentait fort, un orc ou un métis sanglier, je ne sais plus. C’était comment déjà ?...Et puis la chef, une drow chaudasse pire que ma femme…Bon, on s’en fout des noms, vous n’aurez qu’à inventer ou choisir les noms de vos gamins.»

Le scribe tendit un sourire amusé à son seigneur jusqu’à ce qu’il se rende compte que le nain était sérieux.

- « Je crois que j’ai tout ce qu’il me faut pour commencer mon travail », déclara-t-il, un peu perdu dans ses notes. « Je vais devoir étudier tout ça et réviser les anciens rapports de missions. Voyez-vous autre chose à ajouter ? »
- « J’ai rien en tête hormis bon courage et cassez-vous maintenant. J’ai une séance d’écartelage et l’inauguration de la nouvelle cantine. Et faîtes gaffe à ce que vous allez écrire parce qu’à part devenir la risée du continent, je ne vois pas très bien comment je pourrais m’en sortir à la publication de nos vieux exploits. Moi je dis ça, c’est surtout pour vous. Je trouverais ça cruel de vous ordonner une biographie de Hjotra en punition. Cruel, mais juste. »

Le scribe acquiesça courtoisement et s’empressa de partir en toute hâte avec tous ses parchemins.

- « Dîtes, seigneur », demanda Garfyon. « Ça ne vous rend pas nostalgique le souvenir de toutes vos péripéties ? Vous ne voudriez pas repartir demain à l’aventure ? »
- « Je suis trop vieux pour faire le zouave dans les donjons et battre la campagne avec mon équipe de boulets. Ce ne serait ni raisonnable, ni crédible. C’est fini, ce temps-là. Il faut tourner la page…Allez, au boulot ! On a du nain sur la planche aujourd’hui ! »

Le nain se leva de son trône et se dirigea vers la sortie.

- « Je reporte l’écartelage et annule l’inauguration », dit Garfyon en le voyant faire. « Vous voulez que j’aille vous faire récupérer à quelle heure ce soir au troquet de votre cousin ? »
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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 6 Jan - 12:24

Episode 122 – Kikimou et les oreilles des non-humains

Arzhiel déambulait dans les couloirs du Karak, un tas de tablettes officielles gravées sur les bras, plongé dans ses pensées. Sentant une présence à ses côtés, il leva les yeux de sa lecture et sursauta vivement en voyant Brandir émerger de la pénombre.

- « Ah ! Vous m’avez fait peur ! »
- « Vous ne m’aviez pas vu ? »
- « Si, si. Mais c’est votre physique pas facile. Instinctivement, ça fiche la frousse. »
- « Qu’est-ce que vous essayez de me dire ?
» demanda le berserker intrigué.
- « Ben, que vous avez un physique plutôt ingrat. »
- « Ingrat ? Je ne connais pas le mot. Ça a un rapport avec mon bide ? »
- « Votre bide ? Oui, c’est ça. Arrêtez de bouffer, vous collez les miquettes à tout le monde.
»

Le seigneur tourna les talons et s’éloigna, laissant Brandir tout penaud et pensif. Ce dernier rattrapa néanmoins son chef plus loin, sur le seuil de la salle du trône.

- « Attendez, seigneur ! J’ai un message important des sentinelles ! »
- « Oui, mais moi aussi
», soupira le nain. « C’est non ! Pour la douzième fois, non, je n’ai pas envie de parrainer leur loto annuel. J’en ai rien à secouer et j’ai d’autre chose à glander que me coltiner une soirée avec des soiffards rustauds déguisés en chauve-souris pour gagner une mâchoire de troll pleine de caries bien crades comme l’an passé ! »
- « Non, mais ils ont arrêtés les déguisements. Les bouseux de la vallée ont paniqué en voyant les costumes, ils ont cru à une invasion de vampires et même si la bataille rangée improvisée contre les paladins était sympa, les copains gardent un très mauvais souvenir de votre punition. »
- « C’était laquelle déjà ? »
- « L’obligation d’assister à une séance de poésie de Dame Elenwë. On en a perdu un bon tiers ce jour-là. »
- « Super. Je suis content d’avoir pu parler avec vous, Brandir, vraiment. Cassez-vous maintenant. Marchez une heure tout droit. Voilà. C’est bien. Enfin, tout droit, c’est une expression, faîtes gaffe aux murs quand même. C’est chiant à éponger le sang après… »
- « Non, mais j’ai vraiment un truc important à vous dire !
insista Brandir en rebondissant contre la paroi. »
- « Seigneur ! » beugla Hjotra à travers le couloir. " Un message important ! »
- « Vous aussi vous portez les messages vous à présent ? »
- « J’ai paumé mon travail d’appoint aux étables, soi-disant que je sympathisais trop avec les porcs et que je passais mon temps à discutailler des plombes avec eux durant mon service. J’ai un message de la tour ouest. »
- « Hé !
» protesta Brandir. « Moi d’abord ! Moi aussi j’ai un message pour le seigneur ! »
- « Oh, vous êtes là vous ?
» ricana Hjotra. « Je ne vous avais pas vu, vous étiez de dos. Euh…Vous voulez que j’ailler chercher ma masse ? Sans critiquer, l’assaut frontal sans outil, c’est pas l’idéal pour abattre un mur. »
- « Après. Le seigneur doit lire mon message avant. »
- « Certes, mais il le lira après le mien. »
- « Le mien est éminemment important, même si je ne sais pas du tout écrire ce mot ! »
- « Le mien est urgent ! »
- « Comment allons-nous décider quel message sera lu en premier ? »
- « Hum…On ne peut pas régler ça au solitaire puisqu’on n’a pas de dés…La bataille navale, ce serait trop long de construire douze navires…Le jeu du « je-te-tiens-par-la-barbichette », c’est mort, je réussirais jamais à m’empêcher de rire avec votre face de pitre frappé par la grâce sous le pif… »
- « Un bras de fer ?
» proposa Brandir. « Mais il faudrait que je maigrisse de cinquante kilos pour entrer dans votre catégorie…Un concours d’énigmes, c’est pas possible vu que j’arrive déjà pas à me rappeler les énoncés… »
- « Et qu’on comprend que dalle aux réponses ! »
- « Je ferai bien une course d’endurance à travers la montagne et sur trois jours, mais déclenchez accidentellement deux avalanches coup sur coup avec un seul rot en altitude et la guilde des trappeurs vous coupe l’accès aux cols à vie, plus celle de votre descendance. Que faire ? »
- « Et si on demandait au chef ?
» proposa Hjotra. « Seigneur ! Seigneur ? Il s’est barré là non ? Que personne ne bouge ! Ou il a pris mon parchemin ou j’ai réussi à le paumer alors que je le tenais dans la main et je suis bon pour aller supplier le maître des porcheries de me rendre mon taf. »
- « Mon message aussi s’est fait la malle. Il disait quoi le vôtre ? »
- « Je crois que ça parlait d’un marchand de chèvres…ou bien d’un fabricant de sarbacanes. C’est pas très clair, mais je suis à peu près certain que ça n’avait aucun rapport avec les ovipares. »
- « C’est vous la chèvre qui n’êtes pas très clair, mon pauvre
», commenta Arzhiel en ressortant de la salle du trône. « Vos missives, c’est pour m’annoncer l’arrivée des seigneurs Grossignol et Kikimou, ahuris. Allez me chercher Garfyon au lieu de polluer le seuil de ma porte. Et trouvez-vous un vrai boulot où vous faîtes au moins illusion de compétence, duo de pignoufs ! »

Brandir et Hjotra déguerpirent en s’interrogeant ardemment sur l’intérêt du conseil de leur seigneur de suivre un enseignement de magie illusoire. Garfyon arriva peu après, escortant les deux seigneurs voisins. Grossignol était un elfe avec un large embonpoint vêtu d’une tunique chatoyante brodée de dizaines d’oiseaux. Kikimou qui le suivait de près, était un humain trapu et maigrelet au regard fuyant et aux cheveux gras. Arzhiel les accueillit et les fit installer à la table des négociations après un rapide examen qu’il conclut d’un soupir las et d’un bref haussement d’épaules.

- « Seigneurs, salutations ! » clama Garfyon avec enthousiasme. « C’est un honneur et un plaisir de recevoir nos voisins au sein de notre Karak. Arzhiel et moi-même… »
- « Euh, seigneur Arzhiel !
» le coupa le chef de guerre. « Respectez le grade, mon petit pote. C’est quoi ce genre ? On dirait deux copines qui reçoivent leurs cousines. »
- « Seigneur Arzhiel et moi-même sommes à votre disposition
», toussota le ministre. « Que pouvons-nous faire pour vous ? »
- « Oui, enfin, on dit à votre disposition mais pas trois jours et pas pour des broutilles non plus. C’est comme pour le protocole. Je vous reçois au Karak par politesse, mais au moindre signe de tiraillement au niveau de l’entrejambe, je vous expédie vers la sortie dans la seconde. J’ai un vrai boulot, moi. »
- « Mais qu’est-ce qui vous arrive ?
» s’offusqua Garfyon. « Vous êtes mal luné ou vous avez dormi avec votre épouse ?! »
- « Non, c’est bon, c’est pour moi, je la ferme
», s’excusa Arzhiel. « J’ai croisé deux piments avant de venir, ça m’a mis mécaniquement les nerfs. Mais roulez, mon vieux. »
- Je peux aisément comprendre l’embarras de sa seigneurie
», intervint Grossignol. « Cette entrevue inopportune est déplacée et grotesque, mais nécessaire, je le crains. »
- « Quel est le souci ?
» s’enquit Garfyon.
- « Il veut me cramer », répondit l’elfe en désignant Kikimou.
- « Je veux le cramer », confirma celui-ci.
- « Le cramer lui perso ? »
- « Lui, sa famille, son peuple, ses bois et toute la clique. Je m’en fous, je crame tout. »
- « Ah ben voilà !
» s’exclama Grossignol. « On ne peut pas discuter. Du coup, on vient vous demander de trancher la question en tant que partie neutre du contentieux. »

Arzhiel et Garfyon échangèrent un regard perplexe.

- « Vous savez », fit Arzhiel en cherchant discrètement à tâtons sa hache sous la table, « la neutralité est une notion bien vague, en particulier chez les nains qui manquent autant de patience que de tolérance ou de temps libre. Des nains avec des responsabilités et du travail, par exemple. »
- « Essayons de bien cerner l’ensemble du problème
», déclara Garfyon en se tournant vers Kikimou. « Pourquoi voulez-vous décimer vos voisins elfes ? »
- « Mais ce sont des non-humains, voyons ! Regardez-les ! Ils vivent dans les bois, ils fument des feuilles et broutent des écorces et…et ils ont des oreilles pointues ! »
- « Ben quoi, moi aussi elles sont un peu pointues mes oreilles et je suis non-humain
», lança Arzhiel. « Non parce que si vous nourrissez des projets pyromanes pour ma montagne une fois que vous aurez pourri les elfes, je vous attends avec vos trois fanatiques pelés tout moisi. Avec le matos planté sur les murailles et les copains mêmes sobres, j’ai de quoi vous les tailler aussi en pointes les oreilles et le reste en bonus ! »
- « Je vous remercie de votre soutien franc et spontané !
» jubila Grossignol en se grattant la panse.
- « Je vous arrête tout de suite, la bedaine. Si j’ai donné l’impression d’avoir le moindre sentiment de sympathie envers un coureur des bois mâcheur de racines, sachez que je préfère encore voir l’autre peau-de-cochon vous calciner le bosquet que laisser croire que je vous soutienne. »
- « Euh, sire…
» marmonna Garfyon. « S’il vous plait… »
- « Ahem, oui, je m’emporte. C’est la paix qui me tient tellement à cœur, vous comprenez. »
- « Acceptez-vous donc de prendre une décision pour résoudre ce conflit alors ?
» demanda Grossignol.
- « Comme je viens de le dire, la paix me tient à cœur. J’en ai rien à carrer de vos embrouilles. Démerdez-vous et foutez le camp de mon Karak. »
- « Ce que mon bourrin…euh, bourru de père veut dire, c’est qu’il a besoin de davantage de réflexion et de recul pour vous soumettre une réponse.
»

Les têtes se tournèrent vers le jeune elfe blond en tenue princière qui se tenait sur le pas de la porte et qui s'avança vers le groupe d’une démarche altière et légère. A la vue de l’adolescent éphèbe, Kikimou grogna, Grossignol se massa le téton, Garfyon soupira de soulagement et Arzhiel se crispa en mâchouillant sa barbe.

- « Seigneur Vorshek ! » s’exclama Garfyon en tirant une chaise pour inviter le fils du chef du Karak à se joindre à la négociation.
- « Encore un elfe ! » protesta Kikimou. « Il ne peut émettre un avis impartial. »
- « Moi non plus, mais il ne fallait pas venir ici dans ce cas !
» ronchonna Arzhiel.
- « Seigneur Kikimou », fit Vorshek d’un ton posé. « Quel grief entretenez-vous envers votre voisin sylvestre ? »
- « A part le truc des oreilles, hein. »
- « Mais je n’ai rien contre eux. Ce sont des non-humains et mon dieu m’a demandé de les crever. Je ne fais que mon boulot, ce n’est en rien personnel. »
- « Votre dieu, c’était pas celui des moissons et des farandoles ?
» interrogea Arzhiel.
- « L’an passé si, mais là on a changé. On a pris le dieu des calamités et des fléaux en version d’essai pour deux saisons. Le prêtre nous a fait un prix, on ne paye qu’un mois sur deux et il nous offre des toges avec des cagoules en pointes vachement tendance à la capitale. »
- « Livrez-nous ce prêtre et abandonnez son culte belliqueux
», proposa Vorshek. « On vous retrouve un prêtre du dieu des moissons et un autre de la déesse de l’abondance en prime. En réparation des torts causés à Grossignol, vous lui cédez le marais blafard. En retour, le Karak ouvre un comptoir dans votre ville et vous reverse un pourcentage de ses bénéfices. Et pour le règlement de ce conflit, notre communauté demande le droit de passage des bois du seigneur Grossignol jusqu’au Gué de la Hyène Sautillante pour nos convois mensuels vers les ports du sud. Qu’en pensez-vous ? »

Le jeune elfe tendit un sourire charmeur en direction de chaque participant. Garfyon applaudit doucement en gloussant de joie. Grossignol se pinça dans les replis intimes de sa personne pour manifester son accord, Kikimou acquiesça d’un vif hochement de tête silencieux et Arzhiel se contenta d’un fin sourire en se rejetant au fond de sa chaise. Le seigneur nain laissa son fils entériner les nouveaux traités en les couchant sur parchemin et sur tablettes de granit, puis raccompagner les deux seigneurs voisins jusqu’aux portes du Karak où il le retrouva.

- « Un conclusion profitable à tous, n’est-il pas, père ? » demanda le jeune héritier.
- « En effet. Enfin, surtout pour nous qui gagnons beaucoup sur un investissement quasi nul. »
- « Nous avons rétablis la paix et encouragé le commerce. Je ne trouve pas que notre aide puisse être qualifiée de nulle. »
- « Ceci, c’est à vous de me le dire fils. Combien avez-vous payé Svorn pour qu’il aille louer son culte de déglingués fanatiques aux humains de Kikimou ? »
- « Oh, vous étiez au courant de la manœuvre ?
» sourit le demi-elfe.
- « Non, mais j’ai vite fait le rapprochement. C’était fourbe, couillu, dénué de scrupule et curieusement familier. J’ai tout de suite reconnu le style de votre mère. »
- « Nous aurions besoin de fonds pour renforcer nos troupes et le conseil des guildes est réticent à financer notre armement. Il me faudrait provoquer les orcs des collines pour que leurs tribus lancent quelques raids sur la plaine, mais j’ignore comment y parvenir. Auriez-vous une idée ?
»
- « Mon goût pour la thune et l’esprit tordu et machiavélique d’Elenwë », commenta Arzhiel, presque ému. « Vous serez un grand seigneur, fils. Allez, stop aux câlins, on n’est pas des elfes ! Enfin, que 25% d’entre-nous deux. Pour votre plan avec les orcs, j’ai le candidat idéal : rustre, manipulable, inconscient et plus anti-orc que ma hache. Suivez-moi, Brandir doit être à la taverne à cette heure-ci. »
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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 6 Jan - 12:25

Episode 123 – Les Nouveaux Aventuriers


Recroquevillé dans un coin sombre et humide de la caverne empestant la bête, Vorshek leva lentement les yeux de son grimoire pour observer le troll musculeux et nerveux qui faisaient les cent pas devant l’entrée. La créature grogna, soupira, se mâchouilla plusieurs doigts et s’aperçut que le demi-elfe l’observait. Agitant son gigantesque gourdin, elle avança vers lui en grimaçant. L’héritier du Karak se plaqua contre la paroi.

- « C’est juste pas possible, Vorshek ! » gronda le troll en tapant du pied. « Franchement, je crois que je vais laisser tomber. Ça ne va pas le faire. »
- « Qu’est-ce que tu racontes ? » répondit le magicien en refermant son livre. « Quel est le problème ? »
- « Mais ton histoire d’enlèvement par un méchant troll des cavernes, c’est du vu et revu ! On n’y croit pas une seconde ! Et regarde comment tu m’as attifé ! C’est d’un cliché ! Déjà le pagne dégueu comme seule fringue, je ne suis pas super fan. Avec les courants d’air, je ne te raconte pas comment je me pèle les miches ! »
- « C’est pour faire plus authentique. Mais tu peux enlever le collier en crâne d’humains si tu veux, c’est vrai que c’est un peu trop tape-à-l’œil. »
- « Mais c’est pas que ça », ronchonna le monstre en ôtant son pendentif. « J’ai même pas le droit à un futal ou une armure et je me bats avec un bout de bois. Je peux aller chercher ma hache chez mon beau-frère, c’est à deux cols d’ici, je suis de retour dans une heure ! »
- « Non, les soldats de mes parents peuvent débarquer à chaque instant et j’ai besoin de donner le change avec un ravisseur de taille. Non, je dis de taille, mais sans rapport avec la hache, détends-toi. Le but c’est de leur faire croire qu’on m’a enlevé, pas de débiter du nain à la chaîne. C’est quand même mes sujets aussi. »
- « Mais c’est pas crédible », pesta le troll en se grattant. « Regarde ce trou ! On se pèle et ça daube ! Viens renifler mon pagne ! Il est imprégné de cette odeur de charogne. »
- « Merci, mais non merci », répondit Vorshek avec un sourire poli. « Ecoute, mon guide devrait arriver bientôt. C’est un rôdeur, un ami d’enfance de confiance. Dès qu’il est là, je pars avec lui et je te donne l’or promis. »
- « Et si tes copains nabots arrivent avant ? » s’inquiéta la bête en se rongeant les griffes.
- « C’est là que tu interviens. Je doute que les pisteurs de mon père soient assez doués pour me retrouver ici, mais au cas où, tu cries un peu, tu rugis, tu les pousses avec ton gourdin et moi, je sauve la face en t’endormant avec un sort dans le dos. Je m’arrangerai pour qu’on t’épargne et je rentrerai au Karak, tant pis. Le timing est serré, mais c’est jouable. »
- « Dire que je suis obligé d’accepter ce genre de boulot à cause de la naissance de mon douzième fils et parce que j’ai perdu mon poste de massacreur dans cette petite horde familiale pourtant pleine d’avenir, mais bouffée par la concurrence ! C’est vraiment la crise ! Pourquoi tu as fugué, toi ? Tu es prince pourtant. »
- « Je rêve d’une ville étrangère, d’une ville de filles et de jeux », chantonna le demi-elfe devant le troll perplexe. « Je veux vivre d’autre manière, dans un autre milieu. »
- « Qu’est-ce qu’il tricote ton copain ?! » gémit le troll en jetant un œil dehors. « J’ai la peau toute sèche avec ce froid. Là, voilà ! J’ai les pustules qui craquèlent, bravo ! »
- « Bougre de bigre de manche de bouc ! » jura une voix à l’entrée de la grotte.

Une jeune naine couverte de neige brandissant une hache à double tranchant se tenait sur le seuil, hypnotisée par la vue du troll gigantesque.

- « Gonzague ?! » la reconnut Vorshek, entre stupeur et déception. « Mais qu’est-ce que tu fiches là ?! »
- « Prince Vorshek ? J’ai rejoint les patrouilles de secours lancées à votre rescousse après votre disparition mais…je crois que j’ai perdu mon groupe sur le sentier en m’écartant pour balancer des boules de neige et quelques caillasses sur le groupe en contrebas. Etes-vous sauf ? »
- « Tu la connais ? » interrogea le troll. « Je la débite ou pas ? »
- « Je suis Gonzague Brumacier », annonça la naine d’une voix forte. « Fille de Brandir et Briga Brumacier, guerrière de la légion des Griffons en première année, à peine la cinquantaine, célibataire, j’aime la bière, les armes blanches et les nains forts mais sensibles ! »
- « C’est la fille d’un ami de mon père », expliqua Vorshek tandis que le troll faisait des moulinets peu inspirés avec son arme. « Ce n’est vraiment pas de bol… »
- « Pour cent pièces de plus », proposa le troll sur un ton engageant, « je la bute et je la bouffe, même les groles. Il ne reste plus une trace et plus de témoin. »
- « Arrière, sac de fumier ou je te pourfends ! » cria Gonzague.
- « Tu vois avec tes conneries de grotte toute crade, on tombe tout de suite dans les injures hygiéniques. Ce n’est pas bon du tout pour mon image ! Je te rappelle que je suis en situation précaire et que je dois soigner ma réputation. Je la gobe ou pas ? »

Avant que Vorshek n’ait pu formuler sa réponse, Gonzague, aux abois devant le monstre titanesque, se saisit de sa corne passée à sa ceinture et souffla dedans de toutes ses forces. Le vacarme soudain qu’elle provoqua prit tant le troll par surprise qu’il bondit en arrière sous le coup de la stupeur et s’assomma à moitié contre une stalactite. Le temps qu’il émerge, une nuée de nains arrivés en renfort l’encerclaient et Vorshek dut l’endormir par magie pour ne pas le voir mis à mort. Victorieuse et heureuse, la petite troupe rentra au Karak où attendaient impatiemment Elenwë et Arzhiel, l’une néanmoins bien plus que l’autre, grognon d’être dérangé en plein repas et quand même, ça se fait pas.

- « Mais refreinez-vous, y a du monde ! » marmonna le seigneur tandis que son épouse poussait des jappements de soulagement en étreignant son fils devant toute la cour. « Si j’avais un peu d’estime pour vous, j’aurais honte pour vous. Vous dîtes qu’il s’agissait d’un enlèvement par un troll…au chômage ? C’est pas banal comma affaire. »
- « Arzhiel ! » s’écria Elenwë en caressant spasmodiquement la tête de Vorshek. « Ecartelez ce troll et lancez une croisade contre tous ceux de sa race ! On n’enlève pas mon p’tit bouchon d’amour impunément ! »
- « Foutez la paix à votre bouchon et aussi à vos bouteilles, vous voulez ? Vorshek est indemne, tout le monde est rassuré. Surtout moi d’ailleurs, j’imaginais même pas devoir faire un autre héritier avec vous…Tenez, regardez, rien qu’à l’idée, j’ai la chair de poule. Fils ! Approchez ! Allez ! Ben, je ne sais pas, mettez-lui le coude dans le pif ou un pousson, elle va vous lâcher. Fils ! Accueillez avec moi la brave naine venue à votre rescousse. Selon la tradition, je dois lui accorder une faveur en remerciement. » Se penchant à son oreille. « Je vous annonce tout de suite que si elle me demande du pognon, je prélève sur votre héritage. Approche, brave guerrière ! »

Gonzague s’avança timidement sous les applaudissements frénétiques de son père, sa mère et de Hjotra qui les imita sans comprendre.

- « Hein, mais c’est la fille de Brandir ?! » s’aperçut Arzhiel avec étonnement tandis que ce dernier agitait frénétiquement la main pour saluer son chef. « Guerrière, tu as sauvé la vie de Vorshek. Je dois t’accorder une faveur. Je t’écoute, mais sache d’abord qu’à cause de la crise actuelle, la trésorerie du Karak est en souffrance et qu’avec les taux d’intérêt de la guilde des marchands, nos investissements… »
- « Je veux être fiancée au prince Vorshek », déclara Gonzague, à la surprise générale.
- « La fille de Brandir dans la famille ?! » s’étrangla Arzhiel. « Mais pour quoi faire?! Tu ne veux pas une nouvelle armure plutôt ? »
- « Tu prétends éprouver quelque amour pour mon fils ? » la foudroya Elenwë.
- « L’amour ? » répondit la naine sans conviction. « Il est blond et il fait de la magie, faut pas déconner, j’ai plus de dignité que ça. Non, non. Je veux juste devenir sa fiancée pour moucher toutes les bêcheuses elfes de la cour. J’ai jamais pu les saquer. »

Un messager murmura quelques informations à Arzhiel tandis que la foule présente débattait avec bruit et ferveur et que trois nains, toujours les mêmes, continuaient à applaudir.

- « Père », marmonna Vorshek, très mal à l’aise. « Si vous pouviez, j’aimerais tout autant que vous n’accédiez pas à la faveur de Gonzague. »
- « Mes hommes viennent de ramasser votre pote Al, le rôdeur, le petit-fils de Ségodin et de Doreen qui attendait à la caverne du troll en discutant avec ce dernier autour d’une bourse d’or identique à celle que vous aviez lors de votre disparition. Il aurait déballé une histoire de fugue mise en scène très intéressante à la vue des haches sous son nez. Vous pensiez vraiment pouvoir me jongler comme votre mère ? »
- « Par pitié, ne lui dites rien, elle ne comprendrait pas. Vous, me comprenez-vous ? »
- « Comprendre quoi ? Que la vie dans une montagne entouré de débiles, de flatteurs et de glandos devient franchement chiante quand on a fait le tour de tous les voisins à attaquer et de toutes les filles de chambre ? Carrément, que je comprends. Je vous connais comme si je vous avais fait ! »
- « Euh, c’est le cas, père. Me passerez-vous cette erreur de jeunesse ? » sourit affectueusement le demi-elfe.
- « Compte là-dessus, mon grand ! Gonzague, je t’accorde cette faveur ! Mais à une condition ! Vous êtes encore trop jeunes, trop inexpérimentés et bien trop niais pour bâtir un truc à deux qui ne se casserait pas la gueule au bout d’un an. J’ordonne la mise en place d’une expédition à laquelle tu participeras avec mon fils. Votre groupe devra s’aventurer sur les terres de notre région, s’aguerrir, voyager, accomplir des actes de bravoure, acquérir gloire, prestige et si possible, un max de thunes et deux ou trois bricoles magiques bien précieuses pour le Karak. Gonzague, tu devras veiller sur mon fils. Vorshek, vous devrez commander ce groupe et éviter si possible de nous coller la honte en allant claquer comme une fiotte contre le premier gobelin venu. »
- « Père ! » s’exclama Vorshek, pantois. « Je ne suis pas un aventurier… »
- « Il faudra le devenir si vous voulez hériter du trône. Vous vouliez voir du pays, non ? Merci papa. Je demanderai aussi à votre ami Al de se joindre au groupe. S’il n’est pas trop brêle, il devrait vous guider aux bons coins. Bon, on a un mago, un pisteur et une guerrière. Il vous faut un renfort qui a de la bouteille. Non, Elenwë, l’apéro, c’est plus tard. »
- « Moi je veux bien y aller, seigneur ! » proposa Brandir.
- « Dans la famille boulet, je ne veux pas le père et la fille en même temps », refusa Arzhiel. « C’est aussi mon fils, j’ai un peu pitié. Svorn, ça vous tente ? Ok, les gestes impolis, c’était pas obligé. Ségodin, il est gâteux, il ne passera pas l’automne, Rugfid, il risque encore de se faire kidnapper, cette cruche…Il me reste qui ? »

Et Arzhiel trouva le quatrième membre de l’équipe quand Hjotra leva la main en ricanant et que l’horreur vint se peindre sur le visage d’Elenwë au moment même où Vorshek affichait la plus totale incompréhension.

- « Bon voyage, fils », pouffa le seigneur de guerre en sentant monter le fou rire.
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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 3 Oct - 22:05

Episode 124 – L’Auberge sans Issue

L’auberge se vidait peu à peu de sa clientèle, le flot incessant de voyageurs et de marchands ayant passé la nuit là et quittant la salle commune s’estompa jusqu’à ce qu’un calme appréciable envahisse l’endroit. La matinée était à présent avancée et il ne resta bientôt plus qu’un groupe attablé dans un coin près de la cheminée, celui de Vorshek, Hjotra, Gonzague et Al. Le demi-elfe et l’humain lorgnaient irrésistiblement vers la sortie, soupirant d’impatience. Ils cessèrent enfin de souffler quand Gonzague leva le nez de son auge remplie successivement à trois reprises.

- « C’est bon ? » demanda Al. « On y va ? »
- « Ce brouet était trop cuit et infâme
», commenta Gonzague en s’étirant.
- « Pourquoi alors avoir insisté pour curer la marmite ? » interrogea Hjotra.
- « Je suis en pleine croissance », rétorqua la naine avec un regard lourd.
- « Allez, mouvement, la marmaille ! » s’exclama Al. « Je commençais à en avoir plein le dos de me limer les miches sur ce banc à pécores ! »
- « Attendez, vous voulez partir maintenant ? »
- « Non, on va encore glander une heure ou deux au cas où il y aurait une autre marmite à vider. »
- « C’est une activité honorable. D’ailleurs, glandeur, c’est pas ta classe ? »
- « Rôdeur !
» grogna Al. « Je suis rôdeur ! Ma place, c’est dans les campagnes et les landes à surveiller, explorer, espionner ! Pas dans une baraque à clodos et à saoulards à poireauter en te regardant récurer le service à vaisselle. On aurait dû partir y a des plombes ! »
- « C’est pas moi qu’on attendait tout à l’heure…
» se défendit la naine en se tournant vers Vorshek. « On pourrait aisément imaginer que le fait de disparaître à l’étage avec une ménestrel vêtue du justaucorps de sa petite sœur ait un lien avec le réveil tardif et poussif de notre chef d’équipe le lendemain, mais ce n’est pas le cas, n’est-ce pas ? »

Vorshek se raidit en affichant un sourire crispé.

- « Je suis un petit peu d’accord avec Gonzague, Al », fit le demi-elfe d’un air sérieux. « Ton activité professionnelle de vagabond est peu reluisante et s’assimile assez facilement avec celle de pilier de bar digne de ce genre d’établissement. »
- « Allez les dragons qui roxxent !
» s’exclama Hjotra avec entrain. « En route ! »
- « Non, maître Hjotra. On n’avait dit qu’on ne se donnait pas de nom. Vous, vous aviez un nom du temps où vous étiez dans le groupe de mon père ? »
- « Les Boulets Suprêmes
», répondit l’ingénieur avec fierté. « On avait même une médaille. »
- « Ok
», acquiesça Vorshek. « Les dragons qui roxxent, en avant ! »
- « Ah, mais vous partez comme ça ?!
» fit Gonzague, choquée. « On ne peut pas se barrer, la table est cradingue, on dirait la literie de Svorn ! »
- « On s’en secoue pas un peu de l’état du mobilier ?
» interrogea Hjotra, dans le doute.
- « Non, mais si complètement même », soupira Al. « Bien sûr qu’elle est dégueu cette table, on en sort. Il faut plutôt y voir une marque de respect envers le tenancier que l’on honore pour sa bonne chaire en pourrissant sa table. Là, on peut se barrer ? »
- « Absolument
», affirma Gonzague. « Quand j’aurais tout nettoyé. »
- « Mais pourquoi donc ?! Y a les filles de salle pour ça ! Avec la blinde qu’on leur a laissé pour l’étape et les pourboires de Vorshek pour celles qu’il a croqué en apéritif avant la ménestrel, on peut au moins se casser en laissant une table moisie ! »
- « Hé ! Un noble de mon rang et de ma prestance n’a nul besoin de recourir au monnayage pour parvenir à ses fins. C’est vrai, pourquoi payer quand on peut baratiner ? »
- « L’humain de compagnie de Vorshek n’a pas tort, damoiselle Gonzague
», ajouta Hjotra. « En plus, ça craint de traîner trop longtemps, le taulier risque de se rendre compte qu’on a aussi embarqué la déco des chambres… »
- « Alors vous râlez parce que je manque de féminité quand j’étale les viscères d’un gobelin mutant mais là vous n’avez pas deux minutes le temps que je nettoie une table comme une bonne épouse ! »
- « Si tu tiens vraiment à jouer aux bonnes épouses, j’ai deux trois liquettes ni fraîches ni nettes dans mon sac
», proposa Al. « On passe au lavoir, en plus, c’est classe, c’est sur la route pour sortir du bourg. »
- « Passez-moi cette loque immonde, maître Hjotra, que je frotte ce morceau
», demanda Gonzague en ignorant la remarque. « On dirait…erf…du pâté, c’est collé…Erf…Ah non c’était du vomi…Quoi c’était votre nouvelle cape ? C’est pas grave, elle était moche. »
- « Bon, sa seigneurie
», fit Al en se tournant vers Vorshek. « Tu ne veux pas intervenir ? Si on part trop tard, on est bons pour pioncer dans les collines avec les loups et les détrousseurs. Et si en prime, on perd en chemin maître Hjotra comme hier, avant-hier et avant-avant-hier, c’est la nuit assurée dans le Bois des Suppliciés. Et niveau hospitalité avec les voyageurs, leurs fantômes sanguinaires chasseurs de vivants ont encore pas mal de boulot. »
- « Que veux-tu que je fasse ?
» demanda le demi-elfe.
- « Je ne sais pas, tu es son seigneur et c’est ta promise. Tu veux d’autres indices ?! »
- « Déjà, elle ne reconnaît pas mon autorité et j’évite en général de lui refiler un ordre quand elle a ce regard et sa hache à portée. Et ma promise, c’est vite dit, je ne tiens jamais mes promesses.
»

Al se mordit la lèvre inférieure pour ne pas craquer, puis voyant que cela ne suffisait pas et que ça piquait drôlement, enfourna son poing dans sa bouche. Lassé, il alla bouder sur un tabouret, ne disant plus rien, même quand Gonzague lui demanda de lever les pieds tandis qu’elle frottait le plancher.

- « Allez, les dragons ! » lança Hjotra, plein d’enthousiasme. « Une bonne devinette pour détendre l’atmosphère. Que dit une gorgone agacée ?...Alors ? Personne ? Elle dit « ça minerve ! » »
- « C’est nul
», commenta Gonzague depuis le comptoir où elle faisait la vaisselle.
- « La bonniche a raison », marmonna Al dans son coin.
- « Non, mais c’est normal », se justifia Hjotra. « Vous avez oublié de rire après minerve, c’est pour ça. »
- « Sors-nous de cette auberge !
» supplia Al en empoignant le col de Vorshek. « A l’extérieur, j’arrive à les gérer en savatant un truc pour me passer les nerfs, mais ici si je casse un meuble ou une chaise, ça va foutre des copeaux partout et Gonzague devra tout nettoyer ! »
- « Détends-toi
», ricana le mage, « on est en voyage, profitons-en. Tu veux que je te fasse un petit sort de décontraction ? »
- « Téléportation de maniaque en pleine crise de démence ménagère, tu as dans ton grimoire ? »
- « Pas exactement, mais un truc du style, oui. »
- « Déblaie-moi la brutos nettoyeuse à dix lieues d’ici et je ne balance plus jamais sur l’ambiguïté de ton orientation sexuelle à cause de ta garde-robe de mago ! »
- « C’est tentant, mais il me faut huit heures de sommeil pour récupérer l’énergie nécessaire au sortilège. On devrait passer une nuit supplémentaire ici.
»

Le rôdeur, sans rien ajouter, alla se blottir près de la cheminée en sanglotant.

- « Voilà, j’ai terminé ! » s’exclama Gonzague en rendant sa cape en boule, mouillée, souillée et râpée à Hjotra. « Tout est niquel. On peut y aller ! »
- « Al avait raison
», fit Vorshek. « Il pleut des cordes maintenant. »
- « C’est pas grave !
» jubila Al. « On a des capuches ! HAHA ! Des capuches, oui, dragons qui roxxent ! Plus rien ne nous retient dans ce trou à rats… »
- « Oh !
» protesta Gonzague.
- « …Ce trou à rats fort propre. »
- « Je préfère
», sourit la naine en rougissant de fierté.
- « Il est si tard ? » demanda Hjotra, le nez collé à la fenêtre. « Voilà les pécores qui rentrent des champs. Y en a plein qui arrivent par ici. »

Les paysans rentrèrent en trombes pour s’abriter, se bousculant à l’entrée, piétinant sur place et s’éparpillant à travers toute la salle. A la vue de leurs chausses crottées couvertes de boue, Gonzague et Al s’évanouirent en même temps. Le choc les fit dormir toute la nuit, ce qui laissa le temps libre à Hjotra de retrouver ses amis de beuverie de la veille et à Vorshek de se familiariser avec de nouvelles amies. Le lendemain, les aventuriers ne trouvèrent aucun autre moyen que la magie de téléportation pour surmonter l’épreuve de l’auberge.

Bilan de la mission :
Gonzague : +1 en Ménage
Vorshek : +1 en Anatomie féminine humaine
Hjotra : - 1 en Humour
Al : + 1 en Hostilité envers le milieu hôtelier
Expérience acquise : nulle.
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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 3 Oct - 22:06

Episode 125 – Le Donjon des Noobs

Le gardien du portail ouvrit lentement et haussa un sourcil à la vue du groupe d’aventuriers sur son seuil composé de Vorshek qui baillait d’ennui, Gonzague tirant la tronche, Al qui gloussait et Hjotra jouant avec ses bretelles en mithril.

- « Salutations mon brave ! » lui lança Al en trépignant d’impatience. « Sommes-nous bien au Carrefour du Péril, le célèbre centre d’entraînement pour héros ? Parfait ! Mes compagnons et moi-même désirerions tester l’un de vos donjons afin d’affiner nos techniques et aguerrir nos tempéraments. »
- « Quatre personnes ? C’est tarif réduit pour les jeunôts elfes et nains de moins de cinquante ans. Ah non, pas pour vous messire, c’est tarif plein pour le chef de groupe, désolé. Notre dernier donjon, la Montagne de Spaÿs, n’attend plus que vous ! Alors ? C’est quoi votre niveau ? »
- « Y a un niveau entre nullos et débutants purs ?
» interrogea Vorshek.
- « Ouais, je vois… » fit le gardien en observant mieux le groupe. « Tant pis pour Spaÿs. Et vous aussi vous êtes un nullos ? »
- « Nullos certifié !
» répondit franchement Hjotra en montrant un diplôme signé par Arzhiel.
- « Ah ouais, quand même », déclara l’homme en parcourant l’attestation. « Bon, ben pour les noobies, j’ai le donjon des Gentils Louveteaux. Ça ne déchaîne pas les passions et pour la réputation, je vous conseille de vous inscrire avec un pseudonyme, sauf si vous aimez que les pécores vous lancent des mottes de bouse à votre passage. A quatre, vous devriez avoir plié ça en une heure, au-delà, on vous rembourse. Dites, mon vieux, vous êtes certain d’être si nullos ? »

Une demi-journée plus tard, en plein donjon des Gentils Louveteaux

- « Ah non, mais je vous confirme que c’est vraiment un nullos ! » pesta Al en regardant Hjotra assis au fond de son oubliette.
- « Père m’avait vaguement averti, mais j’avoue que je pensais qu’il se moquait de moi comme quand il essayait de me faire croire que je suis le fils du brodeur de napperons personnels de Mère », murmura Vorshek.
- « Taisez-vous, tous les deux ! » gronda Gonzague. « Maître Hjotra a fait un faux-pas, c’est tout. Il s’est sacrifié pour que le groupe puisse poursuivre. C’est un héros, ne l’oubliez pas ! »
- « Tout de même…Un trou en plein milieu du couloir à deux pas de la porte d’entrée, entouré d’un garde-fou et signalé par des panneaux dans douze langues…C’est plutôt rustique comme piège pour un héros, non ? »
- « Ne les écoutez pas, maître Hjotra ! On n’a toujours pas trouvé de corde, mais on est enfin sortis du labyrinthe à choix multiples. On a juste perdu un peu de temps à cause des toiles d’araignée dégueues que j’ai du enlever un peu partout. »
- « Hihi, vous avez une drôle de voix avec l’écho depuis ici
», ricana Hjotra.
- « Nous sommes tenus en échec par une redoutable énigme », poursuivit Vorshek. « Pouvez-vous nous aider à la résoudre ? « Qu’est-ce qui est vert et qui sautille au fond du jardin ? » »
- « Qu’avez-vous essayé ?
» demanda l’ingénieur.
- « Une viverne émeraude des marais du Ponant », fit Vorshek.
- « Une culotte d’elfe en été », répondit Al.
- « Une tête d’orque au bout d’une hache naine », déclara Gonzague.
- « C’est chaussette la réponse », confia Hjotra à ses compagnons qui marquèrent quelques instants un silence gênant.
- « On y retourne », décida Vorshek. « Tant pis pour l’énigme, on va emprunter l’autre voie même si les épées en bois qu’ils recommandent d’emmener avec nous dans ces grottes ne me disent rien qui vaille. »

Les trois aventuriers traversèrent une nouvelle fois le labyrinthe, poussés par le pas impatient de Al, puis aboutirent devant une porte close, au bout du tunnel aux armes-jouets.

- « Allez, on se magne ! » s’exclama le rôdeur en trépignant.
- « Super le discrétion, t’as qu’à gueuler si tu crois que tu ne fais pas encore assez de bruit à danser sur place. »
- « Gonzague n’a pas tort. Pourquoi es-tu aussi pressé ? L’aventure t’excite-elle ? »
- « T’as gagné, autant que la silhouette de Gonzague, sans la nausée. J’ai envie de pisser ! Et cette tâche de naine ne veut pas que je me soulage dans le donjon ! »
- « Tu attendras qu’on soit dehors, je te prie ! Je serai intransigeante. On n’est pas des romanos, on rendra ce donjon dans le même état où on l’a trouvé. »
- « Avec un vieux nain étourdi au fond d’une fosse en prime
», rajouta Vorshek.
- « Voilà ! Ou je pisse et je me fais latter ou on s’active les miches. Allez, j’ouvre ! »

Le rôdeur poussa la porte, puis se réfugia derrière Gonzague qu’il invita à passer en première d’une soudaine bourrade. La naine tomba nez à nez avec des gobelins armés de gourdins, quittant manifestement leurs pauses pour accueillir nonchalamment les explorateurs.

- « Grrr, grrr ! » récita l’un d’eux sans enthousiasme, ni motivation. « Vils aventuriers ! Nous allons vous rosser car nous sommes des créatures du mal et que… »

La créature n’eut pas le temps d’achever son texte que Gonzague l’éventra avec fureur d’un coup de hache acérée.

- « Mais c’est une vraie arme ! » s’écria l’un des gobelins, sans doute le chef d’équipe. « Mais c’est strictement interdit ! On vous a dit de prendre les armes en bois ! C’est quoi ces débiles ?! Vous savez combien de temps il faut pour recruter un bon employé pour un poste d’ « ennemi de niveau 1 » ? Vous pensez que…AHHHHH ! »

Gonzague se précipita en hurlant sur le monstre, se jetant furieusement dans la mêlée qu’engendra son assaut brutal. Les gobelins se massèrent autour d’elle, délaissant complètement leur rôle pour se battre véritablement. Quelques instants après un échange d’une rare violence, le silence retomba, en même temps que le dernier membre de gobelin tranché et collé au plafond. En sang, Gonzague contempla le carnage et se tourna vers ses compagnons.

- « Bon sang, mais vous étiez où pendant que je me faisais bastonner par la racaille ?! »
- « J’achevais mes invocations de préparation au combat !
» lança Vorshek, nimbé de trois protections magiques complètes, huit enchantements, quatre invocations et deux sortilèges de renforcements. « C’est bon, je suis paré pour la bataille ! Tiens…Où est Al ? »

Le rôdeur plongea du promontoire rocheux où il s’était réfugié, trois mètres au-dessus de la mêlée et frappa un cadavre étalé de gobelin en poussant un cri de guerre.

- « C’est bon, j’ai vaincu le dernier ! La victoire est à nous ! »
- « Tu veux une baffe ?!
» meugla Gonzague, furieuse. « Tu m’as jeté sur eux pour mieux te planquer, petite fiotte ! »

La naine leva son poing vers l’humain, mais ses blessures lui firent tourner de l’œil et elle s’effondra lourdement entre Vorshek et Al qui s’écartèrent par réflexe pour ne pas être écrasé.

- « Si tu as un sortilège de soins, sa majesté, c’est le moment de faire péter la magie ! L’amie Gonzague ne va pas tarder à rejoindre ses glorieux ancêtres au banquet des bourrins vu la tronche quelle tire. »
- « Malheureusement, j’ai dépensé ma dernière once de pouvoir dans cette élégante et pratique armure de gel
», soupira Vorshek de dépit.
- « C’est vrai qu’elle est seyante », admit Al. « Ce sont des vrais cristaux de glace aux encolures ? »
- « Je vois un vioque au regard pervers qui veut que je le suive…
» délira Gonzague, agonisante. « Ça me rappelle la sortie de l’école…Il dit qu’il est mon grand-père…C’est ça, comme après les cours… »
- « Je vais lui concocter un remède grâce à mes connaissances des plantes ! »
- « On va éviter vu que la dernière fois, tu as confondu la menthe avec les orties. Ton cataplasme a failli tous nous pousser à nous écorcher vifs ! Mais je sais ! Mère m’a confié un élixir de soins ! »
- « Je ne préfère pas
», marmonna Gonzague. « Je ne crois pas aux potions de soins, c’est rien qu’une arnaque pour enrichir les guildes d’alchimistes. Et c’est anti-naturel comme procédé. »
- « Qu’est-ce qu’on fait ?
» demanda Al, blasé. « On la laisse caner ? Comme ça, je vais pouvoir pisser peinard. »
- « Nous ne pouvons !
» s’offusqua le magicien. « C’est notre amie ! »
- « C’est surtout ta promise
», lui rappela le rôdeur en déboutonnant son pantalon d’une main tout en faisant les poches d’un gobelin de l’autre. « Si elle claque, tu redeviens célibataire… »
- « Nous honorerons ta mémoire avec émotion et ferveur !
» s’exclama le demi-elfe en tenant la main de Gonzague. « Tu fus une camarade de grande valeur et … »
- « Les voilà !
» s’écria le gardien en pénétrant dans la caverne. « Qu’est-ce que vous glandiez ?! Ça fait une plombe qu’on vous att… »

L’homme leva sa torche et regarda abasourdi la pièce jonchée de cadavres de gobelins taillés en morceaux avec une naine divagante vautrée au milieu d’eux, un mage elfe à ses côtés qui commençait à la recouvrir de terre et un rôdeur le sifflet à la main en train d’uriner contre le mur, tout en soupesant une besace.

- « C’était vraiment très amusant ici ! » lança Hjotra en riant lorsque le gardien referma sèchement la grille du centre d’entraînement au nez du groupe, un peu plus tard. « On revient quand ? »
- « Ils ont bien insisté sur le fait qu’ils tireraient à vue la prochaine fois qu’on viendra, maître Hjotra
», répondit Gonzague, couverte de bandages. « On va donc attendre un peu, d’accord ? »
- « Je me demande bien quelle pouvait être la réponse à cette fichue énigme !
» râla Vorshek tandis que Hjotra montrait à tout le monde le bonnet en forme de tête de louveteau acheté à la boutique souvenir.

Bilan de la mission :
Gonzague : + 1 en Eventration gobelinoïde
Vorshek : + 1 en Magie d’élégance glaciaire
Al : + 1 en Lâche Dérobade
Hjotra : - 10 en Détection des pièges mineurs
Expérience acquise : Dérisoire
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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 3 Oct - 22:06

Episode 126 – Pair, Impairs et Reperds

Assis sur le rebord d’une fontaine tachetée de mousse, Vorshek et Gonzague observaient les flots incessants de passants qui se déversaient dans la large place. Les deux compagnons fixaient en vain la foule compacte et bruyante à la recherche de visages familiers, mais sans succès. Bien loin de leur Karak natal dans cette vaste cité portuaire, ils ne s’en sentaient que davantage étrangers. Finalement, Al et Hjotra surgirent d’une ruelle, l’un pestant et râlant, l’autre riant comme un enfant émerveillé par toute cette animation.

- « Ah ben quand même ! » les accueillit Gonzague d’un ton agacé.
- « Tu peux éviter le « ah ben » stp ? » demanda Al. « Crois-moi, les gens savent déjà à tes fringues que tu viens de la campagne. »
- « Mais qu’est-ce que vous glandiez ?! On vous attend depuis des plombes ! Maître Hjotra s’est encore perdu ?! »
- « Trois fois », reconnut ce dernier sans honte. « [i]Mais je tiens à préciser qu’il n’y avait aucun chien à suivre la troisième fois. »
- « Nous avons rencontrés quelques désagréments, en plus des chiens errants
», avoua Al à demi voix en conduisant ses compagnons à l’écart. « Mais et toi, sa seigneurie ? Je n’aurais pas cru te revoir avant une semaine avec toutes les gueuses qui déambulent ici. C’est encore tes pannes, c’est ça ? »
- « J’ai du revoir mes ambitions et mes projets de…divertissement à plus tard au vue de mon escorte…
», répondit Vorshek, dépité.

Le demi-elfe, dont la mine boudeuse égalait presque celle de son père au retour de bataille, désigna d’un geste du menton Gonzague et son expression de bouledogue aux aguets à ses côtés.

- « Seigneur Arzhiel m’a confié la sécurité de son héritier », se défendit la naine. « Hors de question que je lâche le prince d’une semelle dans ce cloaque puant pullulant de coupe-jarrets et de traîne-patins. »
- « Je confirme qu’elle ne m’a pas lâché les basques une seconde
», soupira le magicien d’un ton affligé. « Mon moment préféré ? Mon détour aux commodités et la perte absolue de toute intimité et amour-propre, mon garde du corps féminin près de moi. Mais assez parlé de mes prochains cauchemars pour le mois à venir, de quels désagréments parlais-tu ? »
- « Tu te souviens que je t’avais demandé une avance sur mes huit prochaines primes pour jouer aux dés du démon clampin et de la brebis saoule dans le premier trou à rats croisé ? Tu te rappelles avoir cédé quand je t’ai menacé de chanter à ton anniversaire ? Et tu sais que je suis incapable d’arrêter de jouer tant que je n’ai pas assez perdu pour mettre mes organes vitaux en jeu ? Et bien, voilà. J’ai tout perdu au jeu et j’ai une dette colossale.
»

Un silence pesant s’instaura quand Vorshek visualisa son geste de faiblesse consistant à amputer l’argent commun de leur voyage d’une part simplement grandiose pour céder au rôdeur chantonnant ses premières notes. Puis Hjotra eut la délicatesse de dégoupiller le malaise de cette situation de l’une de ses remarques toujours à propos.

- « Gonzague t’a suivi jusqu’aux latrines ?! » percuta enfin l’ingénieur avec dégoût. « Si Svorn apprend ça, il t’envoit en quête de purification pour au moins trente piges. »
- « Tu as paumé tout notre flouze ?!
» gémit Vorshek, livide. « Mais tu veux qu’on dorme dans les lits sans broderie, ni oreiller jusqu’à la fin du voyage, c’est ça ?! Tu veux qu’on mange la même nourriture que le peuple normal ?! C’est l’enfer que tu nous promets ! Oh, doux sauveur, je sens venir les palpitations. Il me faut mon baume aux écorces et trois gouttes d’élixir de rose sur les poignets ou la colère va gâter mon teint pour la semaine. »
- « Puisqu’il nous a mis dedans et qu’il se propose de réparer lui-même
», demanda Gonzague en dégainant, « ne serait-ce pas lui rendre service que de l’aider à distribuer ses organes vitaux dès à présent ? »
- « Une fois, j’ai fait triple bourrade aux dés du démon clampin et de la brebis saoule, j’ai gagné une paire de bottes et un fromage
», déclara Hjotra en nettoyant ses morsures de chien dans la fontaine.
- « Non, mais rassurez-vous, je sais comment nous tirer de là ! » lança Al en faisant signe à Gonzague de reculer. « Vous pensez bien que si j’avais ruiné le fils de mon seigneur en ville étrangère sans avoir une solution en rab, ça fait longtemps que j’aurais pris le large. J’ai une combine ! »
- « Comme celle qui devait te faire gagner aux dés à coup sûr, tu veux dire ? »
- « Les nobles et les aristos de la cité organisent un petit tournoi dans les bas-quartiers, réservés aux groupes d’aventuriers et aux mercenaires qualifiés, comme nous. Vous n’imaginez pas combien tous ces vioques de bourgeois tafioles et pomponnés, désolé pour ton grade votre altesse, sont prêts à cracher pour voir les favoris qu’ils sponsorisent remporter la partie ! »
- « Un tournoi ?
» interrogea Gonzague. « Quelle sorte de tournoi ? Je me permets de demander parce qu’entre un mage précieux au baume aux écorces, un rôdeur lâche et moisi aux dés et un ancien héros à peine dépassé, je me sens juste seule en tant que combattante valide. »
- « C’est à cause de mes courtes pattes que tout le monde me double
», déplora Hjotra.
- « C’est une sorte d’expédition dans un souterrain avec des pièges et des adversaires », répondit Al. « Le type qui m’a renseigné a aussi parlé d’une araignée rouge de cent douze pieds de haut, mais je n’en ai pas tenu compte vu qu’il était trop ivre pour lever le nez de son vomi pour me parler. Et d’abord, je ne suis pas moisi aux dés, c’est juste un rhume temporaire du poignet. »
- « Faire charrette bat la triple culbute
», marmonna Hjotra, « mais c’est tendu de réussir à obtenir deux tranches d’affilée avec un dé. »
- « Loin de moi l’idée de démonter ton plan manifestement naturellement foireux
», intervint Vorshek en s’éventant stoïquement, « mais je doute que nous soyons à la hauteur d’un donjon réel après notre prestation à celui des Noobs. »
- « Et alors ?! On va rester sur un malencontreux échec et geindre comme des elfes ? »
- « Je suis elfe à moitié… »
- « On est des filles ou quoi ?! »
- « Je suis une fille !
» fit remarquer Gonzague.
- « On va y aller et tout péter parce qu’aucun de nous n’est un boulet ! »
- « Oggy le borgne avait enchaîné trois tranches en 82 à Port-la-Garce
», fit Hjotra d’un air nostalgique. « Quel dommage que le règlement interdise la participation des pirates et des meuniers. »
- « C’est parti, les dragons qui roxxent !
» s’écria Al d’un enthousiasme débordant. « En plus, comme on est motivés et remontés à bloc, ça tombe bien, je nous ai déjà inscrit et trouvé un sponsor. N’oubliez pas les torches et les potions de vie, on a un donjon à écumer ! »
- « Ah parce qu’on doit y aller direct là ?!
» s’exclama Gonzague.
- « Direct, non », sourit Al. « On fait comme on le sent, c’est nous les stars. Il faudra juste qu’on trottine un petit quart d’heure pour arriver à l’heure. Ce serait dommage de rater le départ et de se faire rattraper par d’éventuels hommes de main qui en voudraient fortement à nos rotules, hein ! »
- « Tu es certain que cette épreuve est à notre portée ?
» demanda Vorshek d’un ton sévère.
- « Je suis excessivement blessé par ton manque de confiance », s’offusqua Al d’un geste théâtral. « Tu me crois capable de tromper et manipuler le groupe pour parvenir à me sortir du pétrin ? »
- « Carrément. »
- « Oui, bon, c’est vrai. Mais ce n’est pas comme si on avait le choix. Allez, en route. On va d’abord passer voir notre sponsor, vous allez adorer porter ses couleurs, son emblème et son drapeau. Vous connaissez le docteur Classe, le célèbre inventeur de la potion de lavement ? »
- « Génial
», commenta Vorshek en baissant tristement la tête. « Encore un souvenir impérissable en prévision…Maître Hjotra ? Vous venez ? »
- « Hum ?
» fit le nain en se retournant vers le groupe qui s’éloignait. « On va manger ? »
- « Je le crains oui
», répondit le semi-elfe. « On risque de manger cher».

- « Elle s’appelle comment déjà ton épreuve ?
» demanda Vorshek sur le chemin, toujours peu convaincu. « Qu’on sache au moins où est-ce qu’on va claquer. »
- « C’est un donjon aménagé dans les bas-fonds de la ville
», répondit Al en remontant une ruelle sordide. « Ils appellent ça le donjon des bas-fonds. »
- « J’espère qu’ils auront la même absence d’imagination pour les pièges que pour le titre
», remarqua Gonzague en esquivant un clochard enivré titubant.

Le petit groupe parvint aux pieds d’un escalier crasseux et souillé dans un coin sombre qu’il descendit avec prudence malgré l’enthousiasme ressuscité de Al en tête. Les aventuriers débouchèrent bientôt dans une large caverne percée de multiples tunnels où circulait une foule dense et bruyante par flots discontinus. Al avait retrouvé le sourire dans cet élément glauque et sordide où se côtoyaient la pire racaille, les marchands aux étals des plus suspects et incongrus et les créatures les plus exotiques et effrayantes du continent.

- « L’entrée du donjon est tout droit », indiqua Al en désignant le lieu de convergence de la majorité des gens. « Le quartier des maisons de jeux et de passe est juste après mais malheureusement, on n’a pas le temps de s’y rendre. »
- « Oh oui, c’est dommage
», soupira ironiquement Gonzague en chassant une énième main baladeuse sur ses hanches comme sur sa bourse.
- « Vous savez que les meilleurs clients peuvent même louer un esclave de la race de leur choix pour les tabasser en public ? » s’exclama le rôdeur, hilare. « Ils sont toujours en rupture de stocks d’elfes. J’adore cette cité ! »
- « C’est vrai qu’il eut été dommage d’en rater la visite…
» commenta Vorshek maussade en s’écartant du passage d’un jongleur troll couvert de vérole.
- « On y est ! » lança triomphalement Al en se frayant un passage dans la foule compacte des spectateurs. « Juste à temps. J’avais peur qu’ils nous coupent chacun un pied en handicap à cause du retard, mais on est bons. Voilà notre sponsor ! »
- « De quoi ?!
» s’écria Vorshek. « C’est quoi le truc avec le pied ?! »

Mais Al ne l’entendit pas et aborda un vieil humain dégarni en robe élimée qui ressemblait à un tueur à gages mal déguisé en alchimiste. Le docteur Classe, près de son chariot de potions de lavement, d’élixirs de repousse des dents et de philtres de coloration de barbe qui intéressa fortement Hjotra, se tourna vers le petit groupe essoufflé qu’il salua à peine avant d’en inspecter les membres un à un. Il les regarda d’un œil sévère des pieds à la tête avant de tâter leurs muscles d’un air critique. Hjotra le chatouilleux gloussa mais Gonzague retourna une forte claque à l’humain quand son tour arriva.

- « Si c’est pour me faire tripoter par un vioque, je peux faire ça au Karak et gagner la pièce », ronchonna-t-elle.
- « D’habitude, les sponsors fournissent l’équipement à leur équipe, mais je suis non-violent et je n’ai pas d’arme ou d’armure à vous donner », expliqua l’alchimiste en se massant la joue.
- « Chez les nains, on appelle ça radin, pas non-violent », piqua Gonzague.
- « De toute manière, vous possédez déjà votre propre fourbis. Mais si je ne vous apporte rien, vous allez penser que je ne sers à rien. »
- « Je n’en étais pas arrivé à ce point dans mes réflexions
», reconnut Vorshek, sceptique, « mais pas bien loin, en effet ».
- « Si vous gagnez, je double votre récompense ! Je ne fais ni mon rat, ni mon économe ! »
- « Comme l’outil pour peler les patates ?
» demanda Hjotra en cherchant le rapport.
- « Si vous voulez qu’on se fasse confiance, il va falloir mieux se connaître. Vous, l’intellectuel aux pommes de terre, c’est quoi votre nom ? »
- « Hjotra !
» annonça gaiement l’ingénieur. « Je n’ai plus de nom de famille parce Arzhiel s’est marié avec une elfe et nous a tous désordonnés. »
- « Déshonorés
», corrigea Vorshek.
- « Hjotra ? Je n’aime pas trop, je vais t’appeler le nain. »
- « Aucun problème
», fit Hjotra en haussant les épaules. « Moi non plus je n’aime pas mon nom, j’ai mis vingt ans à savoir le graver sans faute, je suis trop saoulé depuis ».
- « Moi, c’est Gonzague Brumacier
», se présenta la guerrière en faisant craquer ses jointures. « Si vous vous avisez de m’appeler la naine, je vous retourne une autre baffe, histoire d’équilibrer la donne ».
- « Gonzague est un prénom masculin
», déclara le docteur Classe avec prudence.
- « Vous insinuez que je manque de féminité ?! » grogna Gonzague d’une voix caverneuse en soulevant sa hache.
- « Oh non ! » intervint Vorshek. « Ne la lancez pas sur le sujet aussi ! Ses parents voulaient faire original en testant un prénom humain pour faire exotique. Elle a beaucoup de soupirants et moi-même, si c’était ma promise, je ne serais pas peu fier. »
- « C’est ta promise !
» lui rappela Al. » Ton père te l’a refourgué dans les pattes en punition. »
- « Ah oui, c’est vrai
», rit doucement l’elfe tandis que Gonzague émettait des grognements rauques en défiant le docteur Classe du regard. « Bizarrement, j’ai tendance à oublier parfois. »
- « Et du coup
», dit Hjotra, « vous n’êtes pas peu fier ? »
- « Ah non, du tout, curieusement
», répondit le mage tandis que la naine expulsait d’une violente bourrade un concurrent ayant eu le malheur de passer trop près d’elle avant d’avaler une rasade de bière de sa gourde et de roter doucement.
- « Alors et toi, l’ami sylvestre ? » questionna l’alchimiste. « C’est quoi ton nom ? Fleur de Lune ? Arc-Argent ? Flèche Etoilée ? »
- « Vorshek. C’était le nom du tueur drow qui a tenté de tuer ma mère le jour où elle a annoncé à mon père qu’elle était enceinte. Comme mes parents n’ont ni humour, ni esprit, j’ai hérité du nom horrible d’un assassin sanguinaire et incompétent qui en plus, selon mon père, sentait fort. »
- « C’est clair que tu as trop une tête à t’appeler Fleur de Lune ou une connerie elfe du même registre
», lança Al en gloussant.
- « Tu peux parler, mon bougre ! Al, ce n’est pas un prénom, on dirait un pseudonyme pour les soirées privées des tavernes spécialisées dans les rencontres illégitimes. »
- « Quoi ?
» bouda le rôdeur. « Al, c’est court, c’est vif, c’est direct. C’est top. »
- « C’est surtout un diminutif
», poursuivit Vorshek. « Son vrai nom, c’est Aladin. Mais il en a trop honte. »
- « Aladin ?!
» s’écria Gonzague entre stupeur et crise de rire naissante. « Comment c’est trop pourri ! »
- « J’avais une poule qui s’appelait Aladin
», rajouta Hjotra. « Elle est morte écrasée par la chute de Brandir, un soir où il était ivre. Maintenant, elle fait carpette. »
- « Arrêtez de rire !
» grommela Al, terriblement vexé. « Tu avais promis de garder le secret, faux frère ! »
- « J’avais promis de ne pas révéler l’anecdote selon laquelle c’est ton grand-père Ségodin qui tenait tellement à avoir un descendant chevalier qu’il a convaincu ton père de te nommer Aladin, tout ça pour que tu portes plus tard le titre de Aladin le Paladin. Mais…oups, j’ai gaffé ! »
- « Aladin le Paladin ?!
» répéta Gonzague en hurlant de rire. « Je crois que je vais me faire pipi dessus. »
- « Mais arrêtez de vous marrer, tout le monde nous regarde !
» vociféra Al. « Toi et toi, je ne vous parle plus, d’abord ! Je ne parlerai plus qu’à Maître Hjotra désormais…Oh, seigneur, je me punis tout seul. »
- « J’en ai assez entendu
», décida le docteur, regrettant sa curiosité. « Je vous engage. En plus, ça tombe bien, je n’ai personne d’autre sous la main. Passez ces tuniques et avancez jusqu’à l’entrée ouest. Je ne vous demande pas de gagner mais si vous deviez mourir, visez le spectaculaire, je vous prie. Il faut marquer les esprits de la clientèle. Vous pensez pouvoir crier mon slogan en dernières paroles ? »
- « C’est quoi le slogan ?
» interrogea Al tandis que tout le monde s’habillait aux couleurs de l’alchimiste.
- « Promotion sur les poudres anti-constipation, le docteur Classe, l’ami de votre chiasse », récita l’humain sous l’œil désabusé des aventuriers.
- « On va voir ce qu’on peut faire », répondit poliment le rôdeur avant de guider le groupe vers le départ.

A suivre…


Bilan de la mission :
Hjotra : +1 en pistage de chiens en milieu urbain
Gonzague : +1 en Surveillance à la culotte
Vorshek : -1 en Dignité
Al : +1 en Polio du dé
Expérience acquise : Négligeable
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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 3 Oct - 22:07

Episode 127 – Le Donjon des Bas-Fonds

- « Contrairement à cette laide tunique qui sent les pieds », fit Gonzague, « je ne la sens pas du tout cette histoire. »
- « Elle a raison, Al
», râla Vorshek. « Regarde les équipes concurrentes. On dirait qu’elles ont survécu à deux guerres déjà. La plupart ont des armes qui pèsent plus lourds que moi. En plus, cet air renfermé est très mauvais pour l’éclat de mes cheveux. »
- « C’est normal que l’ogre de l’équipe de droite me fasse signe qu’il veut me dévorer ?
» demanda Hjotra sans comprendre. « Il salive comme Prince Vorshek devant une nouvelle servante. »
- « Arrêtez de baliser pour rien !
» fit Al en haussant les épaules. « Tout va bien se passer, c’est juste de la frime pour vous impressionner et attirer les faveurs de la foule. Regarde, son altesse. Tu vois le groupe de filles là-bas ? Comment crois-tu qu’elles féliciteraient un elfe princier s’il remportait l’épreuve ? »
- « En lui piquant son pognon pendant qu’il dort
», répondit Gonzague d’un air détaché. « Comme d’habitude ».

Mais l’argument avait fait mouche et déjà Vorshek affichait sa moue de séducteur en bombant le torse, une main dans ses longs cheveux blonds. Dans un vibrant éclair lumineux doré, il invoqua une licorne qui piaffa docilement près de lui, déclenchant un concert d’exclamations féminines enjouées parmi la foule.

- « Super tactique l’invocation d’un bourrin en allié magique pour explorer un souterrain… » se moqua Gonzague. « Tu n’avais pas assez de mana pour faire apparaître un dauphin ? N’est-ce pas, Maître Hjotra, que c’est une idée débile et…Maître ? Non Maître, je vous en prie, descendez de cet animal, tout le monde nous regarde ! »

La naine cessa finalement de batailler lorsque Hjotra commença à clamer haut et fort le slogan du docteur Classe, debout sur le dos de la licorne. Lorsque les premières pièces volèrent du public félicitant le spectacle et que Vorshek entama les discussions avec les donzelles les plus proches, Gonzague se résolut à attendre le départ de l’épreuve, trop honteuse pour sortir la tête de sous sa tunique.
Puis un cor retentit et le silence se fit peu à peu dans la vaste caverne. L’assemblée des nobles organisant l’épreuve apparut sur une corniche et déclama un discours à la gloire des participants qui allaient pour la plupart mourir comme des pauvres crottes pour le seul plaisir de la foule. Al réveilla le reste de son groupe quand le discours s’acheva et que les grilles condamnant les entrées du souterrain s’ouvrirent en grinçant. Le but était simple. Il fallait traverser le donjon et trouver la sortie à son extrémité. La première équipe arrivée empocherait la récompense. Pour les autres, le public préparait déjà les ordures qui serviraient de projectiles.

- « Mais pourquoi tu ricanes comme ça ? » demanda Vorshek en entrant dans le tunnel.
- « Parce qu’on va gagner plein de pognon ! Je suis rôdeur et malin. Tandis que les autres équipes s’attarderont à éviter les pièges et combattre les bestioles qui hantent de dédale, nous on filera direct vers la sortie. Je sais m’orienter dans ces souterrains. Dans un quart d’heure, on est dehors et riches. »
- « Tu te moques de nous ou tu essaies juste de te la raconter pour ne pas mouiller tes fonds de culotte ?
» rétorqua Gonzague. « Tu t’es paumé dans l’auberge en cherchant les latrines la semaine dernière ! »
- « L’architecte avait fait n’importe quoi aussi avec cette bicoque. Je suis un félin, un loup, une chienne à la recherche de ses petits. Je vais vous sortir d’ici en deux temps, trois mouveeeeee…
»

Vorshek rattrapa par le col le rôdeur qui venait de basculer dans le vide.

- « Tu ne veux pas qu’on allume les torches, maman chienne ? »
- « Tu reviens de loin !
» siffla Gonzague en examinant le précipice sans fond longeant le passage.
- « Pas tellement, j’étais juste un peu plus bas, là », répondit Al en tâchant vainement de retrouver contenance.
- « Je vais lancer un sort d’illumination sur la licorne », déclara Vorshek. « Comme ça, elle va briller et éclairer alentour. Ce sera plus discret et on ne sera pas pris pour cible dans l’obscurité si on tient une torche. »
- « C’est pas bête
», dit Gonzague. « Tu as oublié les torches à l’auberge, c’est ça ? »
- « C’est naze aussi de me les confier, je vois dans le noir moi. »
- « Le sort d’Illumination, ce n’est pas celui que ton père pensait durant un moment qu’il avait été jeté sur Maître Hjotra ?
» questionna Al.
- « Non, c’était un sort d’Illuminé. Mais, au final, le cas de Maître Hjotra n’avait rien de magique. Il est juste « comme ça » naturellement. N’est-ce pas, Maître ? Maître ? Il est où ? Il s’est encore perdu ?! Mais c’est impossible, on est à dix mètres de l’entrée sur une corniche étroite en sens unique ! »
- « Une fois, il s’est perdu dans un cul-de-sac
», raconta Gonzague. « Vous croyez qu’il y a des chiens errants ici ? »
- « A tous les coups, il a ripé du dos de la licorne et a basculé dans le vide ! »
- « Il faut absolument descendre vérifier alors !
» s’écria Gonzague, horrifiée.
- « Meuh non, il est parti devant ! » affirma Al. « Il m’a dépassé quand vous cherchiez les torches. Regardez ! C’est pas lui là-bas tout au bout du chemin ? Allez, on le rejoint en courant ! »
- « Le truc là-bas ?
» demanda Gonzague en fronçant les sourcils. « C’est une statue de sanglier. Tu es sûr de toi ? »
- « Absolument certain ! Bougez-vous ou on va finir derniers…euh, on ne va pas rattraper Maître Hjotra !
»

Le rôdeur s’élança avec entrain, suivi de la licorne, de Gonzague et de Vorshek. La corniche déboucha, après la statue, sur un tunnel sale et ancien particulièrement sinistre.

- « Je crois que les locataires ont encore du boulot à faire sur la déco », fit Vorshek d’un air dégoûté.
- « Moins fort, votre souveraineté ! C’est l’endroit idéal pour une embuscade ! »
- « À ce propos
», lança Gonzague, « je tiens à signaler qu’en cas de latte avec l’occupant, je suis superbement inutile de ma position. En plus, je vois que dalle, j’ai la queue de la licorne dans le pif et son gros derche qui me bouche la vue. »
- « Passe devant, mais avec discrétion ! L’écho peut révéler notre présence à mille pas dans ce couloir. »
- « C’est super crade ici !
» rouspéta la naine. « Ils n’ont pas encore inventé le balai dans cette ville pourrie ?! »
- « Et que dire de l’esthétique de la construction
», ajouta Vorshek avec dédain. « Il n’y a aucune harmonie, les arches sont irrégulières et la taille des pierres, désastreuse. Ils pourraient au moins dresser une ou deux tentures dans les tons pourpres ou mauves pour dissimuler…Quoi ? Ah oui, conserver le silence. Qui oserait nous attaquer ainsi escortés d’une licorne adulte ? »

Le trio parvint à une caverne au sol couvert d’ossements divers et au plafond ainsi qu’aux parois disparaissant sous les toiles d’araignée. La reine des lieux, une mygale gigantesque, tomba agilement des hauteurs quand les aventuriers rentrèrent dans la grotte. Al plongea par réflexe à terre où il rampa jusqu’à un coin mais Vorshek se dressa face à la créature en la menaçant d’un index provocant.

- « A l’attaque, brave licorne ! Terrasse ce monstre démoniaque, fier coursier des forêts, destrier des bosquets, reine blanche enchantée des… »
- « Te fatigues pas
», le coupa Gonzague en dégainant. « Ta coursière s’est barrée dès la première strophe. »
- « C’est ennuyeux
», commenta le prince, gêné. « Du coup, on se barre aussi ? »

Un bruit de pas monta d’un couloir adjacent d’où surgit bientôt Hjotra, lancé à toute vitesse, suivi d’un hobbit grassouillet en justaucorps moulant puis de l’ogre de l’équipe concurrente aperçu au départ. Le nain et son compagnon inconnu passèrent sous les pattes de l’araignée géante sans même la voir, fuyant leur poursuivant aussi vite qu’ils pouvaient. La créature, surprise, n’eut même pas le réflexe de les attaquer, mais n’hésita plus quand l’ogre passa à sa portée. Les deux monstres se livrèrent un combat d’anthologie tandis que le groupe en profitait pour quitter la caverne par une autre sortie.

- « Joli coup, Maître Hjotra ! » le félicita Al quand la troupe s’arrêta en sûreté pour reprendre son souffle. « C’était un exploit digne d’un héros de votre trempe de nous débarrasser d’une araignée géante aussi abominable ! »
- « Quelle araignée ?
» demanda l’ingénieur. « C’était un ogre qui voulait nous manger. »
- « Vrai de vrai !
» acquiesça le hobbit d’une voix aigue. « Mes aïeux, quelle course ! Je suis en sudation ! »
- « Qui êtes-vous ?
» demanda Vorshek.
- « Bonjour, bel être sylvestre », susurra le hobbit en dévorant Vorshek des yeux. « Ta silhouette gracile flatte ma vue comme celle de mes bourrelets aiguisait l’appétit de notre ami ogre. Je me nomme Cyril, mais vous pouvez m’appeler Cerise, mon nom d’artiste. Je suis barde et je dois la vie à votre compagnon. Mon épée est donc à votre service ! »
- « Votre fourreau est vide
», lui fit remarquer Gonzague.
- « Oui, là, je l’ai un peu oublié. Mais virtuellement, mon épée est à votre service ».
- « Un service virtuel
», répéta Al, incapable de détacher son regard ébahi de la tenue moulante et bariolée du hobbit.
- « Mais où étiez-vous, Maître ? » s’exclama Gonzague, tandis que Cyril s’épongeait le front avec un mouchoir brodé aux motifs fleuris. « Et où avez-vous cueilli…Cerise ? »
- « Il pionçait dans une chambre
», répondit le nain en commençant à pique-niquer ses provisions dans le couloir. « Il est tombé du lit quand j’ai mis malencontreusement le feu à la pièce en cherchant ma gourde. Il s’est réveillé et m’a suivi, mais sa chanson a attiré l’ogre qui voulait nous manger à la broche. »
- « En grillade
», rectifia Cyril en mangeant à son tour.
- « J’ai rien compris », avoua Gonzague. « Ce doit être moi parce que les mots ont tous un sens, mais dans l’ordre où ils sont, ça ne veut juste rien dire. »
- « Je participais à l’épreuve et j’ai du m’endormir dans cette chambre
», expliqua le hobbit. « Mes compagnons ne doivent pas être bien loin. Mais c’est curieux, je ne me souviens pas que le roi Lou Stik IV autorisait des équipes interraciales comme la vôtre. »
- « Lou Stik IV ?!
» tiqua Vorshek en s’adressant discrètement à ses compagnons. « Sa dynastie remonte à deux siècles et demi. »
- « Pour ma culture personnelle, c’est quoi la marque du lit qui fait dormir deux siècles que j’évite de me faire arnaquer par un vendeur ?!
» demanda Gonzague, perplexe.
- « Je présume que le lit était ensorcelé », répondit Vorshek. « On va éviter de dire la vérité à Cyril au cas où le choc le tuerait ou pire, le ferait chanter. »
- « Génial !
» lança Al. « On aurait pu trouver un trésor, mais à la place on hérite d’un hobbit joufflu amateur d’elfe et barde de surcroît, ronquant depuis plus de deux cent piges ! Je vous avertis tout de suite que vous paierez sa prime avec vos parts de la récompense ! On repart, les filles ! Enfin…je me comprends. »
- « Tiens !
» fit Hjotra en cherchant la licorne. « Qu’est-ce que vous avez fait de l’âne ? »
- « On l’a retrouvé
», marmonna Al en ouvrant la marche.

La petite troupe intrépide poursuivit son chemin dans les souterrains sinueux, tombant ça et là sur un concurrent échoué dans un affreux piège mortel ou sur les traces d’un sanglant combat récent. Al déclencha trois pièges en cent mètres avant de laisser sa place en tête, l’un d’eux consistant à un jet de fléchette empoisonnée qui atteint Cyril à l’abdomen, mais rebondit dessus sans se planter et sans que celui-ci ne le remarque. Après une rapide concertation, on décida à l’unanimité de placer Cyril en première place.

- « Possédez-vous quelque talent utile ? » l’interrogea Vorshek, mal à l’aise sous le poids du regard insistant du hobbit.
- « J’ai des doigts de fée et je pratique des massages divins ».
- « Moi qui craignais qu’il ne soit inutile dans le feu de l’action
», se moqua Gonzague.
- « Je possède aussi un organe fort bien pourvu et mon répertoire s’avère très étoffé. Je suis un barde que l’on s’arrache. Si seulement j’avais mon instrument à portée, je vous montrerais comment je suis véloce pour promener mes mains expertes sur son manche. »
- « Tout va bien, sa seigneurie ? Tu es tout pâle et tes lèvres tremblotent. »
- « Je ne sais pas[/i] », marmonna l’elfe. « J’ai une soudaine nausée… »
- « Je crois que le pauvre enfant succombe à mon magnétisme animal », déclara Cerise avec un sourire pincé.
- « J’ai des bouffées de chaleur insupportables
», confessa Vorshek.
- « Ça devient indécent », ricana Gonzague.
- « Non, sa principauté a raison, il fait drôlement chaud tout à coup et le truc animal de Cerise n’y est pour rien. On doit approcher d’une source chaude. L’air est aussi très humide… »

Un sourd vrombissement déchira le silence et la silhouette monstrueuse d’un moustique géant gros comme un bœuf se découpa dans la pénombre face au groupe.

- « Oh, Dieux du fiel ! » jura Gonzague. « Vous avez vu l’engin dégueu ?! Personne n’a de la citronnelle sur lui ? »
- « Il faudrait une grosse tapette
», déclara Hjotra, faisant aussitôt converger tous les regards vers Cerise.

C’est à cet instant précis que l’ogre survivant de sa rencontre agitée avec l’araignée géante apparut dans le dos des aventuriers, grognant et lourdement blessé.

- « Petit nain ! » appela le monstre se vidant de son sang, faisant sursauter tout le groupe qui fit volte-face, à l’exception de Hjotra, impassible.

- « Ne lui répondez pas », fit l’ingénieur avec dédain. « Petit nain, c’est un pléonasme, c’est absurde. »
- « Sa suzeraineté !
» gémit Al en surveillant l’approche des deux créatures entre lesquelles ils étaient coincés. « Ce n’est pas le moment propice pour faire péter un peu de magie là ?!»

Vorshek s’exécuta et lança instinctivement un sortilège sur l’ogre qui poussa un gémissement surpris avant de renouveler ses appels avec néanmoins une légère différence. A présent, il possédait le même timbre de voix qu’une fillette de sept ans.

- « Quoi ? » demanda Vorshek, foudroyé du regard par Gonzague et Al.
- « Je pensais à quelque chose de plus radical ! » cria ce dernier entre panique et colère.
- « Moi je trouve que ça donne un côté sensible et enfantin à cette virile masse de muscles sauvage », déclara Cyril tandis que l’ogre furieux chargeait.
- « Comme dirait le jambon », commenta Gonzague, « on l’a dans l’os ! »

Mais avant que la créature n’atteigne les aventuriers pétrifiés, le moustique géant les survola et plongea sur elle. L’ogre bascula en arrière sous l’impact et une lutte féroce s’engagea avec l’insecte gigantesque rendu frénétique par la vue d’autant de sang. Usant de sa tactique de guerre favorite, le petit groupe en profita pour s’éclipser. Quelques tunnels plus tard, la lumière du jour perça les ténèbres au loin. Al cria victoire et rejoint la sortie en sautillant gaiement, bientôt imité par Hjotra et Cyril.
Il n’y eut aucun applaudissement, ni aucune exclamation enthousiaste de la foule. Le temps que leurs yeux s’accoutument de nouveau à la lumière brute, les aventuriers promenèrent des regards clignant et interrogateurs autour d’eux. Ils ne comprirent qu’ils étaient sortis du donjon par leur propre point d’arrivée que lorsque le docteur Classe, hébété, se planta devant eux d’un air emporté.

- « Vous avez oublié quelque chose, les nullards ? » marmonna-t-il entre ses mâchoires serrées. « Votre cerveau peut-être ? »
- « On a tourné en rond ?
» demanda Al, incrédule. « Ça veut dire qu’on n’a pas remporté l’épreuve ? »
- « Non, pauvre cloche de perdant !
» rugit l’alchimiste en colère. « Et tu connais le plus beau ? Votre saleté de licorne brillante a réussi à la trouver, elle, la sortie ! Et la première ! Mais votre victoire ne pouvait être validée que si toute l’équipe parvenait à la rejoindre, quelle que soit son classement ! Vous êtes éliminés, bande de peigne-culs ! Rendez-moi mes tuniques ! »

Vorshek et Gonzague se tournèrent vers Al et, tandis que le docteur Classe les dépouillait de leur tunique sponsorisée, se mirent à applaudir lentement leur ami, au rythme des impacts de légumes pourris lancés par la foule les atteignant.

- « On a perdu… » murmura le rôdeur, dévasté. « Ma dette…Comment je vais rembourser…Maître Hjotra, je suis navré, je ne suis pas en mesure de vous rembourser tout de suite. Vous pouvez m’accorder plus de temps ? »
- « Quoi ?!
» s’exclama Vorshek. « C’est contre Maître Hjotra que tu as perdu notre pognon aux dés ?! »

« Je ne vous l’avais pas dit ? » furent les derniers mots de Al sous sa forme humaine avant qu’un violent sortilège elfique ne le transforme en porcelet vert émeraude qui fut offert en cadeau à Cyril, euphorique.

Bilan de la mission :
Vorshek : Magie de défense instinctive : +1
Al(adin) : Orientation souterraine - 10, empathie porcine : + 1
Gonzague : Esquive légumière : +1
Hjotra : Antipathie envers les ogres : +1
Cyril (Cerise) : Reconnaissance des pièges basiques : - 1
Experience acquise : Grotesque


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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 3 Oct - 22:08

Episode 128 – Le Rhume Rouge


Assis au bord de la route à l’ombre d’un grand chêne, Vorshek, Gonzague, Hjotra, Cyril le hobbit et son porcelet vert déjeunaient paisiblement en regardant cheminer les voyageurs. Dans un soupir las, Gonzague lança sur Al le cochon son morceau de pain rassis et caoutchouteux qu’elle mâchait vainement depuis plusieurs minutes en grimaçant.

- « Qu’est-ce qu’on a mangé hier soir ? » demanda Vorshek tandis qu’elle grommelait.

La jeune naine se tourna vers Hjotra et observa sa barbe en broussaille.

- « Des manchons de canard…et de la purée de fèves », répondit-elle en écartant un épi pour mieux voir.
- « Tâchez de vous en souvenir parce que c’était notre dernier véritable repas avant au moins une semaine. A cause de notre distingué joueur impétueux » (Vorshek jeta un gland sur le rôdeur transformé en porc) « qui a paumé notre argent au jeu et de Maître Hjotra » (l’elfe jeta un autre gland sur le nain cette fois-ci) « qui refuse de nous le rendre, on est raides comme des clochards et notre alimentation va dorénavant s’assimiler à la leur. »
- « Seigneur Arzhiel m’a bien recommandé de vous laisser vous débrouiller seuls, surtout si c’était moi qui vous avais mis dans la panade
», se justifia Hjotra en surveillant l’arbre du coin de l’œil pour éviter une autre chute de gland.
- « Peux-tu éviter de jeter de la nourriture à ma Coquette, je te prie, mon doux ami ? » demanda Cyril en flattant le flanc de Al qui couinait. « Je ne veux pas qu’elle s’empâte. »
- « Et pourquoi pas ?
» fit Gonzague. « Ça nous fera à manger comme ça. »

Al poussa un couinement apeuré à ses mots et s’enfuit dans les bras de Hjotra qui reversé par l’impact, enchaîna une prise de lutte sur le goret affolé. Vorshek se pencha discrètement vers Cyril pour lui parler à l’oreille.

- « Mon doux ami ? Comme hier soir à l’auberge, la veille, l’avant-veille et tous les jours depuis la sortie de ce fichu donjon, c’est toujours le même topo : votre familiarité débordante, vous la gardez coincée dans votre culotte où je vous change en pot de confiture pour Coquette. »

Le hobbit, plus amusé qu’inquiet, mima un feulement à l’attention du demi-elfe dépité avant de retourner à son bout de pain.

- « Si tout le monde a fini », lança Vorshek, « on reprend la route. Curieusement, je ne suis pas encore séduit par l’idée de dormir dans un fossé alors on va tâcher d’arriver tôt pour avoir le temps de mendier un coin de grange aux bouseux…Oh, misère, mon biorythme va être complètement chamboulé. »
- « Y a pas de dessert ?
» demanda Gonzague, effarée par cette perspective.
- « Si, j’ai un mille-pattes ! » répondit Hjotra. «Je voulais le coller dans le lit de Cerise ce soir, mais si on pionce dans un fossé, c’est fichu… »

Les aventuriers se remirent en chemin sans grand enthousiasme, ce à quoi proposa de remédier Cyril en entamant un chant entraînant avant de recevoir un mille-pattes à moitié mangé dès le premier accord. Al menait l’expédition en trottant en tête, poursuivant son rôle de guide malgré sa nouvelle condition porcine. Et surtout pour éviter de traîner à portée de Hjotra qui lui tirait sans arrêt sa queue en tirebouchon.

- « Je vais peut-être dire une connerie… » commença timidement Gonzague.
- « Ah pour une fois, c’est pas moi », se défendit Hjotra.
- « Tu ne pourrais pas lever ton sortilège sur Al ? » demanda la naine. « Même si c’est un boulet doublé d’une tâche indécrottable, on aura peut-être besoin de lui pour cette mission, non ? »
- « Pour quoi ?
» rétorqua sèchement Vorshek. « Pour dilapider notre solde ? Non, on va porter ces missives jusqu’à Trou-de-Bouc et réussir ce travail. Personne n’est indispensable dans cette équipe, y a même pas mal de superflus ! »
- « N’empêche le changer en porc vert et le refiler en cadeau à Cerise, c’est rude. Tu sais à quoi ça me fait penser ? Ça me fait surtout penser à un sortilège typique de ta mère.
»

Vorshek pila net, aussitôt percuté par Cyril qui, curieusement bien près de lui et fort distrait par ses observations de l’elfe marchant, lui rentra dedans.

- « Tu as dit quoi ? » tiqua le magicien sans même prêter attention au hobbit qui se relevait en se frottant outrageusement à lui.
- « Changer les gens qui gonflent en bestioles, c’est carrément le truc de ta mère ! Elle a changé mon père en rat une fois. Je le sais, ma mère l’a supplié cent fois de recommencer. »
- « Et moi en orque, en chauve-souris, en siffleur des collines et en pied de table
», rajouta Hjotra en comptant sur ses doigts.
- « Vous trouvez que je reproduis inconsciemment le comportement de Mère ? » murmura Vorshek, horrifié et hébété par cette révélation.
- « C’est un peu moins flagrant que l’époque où tu voulais porter ses robes, mais tu dois admettre que tu fais tout pour lui plaire et lui ressembler », expliqua Gonzague au demi-elfe stupéfait. « Il te faudrait un style perso pour te démarquer de son influence. »
- « Au lieu de changer les gens en animaux, tu pourrais les décapitête ?
» proposa Hjotra.
- « ON VA TOUS MOURIR !!! »

Le petit groupe sursauta aux beuglements larmoyants d’un humain frappant en rythme sur une casserole, brusquement surgi des fourrés. L’œil hagard et humide, le teint pâle et marqué, la peur panique figée sur ses traits disgracieux, l’homme considéra un instant avec perplexité le cochon vert accompagnant les voyageurs puis s’effondra en larmes. Tombé aux genoux de Cyril dont il caressa les chausses à talons et pompons avec affection, l’inconnu se coiffa de sa casserole et fixa le barde en reniflant.

- « J’avais prévenu que la tenue du hobbit risquait de choquer les gens », plaisanta Gonzague.
- « On va tous mourir », pleurnicha l’inconnu.
- « C’est plus cher si vous touchez, monsieur », l’avertit Cyril en tentant de dégager sa jambe de l’emprise du malheureux. « Donnez-moi votre nom, au moins, je ne suis pas qu’un objet de fantasme, j’ai aussi des sentiments. »
- « L’épidémie s’abat sur nos campagnes ! C’est la fin ! »
- « L’épidémie, comme la fête avec la galette et la fève?
» demanda Hjotra. « Si tard dans l’année ? »
- « Non, ça c’est l’épiphanie
», rectifia Gonzague. « C’est quoi cette histoire d’épidémie ? »
- « Fuyez tant que vous le pouvez encore !
» meugla l’homme. « C’est la terrible épidémie de Rhume Rouge ! »
- « Oh non, encore une connerie de maladie bidon de pécores !
» protesta la guerrière en soufflant. « L’an passé, c’était la variole qui faisait pisser du sable et l’an d’avant, la tremblote qui déchaussait les dents. Ils ne savent plus quoi inventer pour se rendre intéressants ces paysans ! »
- « Non, mais ce n’est pas impossible
», déclara Cyril. « Vu l’hygiène du loustic là, j’imagine que les gens du cru ne vénèrent pas les sources et les rivières, donc une maladie contagieuse est possible. Dites, mon brave, c’est quoi ce Rhume Rouge ? Avec du bol, ça pourra faire une bonne chanson. »
- « Un redoutable fléau, seigneur ! Les pauvres gens reniflent, se mouchent, éternuent et parfois toussent ! Est-ce que vous vous rendez compte ?! On a déjà eu deux morts sur plus d’un millier d’infectés, un vieillard de cent douze ans et une femme renversée par une charrette pendant qu’elle éternuait ! C’est la fin du monde ! »
- « Mais vous l’entendez déblatérer ses âneries ?
» rouspéta Gonzague. « Un rhume mortel, n’importe quoi ! Vous allez voir qu’il ne va pas tarder à nous vendre un remède miracle à prix d’ami. Et toi, tu ne dis rien, prince ? »
- « Je crois que je reproduis inconsciemment la magie de Mère pour lui prouver que je suis digne de son enseignement et surtout parce qu’elle me fiche une trouille bleue
», murmura le magicien, les yeux dans le vague. « Elle était si émue la première fois que j’ai changé un larbin en caniche nain qu’elle l’a foudroyé de joie. Il m’arrive encore de sentir cette odeur de chairs cramées et d’entendre ses applaudissements dans mes rêves… »
- « C’est un symptôme ça ?
» demanda Hjotra au paysan.
- « S’il a le nez qui coule, c’est bien possible ! » lança l’autre avec aplomb. « Dans tous les cas, ne vous approchez pas du comté de Cours-la-Gueuse et des environs de Trou-de-Bouc ! C’est plein de contaminés avec de la toux et de la fièvre ! »
- « De la fièvre aussi ?!
» s’exclama Hjotra, affolé. « Alors on va tous mourir ? »
- « Je comprends pourquoi ces pétochards de la cité nous ont embauchés pour jouer aux coursiers
», commenta Gonzague. « Ils ont choisi les premiers clampins qui passaient parce que tous les autres ont refusés. Rien que par esprit de contrariété, j’ai envie de plier la mission maintenant ! »
- « Mais l’épidémie de Rhume Rouge ?
» fit Cyril tandis que Hjotra enfilait une chaussette sur sa tête comme bonnet.
- « Je ne vais pas me laisser impressionner par des bouseux avec la morve au nez. Et le premier qui vient me scier les pattes, il va moucher rouge pour une bonne raison. Vorshek ! Vorshek ? Il plane encore comme sa mère shootée par ses plantes ! »
- « Que doit-on faire si on rencontre un contaminé ?
» interrogea Cyril en proie à une vive angoisse.
- « Il faut le fuir ! Ou au mieux, le jeter au feu. »
- « Le brûler ? Ce ne serait pas une maladie inventée par Svorn ?
» songea Hjotra.

L’homme retroussa les narines et éternua brusquement avant de gémir de terreur. Aussitôt, une boule de feu le happa de plein fouet et l’envoya se consumer dans les broussailles d’où il avait jailli.

- « Le feu, c’est pareil, c’est ma mère tout craché ! » soupira tristement Vorshek en éteignant ses doigts. « Il faut que j’abandonne ces sorts…Quoi ? Vous n’avez pas dit à l’instant de brûler ceux qui éternuaient ? »

Gonzague voulut lui dire que sa mère n’aurait pas agi autrement, mais préféra s’en abstenir tant que les flammèches des doigts du demi-elfe et son air contrarié sur son visage ne s’étaient pas éteints. Les aventuriers regardèrent le paysan s’enfuir à toutes jambes, les cheveux embrasés, le remercièrent, de loin, pour ses avertissements, puis reprirent la route en direction de Trou-de-Bouc.

- « Il est possible que l’amour possessif et étouffant de Mère ait affecté mon comportement, jusqu’à ma magie elle-même », réfléchit Vorshek à haute voix tandis qu’ils marchaient vers leur destination. « Mes magnifiques et soyeux cheveux blonds, je les porte comme elle ! Ah s’ils n’étaient pas aussi superbes, je crois que je les couperais ! Non, mes chéris, je disais ça sous le coup de la colère, je n’en ferai rien. »

Gonzague regarda son ami caresser et embrasser ses mèches en leur murmurant des mots doux et trouva plus sage de s’écarter d’un mètre.

- « J’ai bien fait de lui faire cette remarque », déclara-t-elle, entre ironie et culpabilité. « Maître Hjotra ? Qu’est-ce que vous fabriquez ? »
- « Je me tricote des gants, une écharpe et un masque dans la cape de Al pour me protéger du Rhume Rouge. Zut ! J’ai oublié un doigt ! J’avais pourtant bien compté cette fois ! »
- « Vous voulez bien arrêter ? C’est ridicule ! »
- « Je fais avec les moyens du bord, je n’ai pas choisi la couleur. C’est moche mais ça peut me sauver la vie des éternuements. Ah, mais j’ai compris de quoi tu voulais parler. C’est à cause de la cape ? Je ne crois pas que Al s’en servira en cochon. Ça ferait bizarre sinon, non ? »
- « On était bien d’accord que j’étais le seul autorisé à habiller Coquette !
» intervint Cyril en désignant le porc. « C’est mon goret ! »
- « Oh non, mais vous aussi ?!
» s’exclama Gonzague en montrant le foulard couvrant la tête du hobbit. « Ne me dîtes pas que vous gobez cette histoire débile d’épidémie ? »
- « Vous seriez étonnée de tout ce que je peux gober, damoiselle
», rétorqua le barde d’un ton ampoulé. « Ce brave gueux malodorant a parlé de Rhume Rouge mortel, je vous rappelle et vous nous précipitez droit au cœur du foyer d’infection. Je suis peut-être né il y a plus de deux cents ans, mais je ne tiens point à mourir jeune. »
- « Cette épidémie est bénigne, ce n’est qu’un rhume
», fit la naine, lasse.
- « Il n’empêche que je prends toujours mes précautions en me couvrant quand je vais rencontrer des inconnus. Et j’ai distinctement senti plusieurs picotements au fond de ma gorge. »
- « Vous avez braillé…pardon, chanté deux heures d’affilée ce matin ! »
- « Des picotements ?!
» s’écria Hjotra, paniqué. « Et moi je commence à avoir mal à l’aine. » Le nain toucha sa nuque. « Nous sommes infectés ? »
- « Et incurables, j’en ai bien peur
», marmonna Gonzague tandis que le hobbit proposait un massage au nain terrifié cherchant à prendre son pouls dans son nombril. « Vorshek, veux-tu bien sauter à bas de ton nuage et expliquer à ces corniauds qu’un rhume n’est pas mortel ? »
- « Que suis-je censé faire ?
» l’interrogea le sorcier. « Cet éloignement est l’occasion idéale d’échapper à l’influence de Mère, mais comment m’affirmer en tant que personne indépendante de sa volonté et de ses désirs maternels ? Je ne peux radicalement pas renoncer à son enseignement magique, je suis si doué pour les arts occultes ! Ce serait comme essayer de renoncer à tant plaire, c’est inconcevable et absurde. »
- « Je crois que je vais regretter ces paroles, mais Al me manque
», soupira la naine en se massant les tempes.

L’impétueux groupe d’aventuriers parvint avec courage aux abords déserts du village de Trou-de-Bouc, malgré les doutes existentiels et la peur de l’épidémie qui hantaient ses rangs. Un silence pesant régnait sur le bourg qui semblait vidé de ses habitants. Gonzague appela à plusieurs reprises et n’obtenant pas de réponse, fit couiner Al le porcelet pour attirer l’attention, sans succès. Portes et volets fermement verrouillés ne s’ouvrirent toujours pas. Il ne fallut pourtant que les premiers mots chantés de Cyril pour que les habitants surgissent brusquement et en nombre de leurs maisons barricadées.

- « Approche cher public ! » lança le barde, enchanté. « Viens jouir auprès de moi de la beauté incomparable de mes chansons et…Pourquoi vous avez apporté des fourches et des torches ? Je n’accepte que les roses blanches et les peluches, vous savez. »

Les villageois, le regard sévère et l’expression hostile, encerclèrent les étrangers en tendant vers eux leurs armes de fortune.

- « Bonjour !» lança timidement Gonzague. « C’est le facteur ! On a une missive pour le chef du village. »

Un homme bourru s’avança en grognant, essuyant sa morve sur sa manche. Il s’empara de la lettre, la décacheta, la parcourut, puis la tendit à un autre qui lui, savait lire.

- « C’est un avis de quarantaine du baron », déclara ce dernier à la foule. « Il dit qu’on ne doit pas quitter le village parce qu’on est tous malades du Rhume Rouge. Ses soldats arriveront bientôt pour brûler nos chaumières et nous « soigner » afin d’éviter que la maladie ne se répande sur le reste de ses terres. »
- « C’est déjà sympa de sa part de vous prévenir
», remarqua naïvement Hjotra tandis que la colère grondait.

Les villageois échangèrent regards entendus et grognements avant de refermer leur cercle sur les aventuriers, fourches en avant.

- « Qu’est-ce qu’on fait ? » demanda Gonzague en sortant sa hache. « Ils sont trop nombreux, je ne peux pas tous les viander ou alors il faut leur demander d’avancer un par un. Vous croyez qu’ils accepteront ? Prince, tu ne veux pas aider ? »
- « Qu’est-ce que Mère ferait ? Elle ferait un génocide par le feu et l’éclair avant de se repomponner évidemment. Que ferait Père ? Il les latterait jusqu’au dernier avant de leur faire les poches. Je ne peux raisonnablement pas tendre vers l’une ou l’autre de ces solutions. »
- « Attendez !
» fit Gonzague aux paysans dans une approche diplomate. « Cette histoire de Rhume Rouge n’est qu’un prétexte politique pour se débarrasser de vous ou pour enrichir un quelconque fabricant de potions de soins ! Si vous nous butez, ça donnera au baron une justification supplémentaire de vous massacrer. Si vous nous laissez repartir entiers en revanche, la population de la cité verra que nous ne sommes pas infectés par cette maladie en bois et qu’il n’y a aucun motif de vous faire déblayer par la milice ! Vous comprenez ? »
- « Les premiers rangs ont décroché au mot « diplomate »
», l’informa Cyril. « Tu veux que je répète en chantant pour que le message passe mieux ? »
- « Mais nous sommes vraiment malades !
» cria le chef du village. « J’ai le nez bouché et si je ne respire pas avec la bouche, je suffoque, c’est un signe quand même ! Donc comme on est condamnés à mourir étouffés par nos glaviots, on peut bien vous tuer pour le plaisir. Vous comprenez ? »
- « Ok, c’est des bourrins
», conclut Gonzague. « Prince, fais chauffer les flammèches, le bal va commencer. »
- « Le bon sens voudrait que je les épargne et la logique que je leur défonce leur race
», réfléchit le mage. « Mais c’est tellement impersonnel et prévisible ». Le regard du demi-elfe tomba alors sur Al qui fouillait un tas d’ordures proches en quête de nourriture. «[i] Je sais ! J’ai trouvé ! »

Vorshek poussa un cri de joie tandis que les premiers villageois attaquaient. Un simple sortilège de soins groupé de sa part et ils furent aussitôt délivrés de leur rhume.

- « Un échantillon gratuit », expliqua-t-il aux paysans médusés devant ce miracle. « Pour ceux qui veulent être soignés du Rhume Rouge, envoyez les piécettes ! »

- « Combien on s’est fait ?
» demanda Cyril, des heures plus tard, au départ du dernier paysan des environs soigné par Vorshek.
- « Combien je me suis fait », rectifia le demi-elfe devant ses sacs d’or. « Environ la même somme que Al nous a fait perdre, ainsi que trois moutons, une vache et treize poulets. Quel bonheur d’avoir enfin trouvé ma voie ! Grâce à Al dont la vision m’a inspiré cette formidable idée d’exploiter la stupidité d’autrui pour s’enrichir, je sais que je suis fait dorénavant pour un seul art : la magie pécuniaire ! »
- « Super
», le félicita Gonzague en baillant d’ennui, frustrée de n’avoir pu taper sur personne. « Tu ne veux pas annuler ton sort de métamorphose sur lui pour fêter ça ? Tu lui dois bien ça maintenant, non ? »
- « Je trouve que tu insistes bien fortement pour sauver notre camarade. »
- « Je crois surtout qu’il sera plus à même de me rembourser l’argent qu’il me doit en humain qu’en goret.
»

Vorshek reconnut la justesse de l’argument et rendit son apparence normale au rôdeur, accompagné du cri déchirant de Cyril appelant sa Coquette évanouie. Al, ahuri et perdu, accroupi au milieu d’ordures et d’immondices, regarda nerveusement autour de lui en essayant de comprendre ce qui lui était arrivé.

- « Oh mon dieu ! On dirait…On dirait Trou-de-Bouc ! Fuyez ! Parait qu’il y a une terrible épidémie ici ! »

Bilan de la mission :
Vorshek : Fanatisme maternelle -1, déblocage de la compétence « Magie Pécuniaire »
Al (en version Coquette) : Fouille ordurière +1
Gonzague : Foi envers le complot gouvernemental-instituts alchimiques : +1
Hjotra : Couture : +1
Cyril (Cerise) : Invocation d’ennemis par le chant : +1
Expérience acquise : Insignifiante
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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 3 Oct - 22:09

Episode 129 – Les garçons sont trop nuls


Il régnait une chaleur de tous les diables dans ce tunnel obscur et sinistre qui semblait plonger droit vers les enfers. Al, Gonzague et Hjotra attendaient patiemment, suant à grosses gouttes et réduits à l’immobilité, mais pas au silence, par la température élevée trahissant la proximité du lac de lave de cette montagne.

- « Par les roustons du Haut-Père, on va crever de chaud si ça continue ! » se plaignit Al. « J’ai la raie du fion qui fait gouttière. »
- « Et moi j’ai le papier qui colle aux bonbons
», répondit Hjotra en tirant sur son pantalon.
- « Ho, les poètes ! » grogna Gonzague. « Surveillez votre langage, y a une dame ici ! »

Al se leva d’un bond et bouscula la naine en faisant mine de chercher dans tous les coins.

- « Pousse-toi, Gonzague. Il parait qu’il y a une dame ici ! »

Vorshek apparut à ce moment à l’extrémité du couloir et approcha, Cyril sur ses talons.

- « C’est bon, j’ai pu finalement obtenir un laissez-passer. On y va. Al, lève-toi je te prie. Tiens, pourquoi tu saignes du nez ? »
- « C’est rien, mon humour a moins bien fait mouche que le revers de la main de Gonzague. Tu as réussi à convaincre les gardes du tunnel alors ? »
- « Ils m’ont d’abord envoyé paître avant de m’inviter à tester un rapport sexuel avec un bouc, mais se sont rapidement ravisés lorsque Cyril a commencé à ôter ses vêtements sous l’effet de la chaleur. On a même eu droit à une ristourne quand il s’est mis torse nu. »
- « Je n’ai pas eu de si horribles bouffées de chaleur depuis la fois où j’ai rencontré ce musculeux gladiateur à une soirée privée
», déclara le hobbit en s’éventant de la main. « Croyez-moi quand je vous dis que les sportifs compensent largement leur absence d’esprit par une vigueur à toute épreuve…Enfin, je vous épargne les détails. »
- « Oui, par pitié
», supplia Al. « Je n’ai pas terminé ma digestion, merci. »
- « Le tunnel débouche directement à flanc de montagne
», expliqua Vorshek à la troupe. « Le col menant à la frontière n’est qu’à une heure de marche et après ça, on pourra s’estimer hors de danger. Je ne pensais pas que ce baron se trouverait si offusqué par ma guérison miracle de son faux Rhume Rouge. Envoyer trois bataillons à notre poursuite, je trouve cela un tantinet exagéré et immature. »
- « Non, mais c’est les humains ça, susceptibles à l’excès
», ironisa le rôdeur. « Après tout, tu as juste fichu son plan d’extorsion en l’air, soulevé la population contre lui et en plus, tu t’es en chemin farci sa fille en route pour son couvent. »
- « Quel hasard quand j’y pense que nous soyons descendus à la même auberge
», rit doucement le magicien. « En même temps, ce n’était pas prémédité et c’est elle qui a provoqué avec sa tenue aguichante. »
- « Elle portait sa robe de religieuse !
» protesta Gonzague, choquée.
- « Quelle importance ? » répondit Vorshek en haussant les épaules avec nonchalance. « Elle ne l’a pas porté longtemps. »

Les garçons gloussèrent tandis que la naine levait les yeux au ciel.

- « Et vous, Maître ? » demanda-t-elle en se tournant vers Hjotra. « Vous êtes-vous remis de votre biture depuis l’auberge ? »
- « Oui, je sais rester raisonnable. Pas plus de deux tonnelets quand on est en quête. Cette fois, je n’ai perdu aucun de mes vêtements, je n’avais pas d’ustensile de cuisine dans mes fonds de culotte et l’écurie dans laquelle je me suis réveillé était bien celle de l’auberge. Par contre, j’ai du me daller comme une pauvre merde parce que je me suis ruiné le genou. Je crois que c’est le nerf. Je douille. Ça s’appelle comment le nerf au genou ? »
- « Un nerf…boriste
», répondit Vorshek.
- « Un nerf…bivore », ajouta Al.
- « Un nerf de famille », enchaîna Gonzague.
- « Un nerf…pès », renchérit Cyril en gloussant.
- « Un nerf…hétique ! » lança le chef des soldats du baron, surgissant d’un virage et entouré par vingt de ses camarades. « Saisissez-les ! »
- « Attendez !
» protesta Hjotra tandis que le groupe, pris de panique, s’enfuyait à toute jambe. « C’est mon tour ! Un nerf hisson ! Hérisson ! C’est pas du jeu si vous n’écoutez pas ! »

Les aventuriers revinrent sur leurs pas et bifurquèrent peu avant de rejoindre le passage payant par lequel arrivaient encore d’autres ennemis. Vorshek lança un sortilège sur les plus proches, enfermant leurs pieds dans des blocs de glace qui firent glisser et déraper les guerriers dans tous les sens dans un savoureux et complet désordre. Grâce à ce répit, les fuyards purent disparaître dans la pénombre d’un autre couloir perdu au milieu du dédale s’étendant sous la montagne.

- « La sortie vers le col est coupée », gémit Cerise. « Et il y a des gardes partout qui vont certainement abuser de mes charmes s’ils nous capturent. Ça craint du boudin ! »
- « Gonzague, on parle de toi
», fit Al avant de ramasser une nouvelle gifle cinglante.
- « Je ne suis pas certain que le moment soit bien choisi pour faire de la blague », remarqua Cyril.
- « Vaseuse en plus », grommela Gonzague en foudroyant le rôdeur du regard.
- « Bah quoi ? » fit ce dernier. « Sa majesté se marre bien, lui, et personne ne dit rien. »
- « C’est vrai, ça. Pourquoi tu rigoles comme un bossu, Vorshek ? »
- « Je crois que je vais avoir une bossu au genou
», dit Hjotra en déposant un bisou dessus.
- « Une pensée tout à fait cocasse », répondit le demi-elfe tout fier de lui. « Dans ma lettre quotidienne à Mère aujourd’hui, j’ai fait montre d’une insolente impertinence pour lui prouver que je m’émancipe de son amour étouffant. J’ai signé doux baisers affectueux et non très affectueux comme d’habitude ! Rendez-vous compte ! »
- « ...Super
», marmonna Gonzague. « Sinon, tu as une idée pour nous sortir d’ici ? Les soldats vont tôt ou tard nous tomber sur le râble et contrairement à Cyril, je ne suis guère enchantée à la pensée de les avoir sur le dos. »
- « Je n’en sais trop rien
», répondit Vorshek en baillant. « Je pense qu’on ferait mieux d’attendre ici un moment. »
- «[i] Autant pour moi, je n’avais pas précisé que j’attendais une bonne idée, pas une idée toute moisie. Je ne sais pas si vous avez conscience de la situation. On a une bonne trentaine d’humains plutôt hargneux et remontés à notre recherche et on se planque dans un renflement de tunnel où la chaleur intenable fait remonter les odeurs de pieds de Al ! »
- « Il ne faut pas s’en faire
», sourit Vorshek. « Ce sont des humains paumés dans le noir. Y en a forcément un qui va apercevoir une ombre mouvante et d’ici la fin de la journée, ils auront monté un culte sur la créature des ténèbres hantant la montagne. Attendons qu’ils se lassent, on sortira peinards quand tout sera plus tranquille. »
- « Les filles sont vraiment des peureuses !
» s’exclama Al devant la mine dépitée de Gonzague. « On va surveiller le couloir au cas où l’un de ces péquenots approcherait, d’accord ? Qui va faire le guet ? »
- « Cerise
», répondit Vorshek. « Je crois qu’il possède d’indéniables dispositions pour ce rôle… »
- « Mais vous êtes complètement inconscients, ma parole !
» vociféra Gonzague. « Non, pas pour Cerise, j’aurais aussi voté pour lui…Mais on ne va pas rester à attendre d’être débusqués comme des lapereaux, sans eau, sans provisions et dans cette chaleur à claquer ?! Et si les gardes campent à la sortie ? Vous connaissez un autre moyen de vous barrer de cette foutue montagne plus chaude que Cyril un soir de pleine lune ou Vorshek au bal des jeunes filles à marier ? »
- « De toute manière, on ne peut pas courir les tunnels
», remarqua Al en reniflant ses pieds par curiosité. « Maître Hjotra est blessé au genou. »
- « Et je ne peux pas le soigner
», ajouta Vorshek. « Il n’a pas voulu nous rendre l’argent gagné au jeu contre Al. Et surtout, nous avons un problème plus grave pour le moment. »
- « Prince ou pas
», avertit Gonzague, « si tu me sors que c’est l’heure de ton masque aux algues, je te place un bourre-pif. »
- « C’est pire que ça
», fit le demi-elfe d’un ton solennel. « L’un d’entre-vous a commis une effroyable faute tout à l’heure. Maître Hjotra ! On ne fait pas la liaison entre un et hérisson. Votre jeu de mots est donc invalidé, vous serez de corvée de vaisselle durant toute une semaine. Mon jugement est sévère mais juste ! Ah, comme il est ardu pour un chef de supporter le poids de ses responsabilités…Où s’en va Gonzague ? »
- « Je dirais qu’elle est partie bouder pour au moins trois heures
», répondit Al à son ami étonné. « Evitons de lui parler quelques temps, tu sais comme les filles peuvent être soupe au lait par moment. »

Quelques heures plus tard, son tour de garde étant achevé, Vorshek alla retrouver ses compagnons occupés à se restaurer au fond de leur tunnel obscur. Il alla s’asseoir sans un mot près de Cyril et se pencha vers lui tout en surveillant discrètement Gonzague.

- « Elle est toujours fâchée, vous croyez ? » demanda-t-il.

La jeune naine leva le nez de son auge, la bouche maculée du ragoût improvisé par Al.

- « Tu as de la moustache », lui fit poliment remarquer ce dernier, essuyant la seconde suivante un puissant taquet le renversant cul par-dessus tête.
- « Je dirais qu’elle est encore un peu tendue », répondit Cyril avec un sourire pincé.
- « Qu’est-ce qui lui arrive ? » interrogea naïvement Hjotra. « Il ne faut pas la nourrir après minuit ou quoi ? »
- « Mais qu’est-ce que vous fichez là, vous ?!
» le rabroua Vorshek. « Je vous ai dit trois fois de rester là-bas à surveiller le couloir ! »
- « C’est à cause de ça que Gonzague est fâchée ? »
- « Je suis fâchée parce que les garçons sont débiles
», répondit la naine d’un ton boudeur, « parce qu’il fait super chaud, qu’on est coincés dans ce tunnel naze plein de nazes, parce que personne ne m’écoute, parce que ça pue des pieds et que personne ne surveille le couloir. »
- « Bon, Cyril, vous prenez le tour de garde de Hjotra. Hjotra, posez-vous par là, la vaisselle vous attend. »
- « Mais j’ai déjà passé mon tour de guet !
» se plaignit le hobbit. « Pourquoi je dois y retourner ? »
- « Pour la plupart des raisons évoquées par Gonzague concernant les nazes et les pieds. Allez-y, je vous autorise à chanter si quelqu’un approche.
»

Le visage du barde s’illumina et c’est en courant que Cerise alla prendre son poste. La tension était palpable au sein du groupe accablé de chaleur et rongé par l’inactivité forcée. C’est sans doute cela, allié aux effets incontournables de la soupe de Al, qui déclencha un nouveau conflit.

- « Pet en soirée, nuit en paix », récita Al pour justifier ses gargouillis de mauvais augure.
- « Pet matinal, au soir change de futal », déclama à son tour Hjotra, faisant se lever d’un bond Gonzague qui s’éloigna d’eux, exaspérée.
- « Ce n’est rien », intervint Vorshek pour calmer le jeu. « C’est leur manière d’évacuer le stress. »
- « On peut partir maintenant ?
» râla la guerrière. « Je n’ai pas envie d’être bloquée dans ce tunnel étroit quand ils vont évacuer ce dont ils débattent. Je vais relever Cerise. Appelez-moi quand vous aurez trouvés un moyen de nous sortir de ce trou ou quand l’un de vous sera devenu adulte ! »
- « Sois sûre d’être la dernière informée quand ça arrivera !
» lui rétorqua Al pour avoir le dernier mot. « Sa suzeraineté, sans déconner, elle a raison. Je sue comme un goret et je sais de quoi je parle, j’ai été goret ! Qu’est-ce qu’on fait pour échapper aux soldats ? »
- « Tu as raison, ça devient insupportable
», admit le prince. « Ma peau est toute moite, c’est intolérable. On va devoir sacrifier un membre de l’équipe qui va faire diversion pendant qu’on se taille par le col. »
- « C’est dommage pour Cerise, mais nécessité fait loi. »
- « Mon plan ne marchera pas avec Cyril. Le seul membre de cette équipe susceptible d’attirer l’attention d’une trentaine d’hommes échauffés se doit de posséder davantage d’attributs qu’une passion irrévérencieuse pour les mâles et une docilité envers eux encore plus prononcée qu’une tapineuse à trois sous. On a besoin de Gonzague. Ecoute ça…
»

La jeune naine se retourna en entendant son prénom et regarda d’un air suspicieux Vorshek et Al qui s'approchaient avec des sourires engageants.

- « C’est quoi ces sourires niais ? Vous avez enfin entamé votre puberté ou il reste du rab de ragoût ? »
- « Gonzague, on veut que tu parlementes avec le chef des soldats en le séduisant pour négocier notre reddition. »
- « Pour me faire flécher les miches dès que je montrerai ? Jamais. Allez mourir. »
- « Toi seule peut nous tirer de ce mauvais pas. »
- « Débrouillez-vous, bande de sagouins. Et oubliez-moi. »
- « Il sera plus à même d’écouter une fille ! »
- « Je préfère lécher un mort que faire ça ! »
- « Gonzague, pour une fois, nous avons besoin de ta part de féminité ! »
- « Sérieux, barrez-vous ou je vous latte l’un après l’autre. »
- « Le chef des soldats a dit qu’il te trouvait craquante avec tes nattes tressées en couronne
», déclara Vorshek d’un air détaché. « Je l’ai distinctement entendu en parler à ses gars durant la poursuite. »

La naine, sceptique, fronça les sourcils sans desserrer ni la mâchoire, ni ses doigts sur le manche de sa hache, puis rougit brusquement et gloussa comme une fillette.

- « Il a vraiment dit ça ? Je testais juste un nouveau style avec cette coiffure, je n’étais même pas arrangée. »
- « Il avait l’air conquis pourtant
», poursuivit Vorshek tandis que Al se mordait la langue pour ne pas rire. « C’est un atout considérable pour négocier. Si tu parviens à le faire succomber à ton charme, il nous laissera peut-être partir. Mais…est-ce que tu penses être capable de le charmer ? »
- « Je ne sais pas…mais c’est vrai que c’est pour sauver le groupe…J’espère qu’il est romantique et qu’il aime la chasse et les pièges à ours…C’est un timide, mais il est chef de troupe, il doit être du signe du minotaure, en parfaite harmonie avec moi qui suis du signe du golem…Je me demande comment il s’appelle. La cartomancienne a dit que le nom de l’homme de ma vie aurait entre trois et dix-huit lettres, il y a des chances que ce soit lui…Pourvu qu’il ait toutes ses dents et tous ses doigts, pas comme mon ex…
»

Al et Vorshek regardèrent s’éloigner la jeune naine en plein émoi qui disparut dans l’obscurité en continuant de se parler toute seule.

- « La vache, elle a drôlement marché ! » s’exclama Al, sidéré. « Tu crois que ça va réussir ? Elle risque de moins se pâmer quand les humains vont dégainer leurs gourdins. »
- « L’important c’est qu’elle s’approche assez près d’eux et qu’ils ne la dézinguent pas tout de suite. Mais surtout que elle ne leur rentre pas dedans à grands moulinets de hache. Le temps qu’elle comprenne qu’on l’a utilisée et que furieuse, elle dénonce notre cachette, on aura mis les voiles vers la sortie. Cette chaleur est idéale pour l’utilisation de mon sort de Mirage, on passera inaperçus dans la pénombre et pendant que les soldats fouilleront les tunnels à notre recherche, on passera peinards par le passage sans surveillance. »
- « C’est un bon plan
», reconnut Al. « Par contre, entre nous, est-ce que je dois rester sur mes gardes si tu commences à trahir et sacrifier tes amis ? »
- « Tu dois faire référence au rôle de Gonzague
», réfléchit le demi-elfe. « Ne t’en fais pas, je ne suis pas un orc. Ce baron est moderne, il ne maltraite pas les femmes. Enfin…les soldats ne vont pas accueillir Gonzague avec un buffet et des accolades mais ils ne lui maraveront pas les côtes à coups de bambous pendant qu’elle pend par les pieds. Dès qu’on atteint le col, je la téléporte jusqu’à nous. Tu vas voir qu’elle nous sera même reconnaissante de l’avoir sauvée. »
- « Mouais
», conclut Al d’un air perplexe. « Je vais quand même faire gaffe à mes arrières moi… »
- « Va chercher les deux autres, il est temps de s’éclipser. Quel plan génial, encore une fois. Si je me croisais un jour, je tomberais amoureux de moi !
»

Deux heures plus tard, à l’approche du col et de la frontière.

- « Non mais quel plan foireux ! » rouspéta Al pour la énième fois en essuyant le sang sur son visage avec son bras valide.
- « Oui, bon ça va, on le saura ! » rétorqua sèchement Vorshek en boitant. « Je vous signale que si on n’avait pas eu mon sortilège de camouflage, on ne s’en serait pas sortis du tout ! »
- « C’est clair
», s’exclama Cyril avec ironie, Hjotra assommé sur son dos. « Du coup, les soldats ont improvisés pour nous choper à la sortie en balançant tous ces cailloux. Vous avez conscience de la quantité de fard qu’il va me falloir pour cacher ce coquard ?! »
- « Tout de même
», soupira Vorshek. « Je me demande bien pourquoi ces abrutis d’humains ne sont pas tombés dans le panneau ! »
- « C’est moi qui les ai renseignés
», lança Gonzague, assise indemne et tout sourire sur un rocher au bord de la route à attendre ses compagnons. « Vous me prenez vraiment pour une buse à m’envoyer droit sur l’ennemi pendant que vous vous taillez comme des elfes ?! »
- « Garce !
» s’écria Al avant de ramasser un nouveau jet de pierre. « Tu nous as dénoncés alors qu’on t’avait trahie ?! Tu n’as donc pas de cœur ? On a failli se faire lapider. »
- « C’est moche de tromper les gens
», marmonna Vorshek d’un air blessé.
- « On va dire qu’on est quittes ! » jubila la naine. « Rassurez-vous, même si vous êtes des mufles et des bourrins, je ne vous en veux pas. Grâce à votre couardise, pauvres machos crétins, j’ai pu rencontrer Yosh, le sergent d’armes. Et vous aviez raison, il adore mes couettes. »
- « Toi avec un humain ?!
» fit Al, dégoûté. « Pfff, les filles sont vraiment des allumeuses ! »

Bilan de la mission :
Vorshek : Autosatisfaction -1
Al : Machisme archaïque +1
Hjotra : Esquive de projectiles -1
Cyril : Guet dans l’obscurité +1
Gonzague : Charisme capillaire +1
Expérience acquise : Lamentable
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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 3 Oct - 22:09

Episode 130 - Le Jugement


Hjotra faisait sa lessive au lavoir du village tandis que Gonzague et Al lézardaient au soleil en commentant grassement le dur labeur des paysans un peu plus loin aux champs lorsque le bourgmestre débarqua avec fracas. Suivi d’une douzaine de villageois furieux et prêts à en découdre, le demi-ogre tenait à bout de bras Vorshek par la peau du cou, à un pied au-dessus du sol. Ce dernier, entièrement nu, esquissa un rapide salut à ses compagnons avant de replacer sa main, ultime rempart de sa pudeur et de son intimité.

- « Il est à vous cet elfe ?! » s’exclama le bourgmestre d’un ton aussi peu engageant que les dents saillants de sa gueule.
- « Non », répondit nonchalamment Hjotra après avoir jeté un coup d’œil par-dessus son épaule. « Le nôtre est habillé. »
- « Menteries !
» cria un paysan tandis que la foule des curieux approchait. « Ils sont arrivés ensemble au bourg la semaine passée ! Ils logent à l’auberge, se gavent comme des porcs et glandent à longueur de journée ! En plus, leur voleur pique de la nourriture dans la réserve ! »
- « N’importe quoi !
» protesta Al en bondissant sur ses pieds. « Je suis rôdeur, pas voleur. »
- « Vous savez pourquoi votre pote est nu ?
» interrogea le demi-ogre courroucé.
- « Il prenait son bain ? » tenta Gonzague.
- « Faux ! Il déflorait notre prêtresse sacrée dans une meule de foin ! »
- « Curieux, ce n’est pourtant pas son style
», fit Al sans se démonter. « Est-ce que l’on peut considérer cela comme une sorte de rituel pour fertiliser la terre et bénir les récoltes ? »
- « Notre prêtresse était la seule capable de repousser la malédiction de la région grâce au pouvoir de sa déesse et surtout de sa pureté. Sans sa virginité, sa magie est inefficace ! Votre elfe pervers vient de tous nous condamner à un sort horrible ! »
- « Cette triste nouvelle nous brise le cœur
», déclara Gonzague d’un air affecté. « Mais de toute manière, cela ne nous concerne plus puisque c’est justement aujourd’hui que nous avions décidés de quitter votre charmant village. Euh…On peut récupérer Vorshek, je vous prie? »
- « Personne ne va nulle part !
» gronda le demi-ogre furieux. « Le juge royal visitait hier la bourgade voisine. Je l’ai mandé pour qu’il rende son jugement quant au crime de votre comparse. »
- « Et vous croyez qu’on va se laisser faire par une poignée de bouseux et un juge endimanché ?!
» ricana Al. « Cassez-vous dans vos bicoques moisies ou on vous déchire ! »
- « Le juge arrive avec sa garde personnelle de paladins royaux
», expliqua un fermier. « Il ne voyage jamais sans sa trentaine de soldats d’élite n’obéissant qu’au roi. »
- « Des gardes du roi ?
» pâlit le rôdeur. « Et puis, qu’est-ce que j’y connais en architecture, moi ? Elles sont certes d’allure bourrue et typique, mais vos chaumières sont relativement charmantes après tout ! »
- « Emmenez-les !
» marmonna le bourgmestre.
- « Dîtes, je peux au moins avoir mes fringues ? » demanda poliment Vorshek.
- « Oui, oui, ça vient ! » répondit Hjotra, agacé en poursuivant sa lessive. « Je fais aussi vite que je peux, hein ! »

Les villageois en colère menèrent les aventuriers dans un minuscule réduit lourdement gardé tandis qu’on installait sur la place du village le tribunal improvisé, mais surtout la potence.

- « Honnêtement », demanda Vorshek à Al qui observait à travers les planches. « Comment ça se présente ? »
- « Honnêtement ? Ils sont trois fois plus nombreux que tout à l’heure, ils crament des épouvantails avec des grandes oreilles et ils ont même gravé une tête d’elfe sur le bûcher. Je peux me tromper, mais je pense que t’es pas bien. »
- « Misère
», soupira le magicien. « Et Cyril ? Ils ne l’ont pas encore attrapé, il va peut-être nous sauver, non ? »
- « C’est lui qui coud les oreilles et les faux cheveux blonds en paille aux pantins qu’ils brûlent. Manifestement, ça a l’air assez lucratif. »
- « Rétrospectivement, je regrette d’avoir invoqué ce dragon argenté pour impressionner cette prêtresse
», confia Vorshek. « Ça m’a vidé de toute mon énergie mystique. Je ne suis même plus capable de créer la plus petite flammèche ou de lancer le plus basique sort de Célérité… »
- « C’est le sort qui fait pousser les légumes du même nom ?
» demanda Hjotra.
- « C’est ton seul regret avec cette fille ?! » s’écria Gonzague, sidérée. « Une prêtresse sacrée ! Mais tu es perché ou quoi ?! »
- « Sans déconner, ça valait le coup ?
» interrogea Al avec sérieux.
- « Elle avait des couettes, des taches de rousseur et même un accent », répondit le demi-elfe en souriant niaisement.
- « Mais tu es blonde à la détente, mon pauvre ! » gronda Gonzague. « Tu ne réalises pas que tu vas te faire claquer par des pécores parce que cette greluche boutonneuse parlait comme une gardienne de chèvres ?! En plus, c’est nul moi aussi j’ai des couettes et des tâches de rousseur et tu ne m’as jamais emmenée dans le foin…Al, tu refermes ta bouche tout de suite ou je t’éclaircis les ratiches à coups de talon. »
- « On ne peut pas se barrer en se téléportant, ni en comptant sur cette pauvre pomme de Cerise et encore moins en pensant fausser compagnie à nos gardes
», fit remarquer le rôdeur. « Je ne vois pas d’autres solutions que de plaider coupable. »
- « Vous allez sans doute trouver ça saugrenu, mais je ne suis guère séduit par l’idée de me faire calciner pour calmer une bande de cul-terreux. Comment se tirer de ce guêpier ? »
- « On a qu’à contacter vos parents
», dit placidement Hjotra depuis son coin.

Les trois aventuriers se tournèrent vers leur compagnon, moins frappés par l’évidence de la solution que par l’incongruité de la situation où Hjotra avait émis une idée potable.

- « Votre mère m’a fourgué cette boule dans mes paquetages à notre départ », expliqua l’ingénieur en sortant un cristal de communication de ses poches. « J’ai mis trois jours à comprendre que communication n’a aucun rapport avec la faculté de rendre invisible son possesseur. »
- « Génial !
» jubila Vorshek. « Sur les terres du roi, tout prisonnier a droit à un appel télépathique. Mère va me sortir de ce bourbier en deux temps, trois éclairs ! Vous allez voir ça ! Il s’illumine, le contact s’établit, regardez ! »

Une image se dessina lentement à la surface de la boule, révélant les traits rougis et poilus de Arzhiel qui jetait un regard noir à son propre cristal, loin depuis son Karak.

- « Bigre de foutre de mouche ! » pesta le nain. « Non mais vous avez vu l’heure ?! Y a des gens qui pioncent ! »
- « On n’est pas assez loin de la montagne pour qu’il y ait un décalage horaire, seigneur
», fit remarquer Al. « Il est 16 heures, non ? »
- « Oui, c’est ce que je dis
», râla Arzhiel. « Y a des gens qui pioncent. »
- « Père ! Un péril me menace ! Je suis prisonnier d’une bande hostile de paysans qui veulent me traduire en justice ! Je vous supplie de me venir en aide. Appelez Mère ! »
- « Ah non, pas elle ! Vous n’imaginez pas ce que j’ai du batailler pour dégager tous mes boulets, votre mère la première, et me placer une sieste. C’est quoi votre embrouille avec votre gang de pécores ? »
- « Ils m’accusent à tort d’un crime que je n’ai point commis et veulent me juger pour cela. Je risque ma vie et j’ai besoin d’aide. Père, je suis innocent ! »
- « Ah, mais il fallait commencer par là. C’est une histoire de fesse, c’est ça ? »
- « C’est un tantinet plus compliqué que ça
», répondit Gonzague, « mais oui. »
- « C’était évident
», acquiesça Arzhiel. « Fils, vous avez un gros problème. »
- « Avec les filles
», acheva Gonzague.
- « Non, ça on s’en fout. Mais appeler Elenwë à la rescousse, ça, c’est avoir un problème. Ne vous en faîtes pas, mon garçon, papa est là. »
- « Vous allez intervenir ?!
» fit Vorshek, soulagé. « Sans nul doute, ces méchants vilains devront s’incliner devant l’autorité de votre rang de noblesse et reconnaître la futilité de leurs accusations envers un fils de seigneur. »
- « Oui, mais non
», dit Arzhiel. « Si je fais valoir mon titre, c’est le déshonneur assuré pour notre nom. J’ai morflé plus d’un siècle pour avoir épousé une elfe et je me suis fait virer de l’ancien monde par les dieux pas très jouasses sur le sujet alors je ne vais pas risquer une nouvelle malédiction pour un flirt trop poussé de mon gamin. Téléportez-moi jusqu’à vous. Je vais vous virer les miches des braises en moins de deux. »
- « Vous voulez venir ?!
» s’exclama Vorshek. « Mais Père, je n’ai plus assez d’énergie et… »
- « Tapez dans celle d’un de vos boulets. Hjotra, par exemple. Votre mère fait ça tout le temps avec les larbins quand elle est à court de jus. Et ne me dîtes pas que Hjotra va vous faire défaut ! »
- « Le seigneur arrive ?!
» gloussa ce dernier, tout excité.
- « Oui, grâce à vous, même, Maître. Attention, ça va piquer et vous allez beaucoup dormir. A demain ! »

Vorshek posa sa main à plat sur le torse de l’ingénieur qui regardait dehors pour mieux voir arriver Arzhiel. Puis le demi-elfe lança son sortilège en puisant la force vive de Hjotra. Le nain s’effondra en fumant des narines avant d’émettre un ronflement virulent. Dans un coin apparut la silhouette d’Arzhiel qui trébucha en se prenant les pieds sur son ingénieur et jura assez fort pour faire même honte à Gonzague.

- « Seigneur ! » lancèrent en chœur Al et la naine, impressionnés.
- « Salut les jeunes. Non, relevez-vous, je ne suis pas le pape. Sérieux, relevez-vous ou je vous fous une béquille. Rappelez-vous que je ne suis pas là en tant que seigneur de Karak. Attendez…C’est ça votre équipe ? Hjotra, la fille de Brandir et ton pote d’enfance humain qui voulait être jongleur de foire ? »
- « Je suis rôdeur, seigneur
», l’informa Al.
- « Dans les foires toujours ? »
- « Il manque aussi Cyril, dit…Cerise, un hobbit barde vieux de deux siècles
», fit Gonzague. « Mais là, il nous a trahi pour se faire un peu d’argent avec les péquenots. »
- « Fichtre ! Et moi qui me plaignais de ma fine équipe de boulets. Bon, bref. Donc pas de « seigneur » ou « chef » ou autre titre du style. Je vais me faire passer pour votre avocat. On va dire aux paysans que je suis Rugfid, d’accord ? C’est mon cousin, comme ça, ça risque rien au niveau malédiction divine ou colère paysanne. C’est lui qui mangera si ça se goupille mal. »
- « Vous êtes sûr de votre coup, Père ?
» interrogea Vorshek, peu rassuré.
- « C’est bon, ça fait cent cinquante piges que je rends des jugements au Thing (tribunal nain). Je connais le couplet. Vous êtes innocent tant qu’aucune brêle d’en face n’est capable de prouver le contraire. L’astuce, c’est de démolir l’accusation. En piste, tout va rouler, vous allez voir. »
- « Il fait aussi avocat que Al guerrier
», chuchota Gonzague tandis que le seigneur se présentait aux gardes, « mais au moins, il a l’air motivé. »
- « C’est justement ça qui m’inquiète. Pourquoi est-ce que ce n’est pas Mère qui a décroché ?
»

Les villageois, sous l’impulsion du bourgmestre demi-ogre toujours aussi furieux, achevèrent les préparatifs du procès en un temps record. Peu après l’arrivée d’Arzhiel, l’ensemble de la bourgade fut réuni, les deux parties installées et la compagnie de paladins en formation pour éviter tout débordement. Le juge alla s’asseoir au milieu de l’estrade improvisée et observa attentivement l’accusé avant de plonger le nez dans ses parchemins, ses textes de lois et ses rapports.

- « Rugfid ? » demanda-t-il tout à coup en lisant le nom de l’avocat de Vorshek. « Rugfid Pansepercée ?! Le Rugfid ?! Et avocat de la défense ? En même temps, avec le record régional de nombre de participations à des procès pour tous les délits possibles, il est vrai que vous êtes un habitué du tribunal. »
- « Oui, votre honneur
», acquiesça Arzhiel. « C’est parce que je suis fan des vieillards humains qui portent des perruques et des robes. »
- « Je vous demande pardon ?!
» fit le juge, estomaqué.
- « Et je vous l’accorde. Allez, on enchaîne ! Enfin, pas l’accusé, hein, c’est juste une expression. »
- « Et encore là
», murmura Vorshek à Gonzague et Al, rouges de honte, « il se lève juste, il tourne à froid. Père ? Avez-vous au moins connaissance du dossier et un plan valable de défense ? »
- « Je pensais improviser pour pimenter les choses, mais si vous tenez à jouer les tièdes…Voyons, un bouche à bouche mal interprété, ça peut passer ? »
- « Je crains que ma nudité et celle de mon amante ne jouent pas en notre faveur. »
- « C’est pas faux. Si seulement vous étiez aussi malin quand vous réfléchissez avec votre cerveau du bas…Ecoutez, on va reconnaître la coucherie, mais nier la virginité de la prêtresse. Comme ça, on lui refile tout sur le dos… Restez ici, fils, ça aussi ce n’était qu’une expression ! Donc, c’est elle qui passe pour la méchante et on peut en bonus accuser aussi le bourgmestre d’être le vrai coupable. Il mériterait parce que je trouve qu’il a vraiment une sale gueule. »
- « La cour appelle les douze témoins ayant surpris l’accusé en train de…commettre son crime
», héla le juge.
- « Douze témoins ?! » répéta Gonzague. « Prince, pour une fois, tu vas vraiment avoir le feu aux fesses pour quelque chose ! »
- « C’est rien
», les rassura Arzhiel. « Regardez, c’est des pécores. La moitié est alcoolique et l’autre consanguine. Leurs témoignages ne valent pas tripette. Dites, elle est où votre prêtresse dépucelée ? »
- « Pourquoi ? Vous voulez l’interroger ? »
- « Rien à secouer, c’est juste par curiosité. Je veux m’assurer que vous avez du goût. Vous savez, je me méfie au cas où vous auriez le même que votre mère. »
- « Seigneur ?
» appela timidement Al. « Vous ne devriez pas balancer une ou deux objections ? Ils sont en train d’enfoncer votre fils comme lui a enfoncé… »
- « C’est obligé les comparaisons douteuses ?!
» le coupa Gonzague en frappant le rôdeur.
- « C’est vrai qu’ils ne vous ratent pas », ricana Arzhiel sous le regard noir de Vorshek. « On va prévoir un plan B par sécurité. Votre pote voleur sait allumer un incendie ? »
- « Je comprends que vous souhaitiez profiter du moment pour parler à votre client avant qu’il ne soit réduit en un petit tas de cendres, Maître Rugfid
», lança le juge, « mais pourriez-vous au moins faire semblant de vous intéresser à ce procès ? Voulez-vous interroger les témoins ? »
- « La défense voudrait signaler au tribunal qu’il ne s’agit pas de témoins
», répondit Arzhiel. « Ce sont des gueux. Pourquoi accorderions-nous du crédit à des vilains insignifiants ? Leur parole ne vaut rien. »

La foule commença à s’agiter et des cris de protestations retentirent, provoquant un début d’émeute que les chevaliers parvinrent à contenir avec mal. Arzhiel, impassible, savourait son effet.

- « Le plan C, c’est déclencher une révolte paysanne ?! » s’exclama Vorshek en évitant une fourche qui passa tout près.
- « Silence ! » lança la voix gutturale et bestiale du demi-ogre. « Messire Rugfid méprise la voix du peuple, il aura donc celle de la noblesse que je représente en tant que bourgmestre du village, au nom du baron, du comte et du roi lui-même. Je vais témoigner. »
- « Messire juge !
» se plaignit Arzhiel. « C’est une bête à moitié humaine ! Il a une tronche à bouffer les enfants et il veut témoigner ? C’est un procès sérieux ou pas ? »
- « Pour votre gouverne, il s’agit de Hourkor la Savate, le célèbre héros qui délivra le cousin du roi du donjon de la Mygale, vainquit le chef orc des Trois Clans et sauva la ville d’Aspiris des Déments de Dieu. »
- « Super, moi j’ai mangé des moules à midi. »
- « Je déclare sur l’honneur et sur l’âme que notre prêtresse Aylaly est venue m’avouer son pêché en personne lorsque sa faute fut révélée
», déclara Hourkor. « Je dispose de sa confession écrite, de ses aveux et de son acte de repentir en huit exemplaires. »
- « D’accord, lui, il va être pénible
», marmonna Arzhiel. « Vorshek, réduisez-le au silence. »
- « Désolé Al
», dit le magicien avant d’absorber toute l’énergie du rôdeur qui s’effondra en mouillant son pantalon. « Une colique foudroyante, ça ira ? »

Le prince s’exécuta à l’accord de son père et le bourgmestre dut brusquement s’interrompre au milieu d’une phrase pour s’enfuir en courant en canard, les mains crispées sur le ventre. Son adjoint vint aussitôt prendre sa place pour poursuivre.

- « Diablerie ! » jura Vorshek. « Gonzague, viens voir ! Vite ! Gonzague ? Mince, elle s’est enfuie en voyant Al tressaillir au sol, les yeux révulsés. Quelle femmelette ! Oh, voilà Cerise ! Cyril ! Approchez, venez voir vite ! »
- « Ne me dis pas que tu te venges de ma négligente trahison en t’affichant auprès d’un vieux nain vulgaire et dépassé ! C’est ridicule ! Qu’est-ce qu’il y a, grand-père ? Tu me piques mon elfe et tu me fais les gros yeux en plus ? Et alors ? Tu vas me frapp… »
- « Lui au moins, il ne s’enfuira pas
», commenta Arzhiel en essuyant son poing. « Allez-y, pompez-le ! Enfin…Vous voyez ce que je veux dire. J’ai rien contre les hobbits ou les écarts fantaisistes des elfes, mais là vous me feriez de la peine. »

Vorshek déroba la force de Cyril pour alimenter son pouvoir magique et persuader l’adjoint qu’il était attaqué par une fourmi géante. Le malheureux partit au galop en hurlant, tout en jetant du sucre sur son sillage pour faire diversion.

- « Messire juge ! » appela Arzhiel tandis que ce dernier, hébété, regardait son témoin se cacher dans un tonneau. « Il est évident que les habitants de ce village sont tous barrés et racistes envers les elfes blonds. Ça doit être un truc dans l’air ou dans la bouffe. Bref, ils ne sont pas crédibles une seconde. Annulez les charges et passons à table. »
- « Il reste un témoin capital à interroger, la victime elle-même. J’appelle Aylaly ! »
- « Je suis à court de compagnons à vider !
» fit Vorshek affolé. « Qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on fait ?! »
- « Quoi ? Votre performance était aussi naze pour que vous paniquiez comme ça ? Elle va peut-être vous couvrir…Mais on s’en fout de savoir que c’était vous qui étiez dessus ! C’est une expression !!! »
- « Villageois, mes chers amis !
» déclara la jeune fille émue. « Je suis souillée par la honte et je ressens à mon égard la même colère que vous envers moi. Je vous ai stupidement et égoïstement trahi, déçu et condamné. Mon pouvoir a disparu entre les bras de cet elfe au charme ensorcelant. Je ne suis plus en mesure de vous protéger de la Bête. Condamner mon amant ne résoudra pas notre plus grave problème. Versez son sang si vous le souhaitez, et le mien également car nous le méritons, mais cela n’arrangera rien. »
- « Elle a une manière très personnelle de vous aider, votre copine !
» grogna Arzhiel. « C’est quoi cette histoire de Bête qui les condamne ? »
- « Aylaly vit dans cette région car elle possédait le pouvoir, grâce à sa pureté, de repousser un esprit maudit qui hantait avant les lieux en massacrant hommes et bêtes
», expliqua Vorshek. « En perdant sa petite fleur, elle condamne à mort tous les bouseux. Avez-vous emmené de l’onguent pour la peau du Karak ? Le vent et le soleil ont affreusement desséché celle de mes bras. »

Mais Arzhiel n’écoutait plus. Il avança vers l’estrade du juge, essaya de monter dessus, étala un paladin qui s’interposa et se servit de lui comme marchepied, puis alla se placer près de la prêtresse déchue.

- « J’ai une solution pour arranger la situation et éventuellement sauver les miches de Vorshek ainsi que les vôtres. Plutôt que de le cramer sur le bûcher, ce qui manque franchement de style et d’originalité, envoyez-le plutôt avec ses camarades à la chasse à la Bête. Ça lui fera les pieds et ça lui mettra du plomb dans la cervelle, enfin s’il survit. S’il y reste, bon ben, il faudra commander une autre prêtresse, sans l’option chaudière cette fois. Mais s’il réussit, il aura rétabli son honneur et sera de nouveau digne d’accueillir vos donations en remerciement. Qu’en dites-vous ? Quoi l’accord de votre bourgmestre ? Allez le chercher, il doit être dans un fossé ou derrière un buisson. Juge ? Votre avis ? »
- « Je trouve la proposition acceptable
», capitula de guerre lasse le juge. « Le procès est annulé. Y a quoi au menu ? »

A suivre dans l’épisode 131

Bilan de la mission :
Vorshek : Familiarisation avec la prêtrise +1
Gonzague : Camouflage dans la foule +1
Al : Espérance de vie -1
Hjotra : Lessive +1
Cyril : Couture +1
Arzhiel : Hostilité paysanne +1
Expérience acquise : Navrante
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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 3 Oct - 22:10

Episode 131 – La Bête

Le demi-ogre Hourkor jaillit des broussailles en poussant un cri de victoire moqueur avant de se planter devant les aventuriers en train de déjeuner.

- « Haha ! Marauds ! Votre piteuse tentative de fuite est avortée ! Je vous ai retrouvés ! Je vous le répète, je suis là pour m’assurer que vous accomplirez bien votre mission et vous ne pourrez jamais m’échapper ! »
- « Cette farce, on vous attend depuis des plombes
», répondit Al, la bouche pleine. « On vous a gardé un peu de poulet mais magnez-vous parce que Gonzague lorgne méchamment dessus. »
- « Malgré ma science et mes dispositions magiques
», dit Vorshek d’un air gêné tandis que l’ancien héros se hâtait de récupérer son assiette, « je dois admettre que sous le coup d’une émotion vive, je dose mal mes sortilèges. La colique du tribunal ne passe toujours pas ? »
- « Quel est votre plan pour vaincre la Bête ?
» éluda le demi-ogre après avoir lancé un regard noir au magicien. « Jusqu’à présent, aucune stratégie conventionnelle n’a pu en venir à bout. »
- « Vous allez rire, mais on n’a rien d’une équipe conventionnelle
», répondit Gonzague.
- « C’est très simple ! » s’exclama Al avec enthousiasme, en sortant un lourd grimoire de son sac. « Tout est expliqué dans cet ouvrage que j’ai « emprunté » à ce moine errant à l’auberge avant-hier. « La quête pour les Nuls ». Dans le chapitre sur la chasse au monstre, ils préconisent d’obtenir au préalable des renseignements auprès des gueux du coin. »
- « La Bête hante le marais. Personne ne vit dans cette région. »
- « Oh non, pas un marais !
» se lamenta Cyril. « Je vais salir mes bottines toutes neuves. Plutôt que d’aller chercher cette bête, vous pensez qu’on peut lui demander de venir d’elle-même ? Avec une jolie et polie lettre par exemple ? »
- « Un marais ?
» fit le rôdeur en se reportant au sommaire. « Marais…marais…Y a un lien avec sorcière. Il faut trouver la sorcière la plus proche. Enfin, la deuxième plus proche après Vorshek. »
- « Fais voir ton bouquin ?
» demanda Gonzague, curieuse, tandis que Al essuyait un tir de flammèches enchantées.
- « Non t’as les doigts qui suintent le gras de poulet, pas touche à mon trésor ! Finies les missions désastreuses et les choix hasardeux ! Je compte bien prouver à notre seigneur que je suis capable de mener ce groupe à la victoire !...Quoi ? Arrêtez de vous marrer ! Mais arrêtez quoi ! »
- « Une sorcière vit dans un chêne millénaire, à quelques lieues d’ici
», informa Hourkor. « Je peux nous y mener. »
- « Est-ce qu’elle capture, fait bouillir et mange les enfants ?
» interrogea Hjotra avec intérêt.
- « Rassurez-vous. Le baron a réglementé le rapt d’enfants. Monstres, sorcières et curés ne peuvent plus voler d’enfants que durant les périodes soumises à législation. A cette période, on est encore loin de la prochaine pleine lune ou messe noire. »
- « Je préfère
», soupira le nain soulagé. « Les enfants me fichent la frousse. »

Le petit groupe intrépide reprit son chemin et après une traversée mouvementée des bois où Al tomba à deux reprises dans un fossé et Hjotra se perdit trois fois en suivant divers animaux, les aventuriers parvinrent aux abords d’un marécage, puis en vue de l’arbre creux de la sorcière.

- « C’est ici », indiqua Hourkor. « Je vous attends là. Je crains que le fait d’avoir décapité ses trois filles lors d’une ancienne quête risque de gâter une éventuelle conversation diplomatique. Et puis, il faut bien que quelqu’un assure vos arrières si elle vous change tous en porcelets. »
- « Merci pour ces encouragements
», répondit Al, penaud. « On se sent tout de suite plus motivés pour cette rencontre. »

Les aventuriers se pressèrent derrière Gonzague qui fut la seule à accepter de frapper à la porte tandis que le demi-ogre s’éloignait. Une vieille humaine aux cheveux et à la moustache poivre et sel ouvrit, jetant un regard inquisiteur sur les héros tremblotant serrés sur son palier.

- « Bonjour ! » lança Al avec un sourire nerveux. « Nous venons en quête de renseignements. Pouvez-vous nous accorder quelques minutes ? C’est bon les gars, ça ne fait pas trop vendeur ambulant ? »
- « Nous venons en paix et surtout pas sous les conseils de Hourkor
», ajouta Hjotra. « En plus, comme vous, on déteste les porcs, les enfants et les rasoirs. »
- « Nous cherchons des renseignements sur la Bête du marais
», intervint Vorshek en enfonçant son coude dans le nez de l’ingénieur.
- « Toi », dit la sorcière en fixant le demi-elfe avec intensité. « Ta beauté est un défi des dieux, une épreuve qu’ils t’imposent durant cette vie pour t’enseigner l’humilité. »
- « L’humilité, c’est pas ce qui fait pousser le moisi et les champignons ?
» interrogea Hjotra en massant son nez avant de se faire écraser le pied par Al
- « Bosser son humilité, c’est justement sa résolution du nouvel an », fit Gonzague. « Vous savez quelque chose sur la Bête ? Je veux dire, en plus de celles qui courent sur les murs de votre charmante bicoque… »
- « Tu es malpolie, naine
», déclara la sorcière en chassant d’un geste brusque des mouches imaginaires. « La vulgarité ne sied pas la bouche d’une jeune femme. »
- « De quoi ?!
» s’écria la naine en s’emparant de sa hache. « Qu’est-ce qu’elle dit avec ma bouche ?! D’où je suis vulgaire, nom d’une pine d’ours mal léché ?! »
- « M’avez-vous apporté un présent ? Sans doute daignerais-je mieux vous écouter avec un gage respectueux de votre reconnaissance envers ma personne. »
- « Qui doit bûcher son humilité déjà ?
» marmonna Vorshek.
- « Moi, j’en aurais peut-être un de cadeau », grommela Gonzague, son arme brandie.
- « Le présent ! » s’exclama Al en feuilletant son livre. « Mince, c’était écrit. Je présume que personne n’a de tripes de dragon ou de cœur de vierge encore chaud sur lui ? Bon, ben on lui refile Cerise. On vous prête notre barde pour la journée, ça ira ? Il sait chanter et…euh…chanter, je l’ai dit ? »
- « Approche, petit garçon…ou petite fille
», acquiesça la sorcière après observation de la tenue rose échancrée du hobbit. « J’aime la voix aigue des enfants qui résonne dans mon antre. La Bête est un revenant, le fantôme d’un héros. Les villageois qu’il venait de sauver l’ont assassiné pour éviter de le payer et ils se sont débarrassés du corps dans les marais afin de dissimuler sa disparition aux nobles. Suivez la piste vers le sud et interrogez Bulbiz le troll. C’est lui qui a trouvé et dévoré son cadavre. Depuis, le fantôme de ce héros apparaît régulièrement pour se venger. On a sympathisé même s’il est un peu grognon parfois. Pourquoi vous me demandez ça au fait ? Il ne lui est rien arrivé de grave quand même ? »

Les aventuriers quittèrent la sorcière sans un mot, abandonnant Cerise avec ce qu’il prenait pour une grande fan, pour rejoindre Hourkor et lui raconter l’entretien.

- « La Bête, c’est Malthaïr ?! » fit le demi-ogre, étonné par ces révélations. « Ah, je ne l’avais pas reconnu avec son faciès de fantôme pourrissant et dévoré…Il avait massacré toute une famille du village et mes gens l’ont un peu mal pris en le lapidant et le torturant. Ils se sont trouvés bien nigauds quand les hommes du baron ont expliqués ensuite que cette famille était possédée et comptait sacrifier tout le village au diable dans une orgie de feu et de sang. C’est vrai que mes gens ont balancé son corps dans les marais pour éviter de se faire pincer. Mais sachez qu’ils regrettent énormément cet incident. Si on dit au revenant de Malthaïr qu’ils s’en veulent beaucoup, ça devrait suffire à le calmer, non ? »
- « Dans le doute, on va quand même retrouver ses ossements et les cramer
», répondit Vorshek d’un air pincé. « Et ensuite, on va éviter de rentrer au village, au cas où vos gens seraient reconnaissants… »

C’est ainsi que la joyeuse troupe se lança à la recherche du troll Bulbiz en direction du sud, emboîtant le pas à Hourkor qui s’avéra le meilleur pisteur, ce qui fit bouder Al, mais bien glousser Gonzague.

- « Elle est drôlement bizarre cette forêt », remarqua Hjotra au bout d’un moment. « C’est humide, vaseux et brumeux comme la taverne où on a récupéré Al, le dernier soir. »
- « C’est sans doute parce que ce n’est pas une forêt, mais un marais, Maître
», répondit Gonzague.
- « Un marais, comme à la mer ? Mais même si l’eau se retire dans quelques heures, ça va quand même rester une forêt curieuse. »
- « Vous pouvez demander à votre brillant ami naturaliste de débattre de ses navrantes observations à voix basse ?
» demanda Hourkor, blasé.
- « Lui au moins il n’a ôté la vie à aucun innocent ! » répondit Vorshek du tac au tac.
- « Ça n’a aucun rapport avec ce que je viens de dire. »
- « Oui, je sais, mais je ne savais pas comment vous la placer celle-là. »
- « Si vous faîtes allusion à la mort de Malthaïr, dîtes-vous que mes gens ont réagi un peu brusquement, mais à la campagne, on est parfois un peu rudes. C’est les risques du métier de héros aussi ! Il fallait qu’il fasse gaffe. Moi une fois, j’ai sauvé une princesse. Hé bien l’une des pièces du sac d’or qu’elle m’a offert en récompense était fausse. C’est le jeu ! Je ne vais pas chercher à me venger de tous ceux qui m’ont enflé dans ce travail, sinon j’en bute un ici, son frère essaie de le venger par là, je le bute ainsi que sa femme et son nouveau-né, le cousin s’en mêle…C’est l’escalade après ! »
- « C’est hors de question
», tempêta Hjotra. « Déjà la marche à travers la forêt vaseuse entre deux marées, je prends sur moi, mais pour l’escalade, il faut un minimum de matos valable. Si encore j’avais mon piolet, je ne dis pas, mais là, c’est de l’inconscience ! »
- « Il a un grain votre pote, non ?
» demanda Hourkor à Vorshek.
- « N’empêche que lui, il n’a pas tué d’innocent », répondit le demi-elfe, trop honteux pour réfléchir à une meilleure répartie.
- « Le sentier s’évanouit par ici », annonça le bourgmestre en désignant le sol moussu quasiment impraticable. « Toutes les traces disparaissent à cet endroit. »
- « Un espoir pour tes fonds de culotte, Al
», commenta Gonzague.
- « Comment va-t-on bien pouvoir trouver le troll à présent ? » s’interrogea le rôdeur après avoir poussé Gonzague dans une flaque.
- « On pourrait demander à celui qui approche là », répondit Hjotra en désignant un troll couvert de verrues et de cicatrices qui se hissait sur la berge, ruisselant de boue et de vase.

Ce dernier s’essora en se déhanchant énergiquement sur l’air qu’il sifflait avec entrain, ôta la boue de ses oreilles à l’aide d’un ongle proéminent puis releva la tête et aperçut enfin les aventuriers. Son cri étranglé par la surprise interrompit brusquement sa chansonnette.

- « Purée, la frousse ! » se plaignit le monstre, une main sur son cœur battant la chamade. « D’habitude, on ne vient pas me trouver si tôt. En plus là, je ne suis pas prêt. Attendez deux secondes que j’arrache un arbre, j’ai laissé mon gourdin dans ma grotte. »
- « Vous êtes Bulbiz ?
» demanda Vorshek. « On est venus vous parler du cadavre d’un héros jeté dans le marais que vous auriez dévoré. »
- « Un grand, blond, en armure complète de paladin, avec des traces de coups de caillasse et une fourche plantée dans le dos
», détailla Hourkor.
- « Vous êtes venus le venger ? » fit le troll, amusé. « Ah j’aime bien quand il y a une véritable implication personnelle motivant l’affrontement ! Ça rend le combat moins fade, je trouve. Oui, je me souviens. Qui ouvre le bal ? Les nabots ? La tapette d’elfe ? L’humain impubère ou le gros cornu ? On peut faire une mêlée sinon, mais d’expérience, je sais que c’est plus fouillis. »
- « En fait, nous ne sommes pas venus pour vous combattre ou satisfaire une quelconque vengeance
», expliqua Vorshek. « Et entre-nous, ce n’est pas plus mal parce que vous seriez surpris de constater à quelle vitesse une tapette d’elfe peut changer un troll déloqué en tas de cendres fumantes. »
- « Nous désirons savoir où se trouvent les ossements de cet homme
», dit Al. « Et je ne suis pas impubère. On n’est juste moins poilus que la moyenne dans la famille. »
- « Son spectre hante mon village
», poursuivit Hourkor en tâchant de rentrer son ventre. « Il nous faut ses ossements pour les brûler et nous en débarrasser. »
- « Pas de combat ?
» soupira la créature déçue en lâchant son arbre à moitié déraciné. « Si je vous dis où sont les os, vous pourrez me prêter la naine ? »

Le troll se planta devant Gonzague, l’œil luisant et la bave bullant à la commissure des lèvres.

- « Soit il veut me manger, soit il veut me croquer », déclara la naine mal à l’aise. « Dans les deux cas, je lui casse les dents s’il approche. »
- « Vous nous la rendrez dans le même état, enfin au moins vivante ?
» demanda Al. « Ben quoi, je négocie. C’est dans le chapitre 4…Aïe ! Pas la tête, bon sang ! »
- « Les os contre un massage des pieds
», annonça Bulbiz avec un large sourire.
- « Mais pourquoi moi ?! » se lamenta Gonzague devant l’air inflexible de ses compagnons jugeant la transaction honnête. « Où est Cerise quand on a besoin de lui ?! Pfff, c’est la dernière fois que je me réincarne en fille ! »

Deux heures plus tard, sur un coin de terre sec du marais, les aventuriers déposèrent à terre les derniers ossements recueillis tandis que Cyril et Gonzague, affectés tous deux par leur journée, boudaient à l’écart.

- « Il faut vraiment être taré pour enterrer les ossements des cadavres dévoré sous des stèles de pierre de deux tonnes et demi ! » pesta Al en massant ses courbatures.
- « Bulbiz a dit que c’était pour décourager les chiens sauvages », dit Hourkor. « On peut être un monstre charognard et cauchemardesque et avoir peur des chiens. »
- « Prince Vorshek a bien peur des bulles de savon
», remarqua Hjotra.
- « Je n’en ai pas peur ! » protesta le magicien. « Mais on ne sait jamais quand elles vont éclater, c’est très stressant. »
- « N’empêche que si je retombe sur ce maudit troll
», ne décolérait pas Al, « c’est les siens d’os que je m’en vais planter à une heure de pelletés sous un rocher ! »
- « Regarde
», indiqua Hourkor. « Il est là-bas justement. Vas-y. »
- « Non, mais c’est juste une expression
», répondit le rôdeur en voyant que Bulbiz déchirait entre ses mains un serpent géant des marécages long de vingt mètres.
- « Vous pouvez vous magner à ficher le feu à ce bazar qu’on se rentre au chaud ? » râla Gonzague. « Quand je pense que j’ai massé les orteils crochus de ce goret de troll pour que vous puissiez faire un feu de joie avec trois côtes et une mâchoire ! »
- « Plains-toi !
» grommela Cyril. « Tu sais ce que c’est de passer l’après-midi avec une vieille complètement gâteuse et à l’ouest, amatrice de petit garçon en culotte courte astiquant sa collection de crocs de boucher et de couteau à dépecer ? Et le pire, vous saviez vous qu’elle ne connaissait aucune de mes célèbres chansons ? »
- « Je vous avais dit que c’était une mauvaise idée d’emmener les femmes et les enfants dans nos virées entre mecs
», ricana Al avant d’être allongé par deux tirs furieux de mottes de vase.

Ignorant la bataille qui venait de débuter, Vorshek s’agenouilla près des ossements en réfléchissant, triant, classant, nettoyant et examinant sous l’œil attentif de Hourkor et celui, curieux, de Hjotra pensant qu’il s’agissait d’une partie de mikado.

- « Vous n’y mettez pas le feu ? » interrogea Hourkor. « Si la nuit tombe et que Malthaïr nous surprend à lui tripoter les os, je doute qu’on parvienne à s’en faire un ami. »
- « On ne peut pas simplement brûler le tout. Pour que le rituel fonctionne, il faut organiser les os dans un ordre précis. C’est délicat et difficile. »
- « C’est-à-dire ?
» interrogea le demi-ogre tandis que le groupe se réunissait autour de Vorshek.
- « Cette étape préalable au lancement du sort de purification est indispensable, mais ardue car elle n’appartient pas au domaine de la sorcellerie que je maîtrise, mais plutôt au domaine…des mathématiques. Selon le nombre total d’os, il faut parvenir à déterminer des tas de quantités égales grâce à une habile et juste opération. »

Le demi-elfe, le regard trouble et le front perlant de sueur, observa ses compagnons tout aussi désemparés et effrayés que lui par la difficulté de la tâche.

- « On n’a pas un autre moyen ? » interrogea Al, gêné. « Parce qu’en maths, je suis une vraie bille. »
- « Moi pareil
», confia Gonzague. « C’est chiant à souhait les maths, c’est pas logique. »
- « Je comprends votre angoisse
», souffla le mage. « J’ai le même souci. Les mathématiques, c’est n’importe quoi, les chiffres n’arrêtent pas de changer et ce ne sont jamais les mêmes. »
- « Vous déconnez ou quoi ?
» intervint Hjotra, abasourdi. « Il faut faire une division, c’est tout. »

Tous les regards se tournèrent vers le nain et s’illuminèrent du même éclat de reconnaissance et de soulagement. C’est comme si l’ingénieur venait de leur annoncer qu’il détenait le remède au poison mortel que tous auraient contracté.

- « Sauriez-vous résoudre cette division ? » demanda Hourkor, plein d’espoir.
- « Je vais avoir besoin de mon atelier, mes outils et trois nuits de boulot, mais oui, je pense », les charria Hjotra. « Bien sûr que je peux faire une division ! Pas vous ?! »
- « Les maths ne sont pas une science exacte, vous savez
», déclara Vorshek. « Ce n’est pas aussi précis que l’astrologie ou la magie et il faut bien l’admettre, à notre époque moderne d’enchantements, qui se sert encore des maths ? Enfin, sans vous vexer. »
- « C’est pas un domaine qui a de l’avenir
», renchérit Gonzague.
- « Ça devrait être optionnel à l’école », poursuivit Al, « comme la musique ou la poterie. »

Les yeux écarquillés, Hjotra fit quelques pas en arrière et prit plusieurs longues inspirations pour se remettre de ce qu’il venait d’entendre.

- « Combien y a-t-il d’os ? » demanda-t-il, découragé.
- « On en a retrouvé soixante, Bulbiz nous avait prévenu qu’il avait eu des problèmes de transit à cette époque. Il n’a pas tout rendu. »
- « Soixante, on peut faire des tas de un, deux, trois, quatre, cinq, six, dix, douze… »
- « On va en faire de trois !
» décida Vorshek. « Au-delà, ça va être pénible, on risque de s’embrouiller. »

Les aventuriers s’activèrent au-dessus de la dépouille morcelée sous le regard médusé de Hjotra qui les observa compter, recompter, perdre le fil et compter encore. Dans un élan de désespoir, il essaya de leur expliquer le fonctionnement des multiples, pour le regretter aussitôt.

- « Dix-huit, c’est un multiple de douze ? » demanda Al dans le doute.
- « Bien sûr, cancre », répondit Gonzague. « Tu ne connais pas la règle de trois ? »
- « C’est ce qui a un rapport avec la preuve par neuf, n’est-ce pas ? »
- « Et encore, il ne faut pas oublier les retenues. Ou alors, c’est l’inconnue…Je ne me souviens plus. C’est quoi, Maître Hjotra ? »
- « C’est quoi, quoi ? L’inconnue ? Disons que dans le cas présent, si vous voulez faire des tas de trois os, l’inconnue, soit X, représente le nombre de tas possibles sur un total de soixante. Attention, ça va être chaud, mais accrochez-vous bien : X égale soixante divisé par trois. »
- « Ah oui, d’accord
», acquiesça Al. « Donc, on ne peut pas résoudre cette opération, c’est impossible, c’est ça ? »
- « Mais si, c’est possible, c’est une simple division ! Pourquoi ce serait impossible ? »
- « Mais Maître, X est une lettre, pas un nombre. »
- « En plus, une lettre inconnue
», ajouta Gonzague. « Heureusement qu’on connaît notre alphabet sinon, on peut toujours se casser la tête à chercher pour rien ! »
- « C’est vrai que c’est tendu les maths quand même
», commenta Cyril en comptant sur ses doigts.
- « Je me barre », céda Hjotra en tournant les talons. « Je vous attends sur le chemin. »

Les héros achevèrent bientôt la terrible épreuve des mathématiques malgré la désertion de leur ingénieur et purent contempler les tas d’ossements proprement rangés à leurs pieds. Ils s’apprêtaient à les incendier lorsque la forme diaphane d’un fantôme s’arrachant aux brumes du crépuscule se présenta face à eux.

- « Enfer ! » jura Hourkor. « C’est la Bête ! C’est Malthaïr ! La nuit est tombée pendant qu’on galérait avec ces saloperies de maths fluctuantes ! On est perdus ! »
- « C’est quoi cette tirade de péteux ?!
» le houspilla Gonzague. « Vous êtes un héros ou pas ? Vous n’allez pas fuir devant le meurtrier de vos gens. Cette force est en vous Hourkor ! Vous pouvez terrasser cette housse de couette volante et sanguinaire ! »

Retrouvant courage face aux paroles de la naine, le bourgmestre demi-ogre saisit sa lourde épée et fit face au spectre flamboyant de haine qui l’empala aussitôt au bout de son bras nimbé d’énergie maléfique. Hourkor s’effondra mollement, son cœur palpitant entre les doigts translucides du fantôme agité d’un rire lugubre.

- « Vous croyez que c’est le moment propice pour brûler les ossements ou dois-je attendre encore un peu ? » interrogea naïvement Vorshek avant que le mort-vivant ne l’expédie dans l’eau d’un magistral revers.
- « Visez la baffe », siffla Gonzague. «Al ! Il dit quoi ton bouquin quand on est à deux doigts de se faire laminer par un revenant ? Al ?...Al ! Le saligaud a mis les voiles en laissant même son fichu grimoire ! Pfff ! Ça craint de claquer à cause des chaleurs de Vorshek et des habitants de ce bourg pourri de pécores débiles ! »
- « Tu veux que j’essaie de l’amadouer en chantant ?
» demanda Cyril au cas où.
- « Pourquoi ? Tu as envie qu’il nous torture avant de nous buter ? »

La Bête glissait doucement vers les deux derniers aventuriers lorsqu’une violente lumière déchira la pénombre dans un rai luisant l’englobant. Le spectre poussa un cri d’horreur, un rictus de terreur gravé sur ses traits décomposés quelques courtes secondes avant qu’il n’implose en silence. La lumière et le monstre disparurent. Un moine furibond s’approcha en dissipant son sort d’exorcisme d’un claquement rageur des doigts. Foudroyant Gonzague et Cyril d’un regard noir, l’homme ramassa le livre de quêtes, l’épousseta, le rangea puis tourna les talons en rouspétant. Plus loin retentit le gémissement plaintif de Al lorsque le moine lui marcha dessus à l’endroit même où il l’avait étalé à l’aller.


Bilan de la mission :
Vorshek : Natation en marécage +1
Al : Empathie canine +1
Gonzague : Révulsion envers la podologie +1
Hjotra : Ferveur mathématique + 1
Cyril (Cerise) : Techniques de dépeçage +1
Expérience acquise : Pathétique
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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 3 Oct - 22:11

Episode 132 – Lard de la Magie

Vorshek dut déployer un effort colossal pour ne pas faire dévier son regard des yeux de la jeune villageoise lorsque celle-ci se pencha pour mieux l’écouter, dévoilant un peu plus de son décolleté. Mais le demi elfe était heureusement rompu à ce genre d’exercice et ce style d’erreur de débutant ne l’inquiétait plus. Après un court silence calculé pour ménager son effet, et s’assurer que Al à ses côtés demeurait aussi muet que possible comme il l’avait briefé, le magicien reprit son histoire, savourant un dernier gloussement enthousiaste de la jeune fille à sa table, ainsi que de son amie.

- C’est sous l’œil torve de la pleine lune que la créature a surgi des fourrés et s’est abattue sur notre groupe, vive et impitoyable comme une lame. J’ai tout de suite reconnu la silhouette d’un loup-garou de belle taille, les crocs saillants et les griffes démesurées. Malgré toute notre expérience acquise lors des innombrables traversées de forêts hantées par les monstres, celui-ci parvint à nous surprendre. Il fondit sur mon compagnon Al ici présent et le lacéra avec cruauté. A la vue de mon ami d’enfance mortellement blessé, mon sang n’a fait qu’un tour. J’ai perdu tout contrôle et toute notion du danger. Animé d’une rage profonde, je me suis rué sur la bête, oubliant même mes sortilèges, simplement pour l’affronter à mains nues. Dans un éclair de lucidité, j’ai pensé à le frapper avec ma baguette enchantée « Foudrargent » car les loups-garous ne peuvent être affectés que par des armes en argent. J’ai ainsi terrassé la bête en lui plantant ma baguette dans le cœur. Je me suis ensuite servi du sang ruisselant de sa plaie pour soigner la blessure d’Al. Car le sang du loup-garou possède d’incroyables propriétés de guérison. On peut dire que c’est la force de notre amitié, mon savoir et mon courage qui nous ont permis de nous débarrasser du loup-garou des Bois Sordides.
- Et qui m’ont sauvé la vie,
ajouta Al lorsqu’il reçut sous la table un coup de pied comme signal pour son texte.

Les deux jeunes villageoises stupéfaites par le récit se pâmaient devant les deux vigoureux et braves étrangers quand Gonzague approcha de leur table.

- Vous leur racontez la fois où un louveteau a attaqué Al au mollet sur la route de Saint-Soulard ? lança la naine, savourant l’expression de lente décomposition sur le visage de ses compagnons. Je ne me souviens pas que ce soit toi qui aies sauvé Al. Dans mon souvenir, c’est bien le cri hyper aigu de peur de Cyril qui avait pris le louveteau pour un rat qui l’a mis en fuite, non ?

La naine tourna les talons sans attendre de réponse, bientôt suivie par les deux villageoises aux mines foncièrement plus renfrognées qu’à leur arrivée. Vorshek ne tenta même pas de les rattraper, au contraire de Al qui crut le moment propice pour démontrer aux filles ses talents de jongleur ventriloque. Le demi elfe se contenta de se planter devant Gonzague, les poings sur les hanches, un regard noir cherchant à capter l’attention de la naine.

- Tu nous as cassé la baraque, déclara le magicien d’une voix menaçante quand la guerrière daigna enfin cesser de faire semblant de suivre la prestation vocale lamentable de Cyril au fond de la taverne.
- Oh, ça va, fais pas ta chouquette ! Ça vous apprendra à m’arranger le coup avec un garde borgne et édenté qui pue des bras juste pour obtenir une ristourne sur les droits de péage.
- C’est Prince Vorshek, soldate ! Tu dois t’adresser à moi avec l’égard dû à mon rang, plébéienne ! Alors, quelle sera ta punition ? Te faire pousser une barbe par magie ou te prêter au tenancier de ce rade glauque en tant que serveuse jusqu’à l’aube ? Non, cela manque de subtilité. J’ai mieux.


Sans quitter la naine des yeux, le demi elfe frappa brusquement à l’aide de son coude l’arrière du crâne d’un marin attablé à portée. L’homme renversa sa bière épaisse et sombre sur ses cuisses et se dressa d’un bond en jurant, imité par ses deux amis.

- Soldate, appela calmement Vorshek tandis que les marins l’entouraient, des injures plein la bouche. Il me semble que je suis en danger et sous ordre de ton seigneur, mon père, je dois te rappeler que tu es chargée de ma protection.
- Alors ça…
marmonna Gonzague en écartant le premier homme d’un direct à l’entrejambe. Alors ça, c’est fourbe, ça c’est vicelard, Prince !

Le lendemain matin, peu avant l’aube, les gardes de ville entourant leur chef, pénétrèrent dans la cellule où les aventuriers étaient enchaînés. Quelques seaux d’eau glacée et pas forcément propre les tirèrent de leur sommeil.

- Euh, moi j’étais conscient, fit remarquer Al en recrachant une longue rasade.
- Silence, vermine ou je te balance au cachot! s’écria un des miliciens. Ah oui, mais vous y êtes déjà…Bon, ben silence, vermine !

Son chef ne lui concéda qu’un furtif coup d’œil en coin, mêlant compassion et dédain dans un court silence gêné avant de faire face aux Dragons qui roxxent.

- Messieurs, mademoiselle, fit l’homme en saluant Gonzague et ses deux cocards, vous vous trouvez dans les geôles de la cité de Vasebouc suite à quelques incidents ayant été perpétrés cette nuit même à la taverne du Cul de Pelle, établissement de boissons n’ayant pas survécu à l’incendie suivant ces mêmes incidents. Je suis le sergent d’armes Folkar et…
- Vous êtes un cerf gendarme ?!
le coupa Hjotra, stupéfait.
- Le sergent d’armes Folkar oui et alors ?
- Alors rien,
répondit le nain troublé.C’est curieux, je n’aurais pas vu ça comme ça.
- Remettez-lui une dose de flotte dans la mouille, histoire qu’il voit mieux,
ordonna Folkar à ses subordonnés avant de dérouler un parchemin. Je suis ici pour vous lire l’énoncé des accusations qui pèsent contre vous : pugilat…
- Pugilat,
rectifia Al. On prononce « ji » comme j’irais bien faire un tour loin d’ici et pas « gui » comme guignol analphabète.
- Oui, je le savais ça,
toussa le sergent d’armes, gêné. Donc pugilat dans un établissement privé, voie de faits sur matelots, déclenchement d’émeute et de bataille rangée, incendie involontaire d’établissement privé et… vol de charcuterie ?

Tous les regards se braquèrent sur Al qui trouva brusquement fascinant la contemplation de ses chaussures.

- Bon, normalement, c’est direct la potence pour la moitié de ces délits et pour des étrangers, expliqua Folkar en baissant son parchemin. Mais comme on essaie de bosser le tourisme, le juge vous offre le choix des peines : enrôlement de force dans l’armée régulière avec envoi au front face aux hordes d’orcs barbares des landes, galère ou mission pour notre intendant.
- Galère, si on peut éviter,
déclara Cyril, parce que je n’ai pas du tout le pied marin et sur l’eau je rends très facilement.
- Les orcs, c’est tentant, non ?
interrogea Gonzague.
- Pardon de faire mon tatillon, s’excusa Al, mais moi c’est davantage le côté guerre qui me freine. Malgré l’attrait de la perspective du voyage, je crains qu’on se lasse vite.
- Oui, il n’a pas tort,
réfléchit Vorshek, conquis par la pertinence de l’argument. Du coup, on va choisir la mission pour l’intendant. Qu’est-ce donc ? Nettoyer son carrosse ? Aller faire son marché ? Cerise est très doué pour repriser tuniques et chaussettes si besoin !
- Délivrer un village lointain sous le joug d’un monstre sanguinaire et séculaire,
lit Folkar en s’appliquant. Là, j’ai bien assuré sur le « gui » de sanguinaire. Nos troupes sont occupées avec les orcs et on manque de petites mains pour résoudre les soucis annexes.
- Petites mains, ça n’a pas de rapport avec la couture ?
demanda Cerise en levant le doigt. Je demandais au cas où.
- C’est à deux jours de marche vers l’ouest, un bourg de cultivateurs de pommes nommé D’Api-D’Api-D’Api Rouge. Il faut que vous y soyez avant après-demain soir. Pour les détails, vous verrez avec les gens du coin. En revanche, pour m’assurer que vous accomplirez bien la mission et que vous n’en profiterez pas pour vous barrer dans la nature, je vais devoir garder l’un de vous en prison. Vous avez une préférence ? Quatre votes pour l’elfe ? Vous votez contre vous-même ? D’accord. Et une voix du vieux nain qui vote pour moi. Merci de l’attention, c’est touchant. Bon, messire elfe, installez-vous chaudement, les autres, foutez-moi le camp.


Gonzague, Hjotra, Cyril et Al débarrassèrent le plancher et ne se retournèrent qu’une fois parvenus aux limites de la cité. Ils attendirent quelques instants dans le froid piquant du petit jour, puis Vorshek apparut dans le nuage de fumée magique de son sortilège de téléportation.

- Tu as bien rayé la ville sur la carte pour qu’on évite d’y retourner ? demanda-t-il à Al. Cela tombe bien que le pays est grand, ça fait quand même sept bourgs où on doit être recherchés. Heureusement, on progresse bien en évasion et fuite précipitée.
- En plus, on innove,
renchérit Cyril. Une bataille rangée et une taverne incendiée, c’est tellement atypique ! Et cette fois, Prince, vous n’avez mis aucune héritière noble enceinte et Al n’a dévalisé aucune bijouterie.
- On fêtera ça plus tard, d’accord ?
fit le demi elfe en surveillant les alentours par prudence. En route pour la prochaine bourgade ! Où est Gonzague ?

Les garçons retrouvèrent bientôt la naine aux prises avec un colporteur lui vantant les mérites d’une veste parfaitement immonde.

- C’est du daim, damoiselle, claironna le vendeur. Touchez la qualité !
- Du daim ? Vous me prenez pour un pigeon ? Ou une buse ?
- Bon, ce n’est pas du daim,
admit l’homme sans se départir de son plus artificiel sourire naturel. En fait, c’est du rongeur. Du rongeur citadin.
- Appelons un chat, un chat. C’est du rat votre truc !
- Tout va bien ?
interrogea le garde d’une patrouille, attiré par les éclats de voix dénués de toute discrétion ou retenue de la guerrière.
- C’est cet âne ! s’énerva Gonzague. Il me prend pour une chèvre cet animal-là !
- Inutile d’aboyer ! Mais…cette voix…ces manières…Je vous reconnais ! Vous faisiez partie du groupe de terroristes à l’auberge du Cul de Pelle ! Un de vos camarades m’a jeté une chaise au visage et a essayé de me faire les poches ! Le voilà justement ! Ils sont tous là ! Mais vous ne devriez pas moisir en geôle ?
- C’est l’heure de la récréation,
répondit Hjotra. C’est parce que j’ai voté pour le chef cerf et qu’on n’aime ni les orcs, ni les bateaux.
- A moi, gardes,
appela le soldat en dégainant et en sortant le même parchemin que Folkar. Ils sont manifestement encore sous l’emprise de l’alcool ! Au nom de la loi de Vasebouc que je représente, vous êtes tous les cinq aux arrêts !
- Puisque vous avez votre loi à la main,
répondit Gonzague, je vous invite cordialement à vous l’introduire là où son application vous rendra le sourire.

Avant que la naine furieuse ne charge dans le tas, Vorshek utilisa Foudrargent, la baguette offerte quelques jours avant par sa mère. Une légère décharge traversa le groupe de gardes dont les cheveux brusquement électriques se dressèrent en pics hirsutes et renversèrent les lourds casques qu’ils portaient. Soudainement aveuglés, et décoiffés, les miliciens ne purent empêcher les hors-la-loi de s’enfuir à toute vitesse. Le petit groupe s’arrêta bien plus loin et bien plus tard, à bout de souffle.

- Inutile de poursuivre notre carrière d’aventuriers, commenta Vorshek, irrité. Avec un coup comme celui-ci, on peut directement se convertir dans le grand banditisme...ou la course de fond.
- Gonzague, mais qu’est-ce qui t’a pris de t’embrouiller avec ce vendeur de loques ?!
protesta Al, avachi contre un arbre. C’était clairement un escroc ! Regarde ce veston que je lui ai braqué ! Ça ne vaut même pas deux piécettes !
- Oh, ça va,
grommela la naine en sueur. Comment je pouvais deviner qu’une patrouille allait passer à ce moment ?
- Elle n’a pas la science diffuse,
la défendit Hjotra.
- On dit la science infuse, lui fit remarquer Cyril.
- Infuse, comme le thé ?
- Je crains que ces manants ne jètent leurs chiens à nos trousses, à présent,
soupira Vorshek en surveillant l’horizon. Il n’y a qu’un seul endroit où ils ne penseront pas nous chercher et où on pourra leur échapper.
- Une taverne ?
demanda Al, plein d’espoir. Un lupanar ? Une maison de jeux clandestine ? Oh, mon dieu, faîtes qu’il y ait au moins un jeu de fléchettes !
- Le village D’Api-D’Api-D’Api Rouge,
dit le magicien d’un ton grave.
- Votre Souveraineté, tu ne penses pas à accomplir la mission de l’intendant, si ?
- Cela dépend,
répondit Vorshek, le regard luisant fixé sur le soleil levant. Cela dépend s’ils ont un lupanar ou non là-bas. Tant qu’à être bloqués sur place, autant s’occuper.

Et c’est ainsi que les Dragons qui roxxent prirent le chemin de l’ouest d’un pas rendu hâtif par la peur du gens d’armes et, pour une raison plus personnelle à Hjotra, des cerfs. D’Api-D’Api-D’Api Rouge s’avéra une charmante bourgade, un coin de verdure isolé par les marais de la région, nichée au creux de quelques collines et ceinturée par d’immenses vergers. Les étrangers étaient rares dans ce village d’allure paisible, la rumeur sur le monstre qui hantait les lieux faisant fuir les voyageurs. Vorshek et les siens ne trouvant à D’Api-D’Api-D’Api Rouge nul lupanar et nulle auberge, ils furent forcés d’investir une grange louée contre plusieurs pièces et un veston de fort mauvaise qualité.

- Dîtes, mon brave, rappela Vorshek le propriétaire des lieux pressé de s’en aller. Pourquoi était-il si important que nous venions pour ce soir précisément ?
- C’est parce qu’on avait plus d’étrangers à sacrifier au monstre depuis hier. Vous comprenez, comme il vient les bouffer tous les soirs, il nous faut un stock constant, mais on est courts en ce moment. On a donc fait une demande expresse à Vasebouc. Sinon le monstre vient taper dans les villageois, c’est toujours désagréable de voir l’un des siens se faire chiquer à la place d’un parfait inconnu.
- Mais je croyais qu’on avait pour mission de vous débarrasser de ce monstre ?!
s’exclama Gonzague. On est juste là pour lui étoffer le bourrelet alors ?
- C’est pour ça qu’on vous a installé dans cette grange, c’est là qu’on lui sert son repas. C’est aussi pour ça que je me casse, parce qu’il ne va pas tarder. Mais n’y pensez plus, svp. Vous allez être tout tendus après et la digestion du monstre va être mauvaise, il risque de nous houspiller.


Le paysan détala aussi sec, abandonnant les aventuriers perplexes dans la grange silencieuse.

- Moi, j’avais voté pour les orcs, commenta Gonzague devant l’air dépité de ses camarades, juste avant que l’entrée de la grange ne s’ouvre brutalement, laissant apparaître un molosse noir aux yeux de sang suivi d’un elfe lévitant au regard sadique.
- Est-ce que vous ne seriez pas le monstre du coin ? demanda Hjotra tandis que le chien de l’enfer bavait de l’acide brûlant sur le sol.
- Non, lui il vient pour changer les draps à mon avis, lança Al avant de plonger dans un tas de foin.
- Génial, vous êtes cinq ! fit l’elfe volant d’un air satisfait. Il me faut deux volontaires pour nourrir mon chien, les trois autres s’aligneront ici. Comme ça, j’aurais mon entrée, plat, dessert.
- On a vécu pas mal de malaises et de truc glauques,
dit Gonzague d’un ton boudeur. Jusque là, je me suis montrée assez conciliante. Mais là, il est hors de question que je serve de casse-dalle à un elfe et son clébard ! Et depuis quand les elfes volent et boulottent les gens ?!
- Non, mais ce n’est pas tout à fait un elfe,
expliqua Vorshek, tandis que Cyril et Hjotra allaient s’aligner, l’un pour goûter à l’elfe, l’autre croyant à un jeu. C’est un alfar, une sorte d’elfe esprit de l’air et de la terre, un mauvais génie aux pouvoirs magiques. Même les drows craignent ces créatures. Je sais qu’elles sont néfastes et destructrices, par contre j’ignore pourquoi il veut nous dévorer.
- Parce que je ne veux pas crever d’inanition, pardi !
répondit l’alfar en voletant de plus belle. J’en ai marre, ras les mèches, de me farcir des pommes, des tartes aux pommes, de la compote et des amphores du cidre de ce pays pourri ! Je suis coincé dans cette vallée pour l’éternité et je vous jure qu’après deux siècles à ronger des trognons, un hobbit grassouillet comme votre copain parait un met succulent !
- Encore un jeune homme enivré du parfum de Cerise,
roucoula le barde en feulant. Je serai ton entrée alléchante, ton plat délicieux et le dessert te rassasiant.
- Gonzague ! appela Al depuis sa cachette.[i] C’est toi la physiquement plus susceptible de caler son appétit. Sacrifie-toi pour l’équipe !
- Bon alors attendez,
fit l’elfe en lévitation tandis que Gonzague distribuait des coups rageurs dans la motte de foin. Déjà, je ne fais pas de jaloux, je mange tout le monde, sans exception. S’il y a des restes, je ferai un doggy-bag. Et pour votre information, je ne suis pas cannibale. Je ne vais pas vous dévorer comme un ogre ! Je dispose d’un sortilège pour vous changer en pâtisserie, sauf en chausson aux pommes, là je dégobille direct.
- Ce n’est pas aussi écoeurant que les pommes les pâtisseries à la longue ?
interrogea Vorshek, intrigué.
- Silence, éclair au café ! Ceux qui ne veulent pas se soumettre peuvent débattre avec mon ami canin infernal ! Blondinet, ne bouge pas, je vais commencer par toi.

Vorshek fit un pas en arrière, mais le grognement agressif du molosse de l’enfer l’intima à l’immobilité. Le demi elfe poussa un soupir agacé et dégaina à contrecoeur sa baguette magique Foudrargent.

- Puisque tu mets mon existence en péril et compte priver la population féminine de ce pays de mes étreintes exceptionnelles, je me dois de t’opposer une juste défense, Alfar ! Je dispose moi aussi de sortilèges redoutables et contre un adversaire de ta trempe, je n’hésiterai pas à user de ceux dont est chargée ma baguette enchantée.
- Non !
s’écria Al, écrasé sous le talon de Gonzague. Ces sortilèges nous ont coûté une blinde chez l’enchanteur ! Le prix d’une nouvelle charge coûte un bras ! Ne fais pas ça !
- Tu préfères être changé en baba au rhum grignoté par une mijole volante ?
le rabroua la naine. Pour une fois qu’il sort son engin pour une autre cause que la conquête d’une contre cuisse de pisseuse, tu ne vas pas venir péter l’ambiance !
- Les sorts qu’il croit posséder ne sont pas ceux chargés dans la baguette !
marmonna le rôdeur. J’ai effectué quelques échanges à son insu à la caisse pour déconner.
- De la résistance ?
jugea l’alfar en jaugeant Vorshek. Soit ! Cela m’ouvrira l’appétit. Qu’y a-t-il, hobbit ? Tu veux être changé en puits d’amour après ? Euh, oui si tu y tiens…
- Subis le juste courroux de mon effroyable sortilège de Cône de Feu Draconique Ancestral et Mal Luné !
énonça avec fougue Vorshek en activant sa baguette.

La magie illumina la grange et le sortilège se déclencha dans un sourd vrombissement. De l’extrémité de l’artefact pointé vers l’alfar jaillit une épaisse et juteuse tranche de lard qui effectua un vol en cloche suivi des yeux par tous les spectateurs hébétés, avant de finir entre les mâchoires gigantesques du chien de l’enfer.

- C’est quand même fascinant et merveilleux la magie, commenta Hjotra en applaudissant frénétiquement.
- Qu’est-ce que c’est ? fit le génie aérien, stupéfait. De la charcuterie ? Toto ! Recrache ! Recrache Toto ! Fais voir à papa ! Par les myriades sylphides printanières, c’est du lard !!!
- Une phrase qu’on entend pas tous les jours…
dit Gonzague, blasée.
- Puissant seigneur mage ! s’exclama l’alfar, en plein émoi. Tu possèdes le sort d’invocation de la tranche de lard ?! Par pitié, cède-le moi !
- Le sort d’invocation de tranche de lard ?!
répéta Vorshek, entre fureur et stupeur, se tournant vers Al.
- En d’autres circonstances, je trouve que ça aurait fait une blague excellente, se justifia le rôdeur sous le poids des regards de ses compagnons.
- Si on t’offre ce sortilège, nous épargneras-tu ? demanda Gonzague à la créature émue aux larmes.
- Ah mais carrément ! De la viande, bon sang ! Gratuite et à volonté ! Vous savez depuis combien de temps je n’ai pas avalé un morceau de bonne bidoche ?! Les pécores du bled sont trop nazes pour élever des bêtes, ils ne savent que faire pousser ces saloperies de pommes !
- Et voilà !
claironna Al en se relevant, plein de sang et de foin. Encore une victoire des Dragons qui roxxent. Il faut une citation classe pour sublimer ce beau moment…Je sais : on sous-estime trop souvent le pouvoir de la charcuterie ! Quoi ? Mais pourquoi vous faîtes encore la gueule ?

Bilan de la mission :
Al : Endurcissement aux Commotions +1
Vorshek : Magie Alimentaire +1
Hjotra : Crainte des Cervidés +1
Cyril : Attrait envers les Mâles Elfiques +1
Gonzague : Rancune du Corps de Métier de la Marine +1
Expérience acquise : Ridicule
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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 3 Oct - 22:12

Episode 133 – Le Présage

Il avait patiemment attendu l’heure des manœuvres d’entraînement de la garde et s’était discrètement éclipsé de la salle du trône entre deux entretiens capitaux ; ainsi Arzhiel savoura ce moment de paix et de solitude en poussant un léger soupir ravi. C’est à peu près à cet instant qu’une série de coups brutaux résonnèrent sur la porte de ses latrines.

- « Seigneur ! » appela Garfyon de l’autre côté. « Seigneur ? C’est urgent, je dois vous parler ! Je peux entrer ? »
- « Ah, ben là non !
» répondit Arzhiel agacé.
- « Mais c’est urgent, je dois rentrer ! »
- « Mais non ! Je vous déconseille vivement d’ouvrir cette porte si vous voulez qu’on puisse continuer à se parler en se regardant dans les yeux. En plus, c’est pour vous. Je ne vous garantie absolument pas la préservation de votre odorat si vous franchissez ce seuil. »
- « Mais tout va bien, sire ?
» insista le ministre en assénant plusieurs coups supplémentaires sur la porte avec sa canne.
- « Jusqu’à ce que vous veniez gratter à la porte, je vous confirme que ça se passait plutôt bien. En revanche, donnez un coup supplémentaire dans cette porte et je vous assure que froqué ou pas, je vous rentre dedans ! »
- « Tout de même, seigneur…La situation exige votre présence ! »
- « On est assiégés ?
» demanda le nain d’un ton neutre.
- « Ah non. »
- « Y a-t-il un incendie, une inondation, une épidémie ou pire, un bal spontané organisé par mon épouse ? »
- « Rien de tout cela, sire. »
- « Le dîner est déjà servi ? »
- « Pas encore. »
- « Il n’y a donc aucune raison concrète de me faire sortir d’ici avant terme. A présent, vous voulez bien vous barrer ?! Cassez-vous, et je vous dis ça parce que je vous apprécie, cassez-vous ou je vous fais briser les pouces.
»

Le seigneur nain tendit l’oreille et acquiesça doucement en entendant le pas lourd et boiteux de son ministre qui s’éloignait. Le calme était restauré, mais il était trop tard, la fragile inspiration du moment s’était évanouie. Déçu, Arzhiel comprit qu’il ne servait plus à rien de rester là. Et c’est au moment où Garfyon regagnait le couloir, hors de portée des appels de son seigneur, que ce dernier se rendit compte qu’il n’y avait plus de papier.

Loin de la montagne abritant le Karak d’Arzhiel et de son peuple, la joyeuse compagnie de son héritier Vorshek se félicitait de l’accomplissement glorieux de leur dernière aventure.

- « Quel bol de tomber le nez le premier sur cette cache de troglodytes des marais en pleine poursuite de feux follets ! » s’exclama Al, plein d’entrain. « Est-ce cela l’art elfe pour dénicher les trésors dissimulés, son altesse ? »
- « Ce triste incident ne se prête pas à la gaudriole !
» rouspéta Vorshek, toujours vexé. « C’est la seconde fois que je chois dans un marécage insalubre. Vous savez combien de temps il va falloir aux pores de mon visage pour évacuer les toxines contenues dans cette boue infâme ? »
- « C’est pas pour donner raison à notre plongeur en eaux vaseuses
», fit Gonzague, « mais personnellement, je commence à en avoir plein les bottes d’écumer ces marais pourris. Et dans tous les sens du terme ! C’est un miracle que personne n’ait chopé le typhus, la fièvre pourpre, le paludisme ou n’ait disparu dans les sables mouvants. Les marécages, ça gave. »
- « Regardez ce médaillon !
» gloussa Al en examinant sa part du butin. « Même Gonzague parviendrait à se trouver un fiancé avec une babiole pareille ! »
- « Mon bracelet en or est joli lui aussi
», déclara Hjotra tandis que Al s’écrasait dans les roseaux après le taquet de Gonzague. « Mais je ne le mettrai pas pour autant. Un de mes cousins en avait un ressemblant. Il est mort accidentellement en tentant de le réparer, il s’est taillé les veines avec le tournevis. »
- « Quant à moi, je ne suis pas mécontent de mon sort
», avoua Cyril en ricanant. « Regardez cette adorable flûte qui est mienne à présent ! C’est l’instrument de voyage idéal pour un barde itinérant et aventurier comme moi. Voyez ! Sa petite longueur permet de sonner sur un ambitus de deux octaves et demie, dans une tessiture aigue avec une échelle diatonique. »
- « Mais sinon, ça fait de la musique ton engin ?
» interrogea Gonzague, perplexe.
- « J’ai hâte de vous montrer comment mon talent peut s’exprimer de mes lèvres et de mes doigts habilement placés sur les bons trous… »
- « Vous pourrez prévenir avant ?
» demanda Vorshek. « Je dois pouvoir trouver un sort de cécité pour protéger ma santé mentale avant votre démonstration.»


- « Bon, j’espère que quelqu’un est mort au moins, que je n’ai pas été dérangé pour rien !
»

Arzhiel se planta au milieu de ses conseillers nains et elfes, le regard sévère et la main le picotant, tous deux cherchant une cible et un prétexte pour valider une baffe exutoire.

- « J’ai eu une terrible et cauchemardesque vision cette nuit ! » déclara d’un ton grave et solennel Svorn le prêtre, la plus haute autorité religieuse du Karak.
- « Encore le rêve où vous êtes habillé en ballerine elfe au moment de prononcer votre discours lors du congrès des techniques de tortures ? »
- « Non, un autre
», fit le vieux nain à peine troublé par le souvenir de cet épisode. « J’ai vu les légions des morts se lever et se rassembler sous une bannière impie, unies en armée impitoyable tuant et massacrant tous les vivants sur leur passage en une sordide moisson sanglante. »
- « Que voulez-vous que je vous dise ? Prenez un lait chaud avant de vous coucher, vous dormirez mieux. »
- « Seigneur, c’est peut-être un présage divin
», murmura Garfyon, livide.
- « Comme la fois où cet ahuri avait prédit une invasion de mouettes sur la montagne ? » répondit Arzhiel en se juchant sur son trône. « Je veux bien prêter à Svorn une toge et un temple pour qu’il collecte un peu de blé pour le Karak, mais je suis encore loin d’accrocher à ses boniments de visions et de prédictions ! Je ne vais pas commencer à trembler des genoux parce que mon vendeur en chef d’idoles sur le marché et de charmes contre les verrues prête foi à ses cauchemars. »
- « C’est marrant
», dit Svorn, « vous parlez de moi comme si je n’étais pas là et je crois que vous vous en secouez allégrement. »
- « Tout de même, seigneur
», gémit Garfyon d’une voix piteuse. « On a recueilli ce matin les témoignages de plusieurs personnes ayant fait le même rêve, cette nuit. »
- « Oh, le canular minable !
» rit Arzhiel. « C’est une campagne de pub à tous les coups. Vous allez voir que Svorn et ses potes vont mettre en vente une rune anti mort-vivant d’ici trois jours. Par curiosité, combien de « témoins » on a, histoire de préparer le bon nombre de geôles à l’avance ? »
- « On en est à cent soixante treize depuis l’aube, sire. »
- « Combien ?!
» s’étrangla le chef de guerre en glissant de son trône. « Bon. On dirait que cette histoire de mort-vivants n’est pas encore enterrée. »


Pataugeant en toute hâte, les aventuriers perdus en plein marais fuyaient aussi vite qu’ils le pouvaient, poursuivis par plusieurs dracs hostiles, des créatures serpentines hantant les eaux. Al, pourvu d’une vitesse hors du commun dans ces cas de figure, dirigea la troupe vers un talus sec et surélevé susceptible de leur fournir un abri. Tout le monde escalada sans se faire prier le monticule terreux, à l’exception de Cyril, engourdi et malhabile comme un hobbit aux pieds disproportionnés peut l’être.

- « Magnez-vous, les bestioles approchent ! » s’écria Al. « Je ne pensais pas dire ça un jour sans être ivre, mais je vais vous tirer ! Allongez le bras ! »
- « Si je pouvais l’allonger davantage, figurez-vous que ça ferait un bon moment que tu aurais réceptionné ma main dans ton pif !
»

Gonzague aida Al et ensemble, ils purent faire grimper Cyril à l’abri juste avant que les dracs en colère ne fondent sur lui. Les monstres le ratèrent de peu et, incapables d’avancer sur un sol meuble et sec de par leur nature aquatique, préférèrent repartir en sifflant de frustration.

- « Plus collants qu’une ex de Vorshek et pas moins furieux », commenta Gonzague en observant les créatures disparaître dans l’eau boueuse.
- « Mais vous voulez tous nous faire crever avec votre musique moisie ?! » hurla Al à l’attention du barde. « Je commençais juste à surmonter les migraines et les nausées subies par vos chansons, mais avec la musique qui attire les monstres les plus dégueus du coin, on jurerait que vous essayez vraiment de nous buter ! »
- « Ci-gît Hjotra, ingénieur et héros, mort à cause d’une sérénade hobbit au pipo, ça craint comme épithète !
» rouspéta l’ingénieur.
- « Comme épitaphe aussi d’ailleurs », ajouta Vorshek. « Sérieusement, Cerise, qu’est-ce qui vous a pris de jouer cet air affreux ? En deux notes, vous avez réussi à nous coller sur les talons les créatures les plus belliqueuses des environs, encore plus vite qu’un milicien à la poursuite de Al dans une grande ville. »
- « Je me suis un petit peu trompé de mélodie, ce sont des choses qui arrivent !
» protesta le barde. « Je vous rappelle que j’ai pioncé quelques siècles dans ce plumard ensorcelé. Il est possible que je sois légèrement rouillé et que j’ai confondu l’air pour accroître le courage avec celui qui attire et excite les reptiles et toutes les créatures marines. »
- « C’est-à-dire que plus rouillé que ça, on chope direct le tétanos !
» railla Al en retrouvant son souffle.
- « À moins que ce soit cette flûte qui soit maudite… » songea le hobbit. « Malgré cela, je ne peux me résoudre à m’en séparer, elle est tellement jolie. »
- « Moi j’ai bien une idée d’un éventuel usage, mais je doute que ce soit constructif
», déclara Gonzague en vidant ses bottes souillées. « Les marécages, ça gave. »


Arzhiel écouta le récit d’un huitième témoin et le renvoya avant la fin en comprenant qu’il raconterait la même chose que tous ceux interrogés avant lui. La possibilité d’une coïncidence ou d’un gag s’amenuisait au rythme des versions étrangement semblables.

- « Deux notables elfes, un chef d’équipe de creuseur de tunnels, un capitaine de garde à peine éméché, deux ancêtres, un apprenti forgeron et maintenant… » énuméra Garfyon. « Il faisait quoi le dernier ? »
- « C’est un poète
», répondit un conseiller elfe.
- « Non, mais son métier ? C’est quoi son travail ? »
- « Il écrit des poésies et également des lettres d’amour, des sonnets ou des ballades. »
- « Mais il y a des gens qui le rémunèrent pour ça ?
» s’étonna le ministre, tombant des nues. « Non, mais ici, au Karak ? Des gens que je connais ? »
- « On s’en cogne !
» les interrompit Arzhiel. « Enfin, vous ferez une enquête quand même parce que moi aussi ça m’intrigue ce métier de…pouet ou je ne sais quoi. L’important c’est que malgré leurs différences de classe, de statut ou de métier, tous ces témoins nous sortent le même couplet. »
- « Comme je vous ai dit
», lança Svorn. « Les morts-vivants vont s’arracher à la terre pourrissante et quitter les tourments éternels de la mort pour massacrer les vivants. La vacherie, quoi. »
- « Les morts qui se réveillent pour buter du vivant, ça me parait gros quand même
», déclara Arzhiel. « Et les dieux nous avertiraient avec des rêves prémonitoires ? »
- « C’est évident ! Je ne sais pas ce qu’il vous faut de plus ! Une apparition d’angelots bouffis et rosâtres déclamant un verset du chapitre sur la fin des temps ? »
- « C’est pas dans une scène de la dernière pièce jouée au théâtre de mon épouse ça ?!
» interrogea Arzhiel en pointant le haut prêtre percé à jour. « Je m’en souviens, c’était juste avant que je ne m’endorme. Vous allez voir ça, vous ? Je croyez que vous pouviez pas pifrer les comédies elfes ? »
- « Seigneur !
» s’écria Svorn, exultant. « Les dieux nous adressent un avertissement ! L’ignorer revient à nous condamner ! »
- « C’est nul comme diversion
», fit Garfyon, « mais je suis plutôt d’accord avec Svorn. Que ce rêve prémonitoire soit interprété au propre comme au figuré, ça pue. »
- « Je ne sais pas…
» hésita le seigneur du Karak en se tortillant sur son trône. « Ça me parait un peu mince comme thèse. Je ne vais pas déployer les troupes dans les cimetières, si ? On n’a pas un moyen plus concret pour confirmer ou infirmer le coup du rêve annonciateur ? »
- « Il existe une sybille douée du don de vision », répondit un érudit elfe. « [i]Les dieux parlent par sa bouche et on peut l’interroger pour percer les voiles du mystère et du mensonge. Beaucoup de nos suzerains vont recueillir ses prophéties. »
- « Bon, je vais déjà placer les troupes en alerte au cas où, au moins ça les tirera de leur sieste, puis on va dépêcher un petit groupe pour questionner cette sybille
», décréta Arzhiel. « J’imagine qu’elle ne loge pas dans la vallée…faîtes voir sur la carte…non bien sûr, s’installer dans le fond du derche du monde, près d’un marais bien dégueu, c’est tellement plus glamour ! Corne de cocu, on n’en a pour l’année à envoyer une troupe depuis ici et attendre son rapport. On n’a pas des gars à nous plus près, une escorte, une patrouille, un convoi ou des glandos en exil ? »
- « L’oracle vit à moins de deux jours de voyage du dernier endroit où le groupe de votre fils se trouvait ce matin
», dit un elfe magicien en reconnaissant l’endroit.
- « Mon fils ? Comment vous savez ça ? Vous le surveillez ? »
- « Conformément aux ordres de Dame Elenwë votre épouse, seigneur. Huit sorciers se relaient prêts à intervenir en invoquant un dragon rouge aux côtés du prince en cas d’alerte visant sa santé. Mais vous n’étiez pas au courant ? A votre moue maussade, je dirais que non…Comment dit-on en nain pour exprimer son sentiment de gêne dans ce genre de situation ? »
- « Un « merdasse » vif et incisif suivi d’un silence pesant me semblent le mieux appropriés
», lui conseilla Garfyon tandis qu’Arzhiel commençait à s’empourprer.


- « Je ne m’énerve pas», répéta Vorshek avec insistance, « je t’avertis seulement que si tu approches tes doigts, même de pied, à moins d’une coudée de ma baguette, je te change une jambe en bois et je te balance dans un barrage de castors. »
- « Mon intuition naturelle me pousse à croire que tu ressasses encore cette histoire de sorts échangés et de lards
», marmonna Al, vexé. « Ce que tu peux être rancunier, votre royauté, par moment. Je dis simplement qu’il serait plus prudent pour le groupe que ce soit moi qui conserve les objets de valeur et l’argent durant notre séjour en ville. Je suis le plus apte à les protéger des voleurs et tire-laines, c’est un fait. »
- « Mais pas des maisons de jeux ou des tapineuses en vadrouille
», fit Gonzague en jetant un regard acéré au rôdeur.
- « Attendez, j’ai l’impression que vous n’avez pas confiance en moi ?! »
- « Hjotra suivrait un loup dans sa tanière mais n’a pourtant pas confiance en toi… »
- « Alors là bravo, l’ambiance !
» rouspéta le jeune homme en donnant un coup de pied dans la vase pour exprimer sa déception. « Je vous sors de votre montagne pourrie, je vous fais visiter le pays, je vous dégotte des missions aux petits oignons, je vous fais gagner plein de flouze et vous me traitez comme… »
- « Comme le dernier des ploucs
», proposa Cyril d’un ton détaché.
- « Tu tiens vraiment à ce qu’on profite de notre interminable marche à travers ces marécages où, incontestablement tu nous as paumés, pour faire le point sur notre périple et ses différents échecs cuisants ? »
- « Hein ?
» répondit Al. « Pardon ? Désolé, je n’écoutais pas. Vous parliez de quoi ? »

Le jeune rôdeur esquissait un sourire avenant face aux mines dépitées de ses compagnons lorsqu’un mouvement en l’air attira son attention. A peine leva-t-il la tête qu’il reçut un projectile chutant du ciel en plein visage, ce qui l’étala à moitié assommé au milieu de la vase. A la vue de son ami vautré dans la boue, Gonzague n’eut qu’un réflexe propre à sa condition de garde du corps de Vorshek : elle précipita le demi elfe dans l’eau d’un rude pousson avant de se coucher sur lui, sa main enfonçant la tête du magicien bien profondément dans la vase. Cyril poussa un cri strident de panique et s’enfuit sans se retourner. Hjotra, immobile et imperturbable, sortit un biscuit de sa poche et commença à grignoter paisiblement.

- « L’attaque aérienne est terminée ? » lui demanda Gonzague en le voyant impassible. « Est-ce que Al s’est fait crever ? »

Hjotra ramassa une branche et asséna plusieurs coups dans les côtes du rôdeur qui gémissait, dans les vapes. L’ingénieur ne s’arrêta que quand Gonzague, une fois relevée, lui arracha le bâton des mains, pour frapper à son tour.

- « C’est quoi qu’il a pris en pleine poire ? Hé, ça bouge encore ! C’est…un piaf ? Oh, c’est un pigeon ! Il a même un message accroché à la patte. »
- « Gonzague !
» hurla Vorshek en se redressant, dégouttant d’eau saumâtre et de boue. « Par la grâce des Sylphes, pourquoi m’as-tu jeté dans la vase ? Serais-tu secrètement fan des castors ?! »
- « Al a reçu un message
», expliqua la naine en dépliant le papier. « Et inutile de me remercier, je n’ai fait que mon boulot en te sauvant d’une terrible chute d’oiseau. Oh, c’est un mot du seigneur Arzhiel ! C’est écrit « Allumez votre globe de communication, bande d’abrutis ! ». Il a l’air remonté, on risque de se faire pourrir. Alors, on fait donc comme d’habitude. Jusqu’à ce qu’il reprenne connaissance et puisse se défendre, tout est de la faute de Al. »


Le sorcier elfe se tourna vers Arzhiel et le groupe de conseillers et acquiesça d’un geste lent de la tête.

- « Le sortilège a fonctionné, seigneur. Mais j’ignore si le pigeon aura bien supporté la téléportation sur une si longue distance. »
- « On en enverra jusqu’à ce que ces crétins percutent !
» clama Arzhiel. « Il faut vraiment être niais pour laisser son cristal de vision éteint en mission ! Attendez ! Le mien vibre ! Ça y est ! Ils établissent le contact ! Salutations la jeunesse ! Vous me voyez et m’entendez ? Quoi ?...Comment ça c’est la faute de Al, quelle faute ? »

Le mage elfe jeta un sortilège sur le cristal d’Arzhiel, faisant apparaître une image translucide plus nette des quatre aventuriers parlant depuis le marais.

- « Tout va bien les enfants ? Ce petit périple se passe sans encombre ? »
- « A merveille, père
», répondit Vorshek. « Nous rentrions justement bredouilles mais riches d’une chasse aux feux follets. Que nous vaut l’honneur d’une attaque de pigeon de votre part ? »
- « Dites, fils. Je suis conscient que vous êtes au beau milieu d’une campagne, mais les voyages n’excluent pas de faire un brin de toilette de temps en temps. Votre camouflage à la vase n’est pas trop mal réussi, mais niveau hygiène, c’est limite. Sinon, j’ai une mission de premier ordre à vous soumettre, à vous et vos équipiers…A propos, il me semblait que vous étiez cinq la dernière fois, non ? »
- « C’est toujours le cas, seigneur
», répondit Gonzague, au garde à vous. « Al est actuellement en pleine récupération d’un traumatisme facial dû à un impact ornithologique et Cyril a fuit au moment de l’attaque. Mais nous avons bon espoir de tous être réunis avant la nuit. »

Arzhiel posa sa main à plat sur le cristal pour ne pas être entendu et se tourna vers Garfyon.

- « J’ai comme un doute… » murmura le seigneur gêné. « Vous êtes certain qu’ils seront à la hauteur ? Curieusement, je trouve qu’ils n’en imposent pas des masses là. On dirait…des gros noobs. »
- « Ils voyagent depuis près de six mois, sire. Ils n’ont pu qu’accroître leur expérience et développer de grandes qualités martiales. C’est indéniable. »
- « Quelle est cette mission d’importance, père ?
» demanda Vorshek. « Quoi ? Chut, je parle avec Père. Non, Maître Hjotra, je n’ai pas votre masse d’armes. Souvenez-vous, elle vous a glissé des mains la dernière fois lors du combat contre ces gobelins. On n’a jamais réussi à la faire retomber de l’arbre. »
- « La mission consiste à interroger une prophétesse à propos d’une éventuelle menace qui pèserait sur le Karak et…Oui, je vous vois Hjotra…C’est ça, bonjour ! Donc, il y aurait des présages néfastes ici pouvant faire penser que nous serions en danger à cause…Quoi ? Mais je parle, là Hjotra ! Oui, on s’occupe bien de vos bêtes et la patte de votre poney va mieux…Les gens au Karak ont partagé le même cauchemar et on souhaiterait interroger les dieux par le biais de cette voyante pour savoir quelle est la nature du péril, si péril il y a car…Vous allez vous barrer de devant mon cristal, Hjotra ou il faut que je me téléporte pour vous latter ?! Comment ? Oui, vous pouvez garder le pigeon si ça vous chante ! »
- « On doit se rendre auprès d’une oracle et l’interroger ?
» résuma Vorshek en écartant Hjotra. «Où habite-elle ? Après les Marches du Lutin Clopant, près de la rivière Barbiche ? Le ciel soit loué, c’est en dehors de ces maudits marais. »
- « Les marais, ça gave
», commenta Gonzague.
- « Vous êtes certain que vous y arriverez ? » interrogea Arzhiel doutant sévèrement. « Non, parce que je ne vous envoie pas vous palucher dans les bois ou me ramener des fraises du marché. C’est une mission capitale ! Et quand je vois votre équipe de boulets gratinés, je commence à faire de l’huile. »
- « Soyez sans crainte, Père !
» le rassura Vorshek. « Nous accomplirons cette quête dans les plus brefs délais. Deux questions, néanmoins : à combien s’élèvera notre rémunération et est-ce que cette prophétesse est célibataire ? »
- « Je vous laisse deux jours
», grogna Arzhiel en collant son nez contre le cristal. « Passé ce délai, si je n’ai aucune nouvelle de votre part, je vous envoie votre mère. »

Vorshek devint aussitôt livide, ses traits se crispant si brutalement à cette menace que la boue séchant sur son visage craquela brusquement en miettes.

- « Nous partons sur-le-champ, Père ! Remerciez Mère pour la baguette envoyée en cadeau et embrassez-la bien fort de ma part ! »
- « J’attendrai que les zombies aient envahi le Karak avant de songer à une telle extrémité
», marmonna le nain avant d’éteindre son artefact magique. « Qu’est-ce que vous en pensez ? Vous croyez qu’ils peuvent réussir ? »

Elfes et nains du conseil échangèrent des regards fuyants en conservant le silence. Svorn fut le premier à sortir de leurs rangs et s’éloigna en maugréant.

- « Ils vont tout foirer », commenta le haut prêtre en grimaçant. « Je vais graver des runes tueuse de morts-vivants, histoire qu’on en crève quelques-uns avant d’être écharpés. »
- « Attendez !
» s’écria Arzhiel d’une voix dure, le regard ombrageux et le visage fermé. « Attendez-moi, je viens avec vous. Purée, c’est clair que ces brêles vont merder grave ! Rien que le fait d’envoyer ces quiches parler aux dieux méritent qu’ils nous éclatent à grands coups de morts-vivants ! Pfff, faîtes des gosses ! »

Bilan de la mission :
Vorshek : Crainte maternelle +1
Al : Crainte des columbidés +1
Hjotra : Maniement de la masse -1
Gonzague : Protection rapprochée +1
Cyril : Fuite en milieu aquatique/vaseux -1
Expérience acquise : Misérable
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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 3 Oct - 22:12

Episode 134 – La Voie de la Pythie

Sautillant comme un cabri pré-pubère, Al grimpa la pente parsemée de rochers déchiquetés et effectua, une fois parvenu au sommet, une danse de la victoire endiablée, seulement interrompue par le second jet de pierre rageur de Gonzague.

- « La plaine de la caisse soufflée ! » s’exclama le rôdeur radieux en désignant le paysage derrière lui lorsque le groupe le rejoint. « On la nomme ainsi rapport au son du vent qui la balaye. Les Marches du Lutin Clopant sont là-bas, on les longera demain matin. »
- « Et la rivière Barbiche ?
» interrogea Vorshek, fourbu et méfiant.
- « Un nain ivre à reculons y parviendrait depuis ici après deux heures de marche, donc arrondissons à quatre heures pour notre groupe. Demain soir, on couche chez l’Oracle grâce à votre bon ami Al le voyageur qui connaît le pays comme sa poche ! »
- « J’ai les pieds en feu et le dos en miettes à force de crapahuter sur les sentiers pourris du bon ami voyageur !
» grommela Gonzague en le bousculant. « Finis les raccourcis improvisés, demain on suit la route et les panneaux ! »
- « Mais personne ne suit les panneaux
», ricana le rôdeur. « C’est trop ringard. On a un peu déviés, mais c’était quand même plus sympa que respirer la poussière en suivant une vulgaire route balisée, non ? »
- « Sympa ?!
» gémit Cyril en s’écroulant, harassé. « On a traversé une forêt de ronces, une lande de boue et escaladé une montagne baignée de vapeurs toxiques. On s’est fait courser par des bestioles et des monstres appartenant à quatre grandes familles de carnivores différentes et une vieille orque cradingue m’a frappé sur la tête avec un os. Le moment sympa a du avoir lieu pendant que je me vidais de mon sang, inconscient, parce que je ne m’en souviens pas ! »
- « On aurait du engager ce guide à l’auberge du Bouc qui Piche
», dit Gonzague dans un soupir las.
- « C’est la fatigue qui te fait dire ça », ricana Al.
- « Ah non, c’est ma haine croissante envers toi. »
- « Aucune importance
», répondit le jeune homme avec philosophie. « Tu dois avoir faim aussi. Venez, on va installer le campement plus bas pour la nuit. Votre Royauté, tu suis ? Ce n’est pas la peine de prendre ta pose de grand penseur fixant l’horizon, y a aucune gueuse aux alentours. »
- « Cette plaine
», déclara le demi elfe, songeur. « C’est ici qu’a eu lieu la bataille finale de la guerre de la chèvre. »

Le sorcier marqua un temps d’arrêt en attendant que quelqu’un l’interroge à ce sujet, mais une fois que Cyril eut commencé à sortir chaudron et couverts et que Hjotra ait déballé tous ses outils de mineurs pour se tailler un oreiller dans une pierre, il se permit de poursuivre seul.

- « La guerre de la chèvre remonte à une lointaine époque. Le suzerain des nains de la région avait organisé un grand banquet en l’honneur de l’anniversaire de son neveu, fort laid et peu gâté par la nature. Il invita tous les nobles des environs, espérant trouver une femme pour son neveu, tristement célèbre pour ses déconvenues amoureuses…Oui, Maître Hjotra, en un seul mot déconvenue…Un bourgeois elfe eut la fâcheuse idée d’offrir une chèvre lors de ces festivités, cet animal incarnant pour son peuple la prospérité et l’abondance. Malheureusement, le roi nain, son neveu et tous les nains présents interprétèrent différemment cette offrande, comme une insulte irréparable. S’ensuivit la guerre de la chèvre opposant nains et elfes jusqu’à la dernière sanglante bataille ayant eu lieu ici même, il y a une éternité. »
- « Est-ce que c’est manquer de respect à ton rang et ton titre de comparer le niveau de chiantitude de ton anecdote avec les chansons de Cyril ?
» interrogea Al en allumant le feu. « C’est bien ce qui me semblait. Je n’en ferai rien alors. »
- « Par contre, moi je veux bien que tu la répètes tout à l’heure ton histoire
», déclara Gonzague en retirant ses bottes dans un râle jouissif de délivrance. « J’ai toujours du mal à m’endormir quand je dors à la belle étoile. »
- « Ce n’est pas grave
», fit le magicien avec dédain. « Les dieux ne peuvent être aussi injustes, vous aurez sans doute de l’intelligence dans une autre vie ! »
- « Une fois j’ai offert une chèvre à votre mère
», expliqua Hjotra. « Votre père disait qu’elle n’avait pas d’amie, j’ai cru que c’était une bonne idée. Et bien je vous confirme que les elfes non plus n’aiment pas ce genre de cadeaux. Elle a fait fleurir ma barbe pendant tout le printemps. Je ne vous raconte pas les allergies ! »

Vorshek haussa les épaules et se tourna en boudant. Il se roula en boule dans sa cape et s’endormit en maugréant pour être réveillé au cœur de la nuit par un visage sévère et barbu penché au-dessus de lui. Le demi elfe tiré de son sommeil crut un instant qu’il s’agissait de Hjotra, en proie à l’une de ses banales terreurs nocturnes où il rêvait que des enfants venaient lui proposer de jouer à la marelle avec eux, jusqu’à ce qu’il s’aperçoive dans un cri étranglé de stupeur fort peu masculin que le nain était translucide.

- « Un fantôme ! » hurla le mage à la cantonade pour réveiller ses compagnons. « Là, encore un ! Et là un autre ! Par le chapeau pointu du Roi-Sorcier ! Des spectres partout ! »

Les aventuriers apeurés se regroupèrent dos à dos, littéralement encerclés par des centaines de fantômes d’elfes et de nains silencieux et immobiles les observant de leur regard torve et éteint. Les guerriers morts lors de l’ultime bataille de la guerre de la chèvre s’étaient arrachés à leur repos éternel pour pourrir celui des cinq héros en herbe.

- « Ils n’attaquent pas pour le moment », chuchota Cyril, agrippé plus que de raison à la jambe de Vorshek. « Voulez-vous que j’entonne un chant funèbre pour les apaiser ? »
- « Nous sommes perdus !
» bredouilla Gonzague, terrifiée. « Ils sont trop nombreux et nous bloquent ici. On va tous y passer, si ce n’est par eux, par l’odeur de gras d’aisselle de Al. »
- « Je crois que j’ai une idée pour qu’ils nous épargnent
», répondit ce dernier. « Vorshek et Gonzague, embrassez-vous ! »
- « Ou alors on leur sacrifie un rôdeur débile
», rétorqua sèchement Vorshek.
- « Mais réfléchissez ! » insista le jeune homme. « C’est leur haine mutuelle qui a réveillé ces spectres. Si on leur montre qu’un elfe et qu’une naine peuvent s’apprécier au point d’échanger un baiser, ils seront délivrés de leur tourment ! Magnez-vous, ils approchent ! »
- « Pour moi c’est trop tard, j’ai déjà fait la goutte
», se lamenta Hjotra.
- « Misère, ils avancent ! » s’écria Gonzague, paniquée. « Que faire ?! Oh, tant pis pour l’amour-propre, on racontera qu’on était saouls ! Viens là, Prince ! »

Gonzague saisit vigoureusement Vorshek et déposa un baiser bruyant sur ses lèvres retroussées et tremblotantes. Les spectres se figèrent. Leur expression vide se chargea soudain d’une profonde fureur devant pareil outrage et ils sortirent leurs armes éthérées en geignant de rage. C’est le moment que choisirent les aventuriers pour traverser leurs rangs à toute vitesse et fuir loin de la plaine. Ce n’est qu’au petit matin que les fantômes cessèrent la poursuite, chassés par l’aube.

- « Essayons de garder notre sang-froid et notre objectivité », lança Al quand Vorshek et Gonzague se tournèrent vers lui avec le même rictus de colère que celui des mort-vivants. « Déjà, on a survécu et en plus, cette petite course épique nous a permis de bien avancer sur le parcours ! Non pas la masse ! Pas la baguette qui pique non plus ! Allez quoi, les amis ! Franchement, c’était fendard, non ? »
- « Quelle odeur épouvantable de charogne !
» se plaignit Cyril en se bouchant le nez. « Vengez-vous, mais faîtes vite. Il semblerait que notre compagnon rôdeur blagueur soit particulièrement sensible au stress de la torture punitive. »
- « Ah non, c’est pas moi !
» se défendit ce dernier, plaqué au sol par le genou de Gonzague fiché au creux de ses reins.
- « Ça pue comme après la bonne coulante d’une lutte intestine », détailla Hjotra en se massant le ventre.

Si les ululements plaintifs de Al dont les articulations découvraient de nouveaux angles incongrus n’en furent pas à l’origine, ce fut sans doute le piquant de la remarque de Hjotra qui attira le cyclope responsable de l’atmosphère vicié. Le géant vêtu comme un sauvage de peaux de bêtes et brandissant un gigantesque gourdin jaillit des fourrés en grognant, précédé de son odeur corporelle ayant trahi sa proximité.

- « Oh, un local ! » s’enthousiasma Cyril jusqu’à ce que le gourdin s’écrase violemment à ses pieds. « Se peut-il qu’il soit belliqueux ? »
- « Il sent la mort, il porte des loques et il n’a qu’un œil
», dit Gonzague. « Ça met de mauvaise humeur d’avoir autant de points communs avec la fiancée de Al. »
- « Habituellement, je suis ravi de m’envoyer en l’air avec un inconnu aussi vigoureux
», déclara Cyril tandis que le cyclope le soulevait par la jambe, « mais je n’aime ni les manières, ni l’hygiène désastreuse de celui-ci. Reculez ! Je vais calmer ses ardeurs grâce à mes talents de barde ! »

Le hobbit porta à ses lèvres sa flûte avant d’être lui-même porté à celles du monstre, puis entama une douce mélodie censée hypnotiser l’adversaire. Il s’interrompit à la moitié lorsqu’il fut pétrifié par sa propre musique. Le cyclope renifla le barde figé aussi dur que de la pierre, puis le jeta au loin par dépit, préférant se tourner vers le reste de la troupe. Repérant le second plus gras de l’équipe, le cyclope se rua sur Hjotra avec appétit. L’ingénieur tenta de l’en dissuader de sa plus redoutable posture de combat, la ruade du colibri, mais ne parvint qu’à perdre l’équilibre et tituba en avant. Le brusque mouvement s’avéra fatal à son bouton de pantalon qui craqua dans un bruit sec et fut propulsé avec force directement dans l’œil du monstre affamé. Celui-ci s’écroula sous l’impact et sa tête alla malencontreusement heurter le rocher oreiller de Hjotra volé le matin même par Al qui s’en servait jusque là de cachette. Le cyclope perdit la vie dans un affreux bruit de noix croustillant sous le talon, à la surprise générale.

- « Maître ! » s’écria Gonzague, éblouie et époustouflée par l’exploit. « Vous avez mis sa race à ce monstre en une seule attaque ! Vous êtes vraiment un héros alors ! Je savais que tous ces racontars sur votre débilité et votre maladresse n’étaient pas tous fondés ! »
- « Alors là je suis séché
», avoua Al en se relevant pour observer le cyclope vaincu. « Si je n’avais pas autant la gerbe à cause de l’odeur du grand borgne crasseux, je crois que je prendrais une minute pour vous exprimer toute mon admiration. Mais je vais plutôt me casser avant de dégobiller sur vos bottes. »
- « Je vous apprendrai cette technique
», promit Hjotra, tout aussi surpris que les autres. « Le colibri peut être impitoyable…Quelqu’un aurait une ceinture ou des bretelles en rab ? »
- « Il semblerait que Cerise soit parvenu à se figer avec son propre sortilège…
» déplora Vorshek en examinant le hobbit abandonné dans un buisson. « On ne peut pas se permettre d’attendre que la magie s’estompe. On va devoir le laisser là en le camouflant sous des branchages. Je lui glisse une pierre gravée des indications pour nous rejoindre dans sa poche…Tiens, c’est curieux, on dirait mon slip en boule dans son veston… »

Les aventuriers reprirent ainsi leur chemin, échappant à un nouvel obstacle mortel, mais délesté de leur fidèle et inutile barde. Plus déterminés que jamais à poursuivre, surtout chassés par l’odeur de pied du cyclope et motivés par la faim, les quatre héros se hâtèrent de continuer la route les menant à l’Oracle. Après une tentative téméraire mais peu réfléchie de Al de tenter de récupérer du miel dans une ruche d’abeilles qui coûta au groupe une nouvelle course-poursuite douloureuse, les Dragons qui Roxxent arrivèrent sur les berges de la Barbiche. Une file indienne de divers voyageurs et marchands itinérants bouchonnant sur le seul pont qui enjambait le cours d’eau annonçait une autre embûche.

- « Y a un groupe d’humains au milieu du pont », renseigna Hjotra après avoir été voir. « Les gens leur donnent des sous ou ils les envoient à la baille. C’est quoi comme travail ? »
- « Pète rouleaux
», répondit Al en soupirant. « On fait la queue ? »
- « On ne va pas faire la queue pour se faire tâter les bourses !
» s’offusqua Vorshek. « Maître Hjotra va rosser ces malandrins. »
- « Tu ne veux pas plutôt leur coller un coup de baguette qui crame ?
» proposa Gonzague, au grand soulagement de l’ingénieur. « Je ne veux pas critiquer…Oh, en fait si. Mais tu n’as pas glandé grand-chose pour l’instant. »
- « Je ne gaspillerai pas une once de mon pouvoir de magie pécuniaire dans cette quête sans récompense
», répondit le demi elfe d’un ton dédaigneux. « Par contre, je peux user à loisir de mon autorité princière. Soldate ! Déblaye-moi le passage. Toi non plus, tu n’as pas fait grand-chose jusque là. »
- « J’ai défoncé Al deux fois et c’est moi qui l’ai suspendu par les pieds à cette branche quand on a croisé ce couple de grizzlis ! Je ne vais pas y aller seule ! Ils sont quatre !
»

Inflexible, Vorshek tendit un index irrévocable en direction du pont. Gonzague ronchonna, piétina les orteils de Al qui gloussait, puis remonta la queue sous les protestations des voyageurs.

- « Bon la racaille, ce n’est pas personnel, ce n’est même pas un plaisir, mais vous allez virer vos carcasses de traîne-patins miséreux de là ou je vous taille les noyaux à l’acier et vous évacue à coups de pompes dans le fion. »
- « Mémé, le Ouf, Kiki !
» appela le chef des bandits.

Cinq secondes plus tard, Gonzague volait dans le fleuve.

- « Les petites fiottes ! » jura la naine en remontant sur la berge. « C’est des furieux, Kiki m’a même mordu le sein ! »
- « C’est cruel mais insuffisant pour les battre
», commenta Al. « T’es la fille d’un berserker, non ? Alors, retournes-y et mets-y plus de rage ! Enerve-toi ! Je ne veux pas croire que tu vas les laisser dire qu’avec la largeur de ton derche, c’est normal que tu flottes comme un bouchon, sans chercher à te venger. »
- « Ils n’ont carrément pas dit ça !
» pesta la naine.
- « Ah ? C’est peut-être moi alors. Mais on s’en fout ! Défonce-les ! »

La guerrière essora ses tresses et repartit à l’assaut d’un air décidé. Elle se retrouva dans l’eau encore plus vite que la première fois.

- « Je commence à être indisposé par la station debout », soupira Vorshek. « Nous perdons du temps, Gonzague. »
- « Que la vérole soit sur ces charlots ! Dès que j’en allume un, les trois autres me tombent sur le dos plus vite que Vorshek sur celui des paysannes ! »
- « J’ai la solution !
» lança Al avec un sourire mesquin.

Le rôdeur alla trouver les bandits et échangea quelques mots avec eux. Puis il revint sous les ricanements gras des quatre détrousseurs.

- « J’ai essayé de négocier notre droit de passage contre une bonne vanne, mais ça n’a pas marché. Ils se sont bien marrés en apprenant comment vous vous étiez embrassés tous les deux, mais ils préfèrent l’argent. »
- « Quoi ?!
» explosa Gonzague avant de charger, folle furieuse.
- « Joli coup », confia Vorshek à Al tandis que la naine en pleine folie berserk massacrait les voleurs avec application. « Tu escomptais la mettre en colère, c’est bien vu. Par contre, dis-moi, tu as prévu quoi pour la calmer une fois qu’elle aura achevé le dernier des brigands et qu’elle se retournera contre toi ? Comme…juste maintenant, tiens. »

Un peu plus tard, Vorshek s’arrêta et leva la tête pour mieux observer l’entrée de la grotte de l’oracle. Il se tourna vers ses compagnons et son air satisfait s’envola. Hjotra tenait son oreiller en pierre d’une main et son pantalon de l’autre, Gonzague se traînait péniblement, vidée de ses forces par sa crise de folie meurtrière et Al s’était écroulé, plusieurs mètres derrière, entravé dans l’un de ses innombrables bandages de fortune.

- « Hardi, compagnons ! Haut les cœurs ! Nous sommes parvenus à destination. Allez, quoi ! Vous pourriez sourire au moins…A part Al parce qu’on ne voit plus son visage sous les pansements, mais quand même. Je trouve que vous ne faîtes pas d’efforts, les enfants. Je suis déçu. »

Le demi elfe guilleret d’avoir atteint son but, et impatient de trouver la fameuse prophétesse qu’il espérait jeune, naïve et en robe légère, pénétra dans l’enceinte sacrée.

- « Fais-nous voir ton sourire niais ? » lui demanda Gonzague tandis qu’ils s’engageaient dans les souterrains de la prophétesse. « D’accord, je vois. J’ai compris pourquoi tu n’as pas dégainé ta baguette une seconde ! Tu économisais ta magie pour refaire le coup de l’invocation de licorne, n’est-ce pas ? »

Vorshek ne répondit pas, mais Gonzague sut qu’elle avait raison lorsqu’elle vit son air enjoué s’envoler et ses traits s’affaisser quand ils arrivèrent dans la salle des visions. L’oracle, vautrée dans un trône en pierre, était vieille, ridée, maigre comme un clou d’armure de barbare et reniflait bruyamment à intervalles réguliers.

- « Salutations, pythie ! » lança le demi elfe, boudant de déception. « Je suis le prince Vorshek, fils d’Arzhiel et Elenwë, maîtres de Karak. Je viens à toi afin d’obtenir le conseil des dieux quant à une sourde et mystérieuse menace planant sur les miens. Es-tu disposée à user de ton don de voyance pour moi ? »
- « Mince, une vision, c’est original
», le rabroua la vieille prêtresse d’un ton sec. « J’étais plus chaude pour faire des crêpes, mais bon, tant pis. C’est quoi ton signe astrologique, blondinette ? »
- « Vous faîtes dans l’astrologie ?
» s’émerveilla Gonzague. « Moi, mon signe c’est golem ! Qu’est-ce que vous pouvez me prédire ? »
- « Que tu vas la fermer tout de suite et que tu vas faire le piquet dehors parce que tu m’as interrompu et que ça me gerce
», rétorqua la prophétesse en étreignant frénétiquement ses genoux cagneux sous l’œil révulsé de Vorshek.
- « Autant le personnage et la mise en scène sont plutôt douteux », murmura Al à l’oreille de Vorshek, « autant j’aime assez les dialogues ».
- « Je te répète que ce n’est pas de la comédie
», marmonna le demi elfe tandis que Gonzague sortait en traînant les pieds. « La pythie possède de vrais dons et peut interroger les cieux ! En plus, si elle peut dégager Gonzague en une phrase, c’est que du bonus. »
- « Bon, les deux gonzesses, quand vous aurez fini d’échanger des mots doux, on pourra y aller !
» s’exclama l’oracle. « Maman a la migraine aujourd’hui alors il ne va pas falloir lui râper les meules trop longtemps. Ton signe, blondasse. »
- « Je suis sylphe
», répondit timidement le magicien, déclenchant aussitôt la transe de la prêtresse.
- « Je ne connais plus mon signe », paniqua Hjotra. « Je fais quoi si elle m’interroge ? Il me semble que je suis gastéropode. »
- « C’est pas un signe, ça
», chuchota Al. « C’est la famille des escargots. »
- « Ah oui, je confonds avec ceux qui ont peur des espaces clos. »
- « Claustrophobe ?
» intervint Vorshek à voix basse.
- « De quoi ? » répéta Hjotra, sans comprendre. « Déjà que je m’emmêle avec les mots nains, si vous répondez en langue étrangère, on ne va pas s’en sortir…Tant pis, je vais dire que je suis escargot alors. »
- « Vous comptez claquer vos dentiers un jour ou je vous fiche le mauvais œil et la chiasse en prime pour le restant de la semaine ?!
» menaça la pythie en pleine concentration. « J’entends les paroles célestes ! Ecoutez ! Ecoutez ! Sachez rester terre à terre pour avoir la tête dans les nuages. La lune dans la maison de la pucelle vous défavorisera, surtout si vous avez le cheveu fin mais épais. Santé : attention aux sucreries, vous risquez de prendre deux livres en une journée. »

La vieille femme acariâtre se tut dans un râle glaireux puis sa tête retomba mollement sur sa poitrine squelettique. Une poignée de secondes plus tard, elle ronflait doucement. Les aventuriers pantois sortirent en silence.

- « Alors ? » les interrogea Gonzague, patientant sur le seuil de la grotte. « Que vous a annoncé cette vieille taupe ? »
- « Ma foi…
» hésita Vorshek, perplexe, ne sachant trop que dire. « Qu’est-ce qu’on fait ? On dit à Père qu’on n’a pas trouvé ? »

Bilan de la mission
Vorshek : Paresse mystique +1
Al : Orientation spontanée -1
Gonzague : Lattage de gueux +1 (déblocage de la compétence Berserk niveau zéro)
Hjotra : Attaque improbable +1
Cyril : Hypnose musicale -10
Expérience acquise : Risible
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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 3 Oct - 22:13

Episode 135 – Ciel et Flamme

L’appel se fit insistant et si irrésistible que le sylphe ne put plus davantage l’ignorer, ni même détacher son attention à présent ancrée dessus. Séduit par la magie si attractive, le génie des airs se laissa guider puis, par caprice, décida de la dédaigner. Mais la source devint alors plus intense et l’énergie s’accumulant autour de lui, empêchant qu’il ne s’éparpille au gré du vent pour disparaître, l’accula pour l’attirer de force. Le sylphe siffla et gémit de protestation, mais dut céder. Son arrivée fut précédée d’une violente bourrasque qui repoussa et fit sursauter les mortels responsables de son invocation. Le sortilège était oppressant, presque douloureux car mal dosé. Le sylphe observa son environnement et copia. Il adopta une forme humanoïde à l’image de ceux qui avaient requis sa présence avant de calmer ses brises entravées. Impassible, il attendit.

- « Alors là, bravo la magie ! » se plaignit Cyril en se recoiffant. « Je suis tout dépeigné maintenant, regardez ce chantier ! Ma mèche est complètement hirsute ! »
- « Visez l’engin !
» commenta Gonzague en observant le sylphe d’un air méfiant. « Oh la pauvre bougie ! »
- « Je ne sais pas si c’est bien prudent de vanner un génie des airs et des tornades
», dit Al en glissant vers une cachette isolée.
- « C’est bon, je contrôle, ça ne risque rien », lança Vorshek, auréolé de sa magie d’invocation. « Le rituel n’est pas tout à fait achevé. Il ne peut ni nous voir, ni nous entendre à ce stade. Je suis un pro, qu’est-ce que vous croyez ? »
- « Non, mais ils arrivent à se reproduire tes génies avec des ganaches comme la sienne ?!
» fit Gonzague, interloquée.
- « C’est un élémental », rectifia le demi-elfe d’un ton professoral. « Un élémental de l’air. »
- « Comme le fromage ?
» interrogea Hjotra.
- « Vous confondez avec emmental », dit Cerise, armé de son peigne.
- « Emmental, c’est pas ce qui se passe dans la tête ? »
- « Bon, euh…
» soupira Al, couché sous des fougères. « On ne va pas y passer la matinée. Balance ton ordre, votre principauté. Il a un drôle de regard ton génie volant du fromage. »
- « Coureur des vents et dresseur des brises !
» cria Vorshek d’un air inspiré et théâtral. « Entends la voix de ton maître et vole à la recherche de l’enfant perdue que nous cherchons ! Chevauche les alizés, parcoure les terres et le ciel et trouve Náre la fillette égarée ! Cet habit fut sien ! Que son odeur te mène sur la bonne voie et me mène à moi sur celle de la chambre de sa grande sœur éplorée ! »
- « Le début n’était pas mal
», critiqua Cyril le barde, « mais je ne sais pas trop pour la fin… »
- « Sérieux, on n’aurait pas pu louer un clébard pour faire ça ?
» fit Gonzague. « Si c’est pour faire renifler des loques à une bestiole, un bâtard aurait très bien fait l’affaire et on n’aurait pas eu à poireauter trois jours que messire l’enchanteur lâche son sort d’invocation. »
- « Certes, mais ce sera plus efficace et bien plus classe
», se justifia Vorshek tandis que le sylphe faisait onduler la tunique de l’enfant à sa hauteur. « En plus, Helle, la grande sœur, nous regarde depuis la colline. »
- « T’as vraiment un problème avec les filles, prince
», se lamenta Gonzague. « Alors le vioque qui supplie hier qu’on le venge des pillards qui ont brûlé sa famille et sa ferme, on s’en fout, mais la première blonde en larmes couinant sur une bûche au bord du sentier devient tout de suite une priorité vitale. Je te rappelle qu’on n’a pas vraiment le temps de batifoler avec les gueuses, ton père nous a rappelés au Karak. »
- « La malheureuse a perdu sa sœur, vous n’avez donc pas de cœur ? »
- « Je ne crois pas que ce soit cet organe là qui te motive. En plus, une femme vivant seule dans une forêt et qui arrête les voyageurs sur le bas-côté, c’est ou qu’elle vend ce que tu cherches à obtenir gratos ou une sorcière bien vicelarde en quête d’ingrédients en chair fraîche. »
- « Regardez le sylphe !
» s’écria Cyril. « Il s’envole. Il a dû trouver quelque chose ! Ohhhh ! Non, ma mèche ! Mais quelle brute ! Il n’a donc aucun respect pour l’art capillaire ?! »

Les doutes émis par Gonzague semblèrent emportés dans le sillage du sylphe et Vorshek, plein d’enthousiasme, lança ses troupes à sa suite. Les aventuriers suivirent la piste retrouvée par la créature aérienne jusqu’à la côte proche. La petite sœur perdue semblait vivre au sein des grottes dont étaient percées les falaises battues par les vents et les marées, au bout d’une large plage parsemée de rochers déchiquetés.

- « Magnifique ! » s’exclama Vorshek. « Náre est vivante ! »
- « Ils vivent vraiment dans des coins pourris dans cette famille
», grommela Al. « Je ne vois pas l’intérêt de déserter une cabane au fond des bois pour aller se planquer dans une grotte humide près de la plage. »
- « Le sylphe m’avertit qu’il détecte de nombreuses odeurs de mortels dans ces cavernes. La petite a peut-être bien été enlevée comme le craignait sa soeur. »
- « Moi je parie qu’elle s’est barrée avec son amant
», avança Al avec aplomb.
- « Pauvre courge, c’est une fillette ! Elle ne doit pas avoir huit ans ! »
- « Les filles sont précoces
», se défendit le rôdeur avant de prendre un taquet.
- « Bon, on y va ! » décida Vorshek. « Une seconde, je révoque le sylphe. Merci, destrier des nuages et roi des nuées ! »
- « Dénué de quoi ?
» demanda Hjotra. « Faut pas s’étonner que je décroche de vos conversations si vous ne finissez pas vos phrases ! »
- « Il était sympa
», reconnut Gonzague en regardant s’élever l’élémental. « Bon, il était laid comme une chique et semblait aussi vif qu’un mollusque, mais sympa. »

Le sylphe libéré prit de la hauteur et s’envola avec hâte, non sans avoir auparavant renversé les stupides mortels insolents d’une dernière bourrasque dans le dos.

- « Allez, les dragons qui roxxent ! » clama Vorshek en se dirigeant vers la plage. « Allons libérer la petite de ses ravisseurs ! A l’assaut ! »
- « Comment ça à l’assaut ?!
» s’exclama Al, paniqué. « Mais quand tu dis « à l’assaut », tu parles de nous ? De nous tous ? Tu sais ce qu’il peut y avoir dans ces cavernes, votre majesté ?! Des pirates ! Un clan entier d’orcs noirs ! Des crabes géants ou même Ténébrum l’Hérétique en personne ! »
- « C’est possible pour Ténébrum
», déclara Hjotra avec sérieux. « S’il est hérétique, il ne prend pas l’eau. Il ne risque rien même avec la mer. »
- « Comment ?
» tiqua Cyril. « Traduction je vous prie. Je ne l’ai pas comprise celle-ci. »
- « Hérétique, ça ne veut pas dire qui ne prend pas l’eau ?
» se vexa Hjotra.
- « Ah, hermétique ! Donc non, je doute moi aussi que l’on trouve Ténébrum l’Hermétique dans cette grotte. Par contre, les crabes géants… »
- « Une remarque judicieuse et pertinente
», songea Vorshek, pensif. « Il serait regrettable qu’on se fasse viander par un monstre sanguinaire avant d’avoir obtenu ma récompense…enfin, avant d’avoir sauvé la petite Náre, je veux dire. Envoyons un éclaireur ! Al, tu es parti ! »
- « Oui, dans l’autre sens
», indiqua Gonzague en désignant le jeune homme qui s’esquivait.
- « C’est toi le plus furtif d’entre-nous en tant que voleur », le sermonna Vorshek en le rattrapant par le col.
- « Mais je ne suis pas voleur ! » râla Al. « Je suis rôdeur ! En plus, vous le savez pertinemment. Qu’est-ce que vous faîtes ? C’est un pique-nique ? »
- « En attendant ton retour
», expliqua Hjotra en dépliant la nappe. « Tu penses en avoir pour longtemps ou on peut taper dans ta part de quiche aux champignons et de pâté de putois ? »

Al s’en alla en grommelant vers la plage, boudant et jurant que s’il laissait sa vie dans cette mission, il reviendrait hanter ses compagnons. Mais ceux-ci n’entendirent pas, trop occupés à déballer la nourriture et à préparer les tartines. Le jeune rôdeur traversa la plage et réchappa de justesse à l’attaque forcenée d’une escouade de mouettes en plongeant derrière un rocher. Il ne comprit le soudain intérêt des volatiles sur sa personne qu’en découvrant le poisson habilement dissimulé dans sa capuche, certainement par Hjotra. C’est glissant dans les ombres à pas de loups, tout en surveillant le ciel d’un œil inquiet, que le triste éclaireur pénétra l’une des cavernes indiquées par le sylphe. Malgré tout son art du camouflage et sa concentration, il fut malheureusement repéré lorsqu’il trébucha sur une rame et échoua dans un filet tendu dans lequel il s’empêtra tout seul sous le regard perplexe d’un groupe de vieilles personnes.

- « Allez dire à Maître Hjotra qu’il peut arrêter de jouer avec les goélands », avertit Vorshek en scrutant l’horizon, peu de temps après. « Je vois Al qui revient. Vivant et même pas pourchassé. »

Gonzague poussa un juron, honora son pari perdu en donnant une pièce à Cyril et alla chercher Hjotra qui, décoré de cent plumes plantées dans ses cheveux et sa barbe, devisait paisiblement avec les oiseaux. Al remonta le sentier jusqu’à ses compagnons intrigués.

- « Vous pouvez venir, c’est paisible », annonça-t-il en s’apercevant avec amertume sur la nappe vide qu’il ne restait plus rien à manger. « Comment on appelle déjà les nains qui ne vivent pas dans les montagnes ? »
- « Les bannis et les clodos ?
» proposa Gonzague.
- « Non, mais l’espèce ? Ceux qui crèchent dans des grottes ou dans les souterrains ? »
- « Il y a les kobolds et les korrigans
», expliqua Vorshek. « Techniquement, ce ne sont pas des nains de pure souche comme au Karak. Leur apparence, leur mode de vie, leur culture et leur savoir sont différents de ceux des nains de montagne car… »
- « Les grottes là-bas sont pleines de kobolds et il y a une gamine humaine qui vit avec eux
», l’interrompit Al. « Y a pas un fond de pâté de putois ? »
- « Des kobolds ?!
» fit Vorshek avec curiosité. « Et comment sais-tu pour la petite ? Tu l’as vue ? »
- « Ah non, j’ai demandé. C’est sûr au début, ils m’ont un petit peu coursé avec des couteaux et des bâtons, mais j’ai réussi à gagner leur sympathie. Je leur ai expliqué que j’étais envoyé par le seigneur du coin pour leur soumettre un questionnaire de satisfaction. Et vous savez, les impôts attractifs pour les non-humains de la région rendent le baron plutôt populaire. »
- « Mais Náre est bien avec eux ? Elle est leur captive ? »
- « Plus ou moins
», répondit le rôdeur en haussant les épaules. « Une secte dissidente du fief leur a un jour confié la garde de l’enfant. Les kobolds avaient l’air de n’en avoir rien à carrer de jouer les nounous mais comme ce sont eux qui fournissent la secte en sel, poissons et pierres, ils ont accepté. On reconnaît bien le côté marchand et respectueux du client chez les nains, mêmes les aussi gris et moches que ceux-là. Sérieux, j’ai trotté et accepté de parler à ces lutins maritimes qui daubent la crevette. Y a pas même un croûton pour me récompenser ? »
- « Je sens que Helle ne nous a pas raconté tous les détails
», marmonna Gonzague. « Une secte dissidente ? Pourquoi j’ai l’impression qu’on va encore devoir fuir un fief avec plein d’ennemis remontés aux miches ? »
- « Si les kobolds sont des commerçants, on devrait pouvoir marchander pour qu’ils nous cèdent Náre
», en déduisit Vorshek. « Avec un peu de bol, la secte nous poursuivra et Helle me verra sauver sa sœur d’un bras et calciner ces marauds de l’autre ! Ah, dieux, que j’aime l’aventure ! »
- « C’est plutôt les aventures qu’il aime et les mésaventures qui nous aiment
», murmura Gonzague au creux de l’oreille de Hjotra qui ne comprit rien, mais sourit quand même avant d’offrir une plume à la naine.

Malgré un naturel rustre et peu enclin à l’hospitalité envers les étrangers, les kobolds trouvèrent la seconde visite d’inconnus de la journée plutôt intrigante et amusante. Curieux, ils écoutèrent le demi elfe loquace et maniéré, examinèrent, interdits, le hobbit ventripotent aux habits multicolores et rirent avec la drôle de créature mi-naine, mi-goéland. Náre se trouvait bien parmi eux, sale et chétive, mais en bonne santé. Le projet de sauvetage de Vorshek la transporta dans une joie immense et dans l’euphorie, elle alla même jusqu’à danser sur un air insoutenable de flûte de Cyril.
Une fois l’instrument du barde confisqué, les négociations purent débuter. Les kobolds rechignèrent à céder la fillette et Vorshek refusa de délier sa bourse, réflexe qui le fit remonter dans l’estime de Gonzague pour cette attitude de pingrerie particulièrement naine. Constatant l’état déplorable des habitations kobolds, souillées, malodorantes et dans un désordre indescriptible, le magicien proposa les services de Gonzague. La jeune naine astiqua, balaya, rangea et nettoya frénétiquement, prise d’une détermination aveugle et fiévreuse envers ce défi de tâches ménagères particulièrement incompréhensible pour les garçons. Les kobolds la félicitèrent. Mais ils refusèrent de rendre l’enfant.
Vorshek leur montra alors le piteux état de leurs filets de pêche séchant au soleil. Il proposa le secours de Cyril qui s’en alla recoudre toutes les mailles déchirées en sifflotant pour les beaux yeux du demi elfe. Les kobolds apprécièrent grandement son travail, ses chansons, moins. Mais ils refusèrent de rendre la fillette.
Vorshek ne se laissa pas abattre devant de telles réticences. Il fit réparer par Hjotra l’essieu d’un moulin dressé sur les falaises. L’ingénieur travailla longuement, surtout lors de la première heure où il fallut jouer aux oiseaux avec lui pour le convaincre. Les kobolds poussèrent des acclamations quand leur vieux moulin fut réparé. Mais ils refusèrent de rendre Náre.
En dernier recours, Vorshek lui-même leur proposa d’utiliser sa magie curative pour guérir et soigner les blessés et les malades de leur clan. C’est épuisé mais satisfait d’avoir éradiqué la dernière verrue plantaire que le magicien réclama la liberté pour la sœur d’Helle. Les kobolds aux pieds neufs sautèrent de joie. Mais ils refusèrent toujours de rendre la petite fille.

- « Bon, reculez, je suis gavé, je les pulvérise d’un coup de Cône de Feu », craqua le demi elfe en cherchant sa baguette.
- « Moi, tu ne m’as rien demandé », grommela Al d’un air boudeur.
- « Comment ? » fit Vorshek en dégainant.
- « Tu as demandé à toute l’équipe de rendre service aux kobolds, sauf à moi. Je suis vexé. »
- « C’est-à-dire que je voulais des talents utiles et négociables et tu es humain
», répondit le prince, mal à l’aise. « Mais je reconnais ne pas leur avoir demandé s’ils avaient quelque chose à voler à quelqu’un. »
- « JE NE SUIS PAS VOLEUR !
» hurla Al en sautillant sur place de colère.

Ce brusque mouvement fit choir de sa poche une boule à neige volée deux jours plus tôt à un colporteur et qui roula à terre. Les kobolds poussèrent la même exclamation ébahie de ravissement devant l’objet somme toute aussi relativement moche qu’inutile. Le temps d’un battement de cœur, ils se jetaient tous dessus et se battaient pour se l’arracher.

- « Si j’avais su, j’aurais braqué tout le stock », commenta Al tandis que le groupe sortait de la caverne avec Náre et que la dispute des kobolds prenait une ampleur alarmante.
- « Je ne veux ni savoir pourquoi tu as dérobé ce souvenir, ni pourquoi ces glandus se tapent sur la gueule pour l’avoir », soupira Gonzague, lasse. « Cette mission part en vrille dès le départ de toute manière. »
- « La neige
», dit alors Hjotra. « Ce sont des nains, ils raffolent de la neige, ça leur rappelle l’altitude. Ici, il ne doit jamais neiger. Vous croyez qu’on a le temps de faire des karaks de sable avant de rentrer ? »

C’est ainsi que, pressant le pas sous l’impulsion irrépressible d’un Vorshek plein de ferveur, la troupe des dragons qui roxxent reprit le chemin de la forêt. Náre fut traitée avec toute l’attention possible, lavée, nourrie, soignée. Les aventuriers, pleins de pitié pour la fillette, se plièrent en quatre pour lui faire oublier son triste sort, sauf peut-être Cyril qui trouva fort injuste de devoir céder l’une de ses tenues pour remplacer ses haillons crasseux. L’argument comme quoi sa taille était la plus proche de l’enfant justifia moins ce choix que celui de la couleur saumon mieux adaptée à une fillette de huit ans qu’à un hobbit mâle adulte doublement séculaire. Náre ne se départait pas de son sourire enjoué qui, allié à son parfait mutisme, rendait Gonzague suspicieuse.

- « J’ai l’impression qu’on fait une boulette », confia la guerrière. « Je ne sais pas dire où et comment, mais je sens le coup de catin qui arrive. Intuition féminine… »
- « Intuition féminine et ménage le même jour ?
» réagit aussitôt Al. « Attention, Gonzague, on va finir par vraiment te prendre pour une fille bientôt. »
- « Je ne vois pas où est le problème
», fit Vorshek tandis que Al mangeait un arbre, soudainement, brutalement et curieusement propulsé par un coup de pied. « Nous avons arraché une jeune enfant innocente à ses ravisseurs qui la traitaient en esclave afin de la ramener à sa grande sœur à laquelle elle manque cruellement. Ce doit être le manque d’habitude des quêtes réussies qui te rend aussi méfiante, Gonzague. La récompense n’attend que nous ! »
- « Garde la main sur ta baguette plutôt que sur ta braguette, prince
», répondit la naine en surveillant les environs. « La mystérieuse secte peut débarquer à tout moment. »

Mais les doutes de la guerrière n’eurent pas raison d’être puisque l’équipe parvint sans encombre jusqu’à la cabane de Helle. La belle jeune femme au port altier accueillit leur arrivée d’un grand cri de soulagement. Náre courut dans ses bras et les deux sœurs s’étreignirent avec passion. Mais le baiser s’éternisa et plus étrange encore, sembla illuminer les deux sœurs d’un halo croissant qui finit par aveugler les héros tous stupéfaits, sauf un qui comptait ses coquillages ramenés de la plage, à l’écart. Lorsque la puissante lumière mourut enfin, Helle et Náre avaient disparu, faisant place à un immense dragon aux écailles bleutées et aux crocs saillants.

- « Tout de suite, là », balbutia Vorshek, médusé, « j’ai quand même nettement moins envie d’une récompense. »
- « J’ai enfin pu recouvrer ma forme originelle
», feula le dragon d’une voix qui fit ployer les arbres proches. « Je suis Nárhelle. Une fourbe secte de fanatiques m’a dépossédé de mon pouvoir pour s’emparer de mes richesses et de ma citadelle. Un de leurs sortilèges m’a séparé de ma puissance, incarnée dans une petite fille, m’abandonnant faible et aussi vide qu’une coquille sans ma magie. J’ai donc adopté l’aspect d’une humaine dans l’attente de ceux qui retrouveraient et délivreraient ma source de puissance. A présent je suis libre ! Libre de me venger de mes ennemis et de semer la mort dans leurs rangs ! Pour votre assistance, mortels, je vous accorde la vie sauve. Disparaissez sans jamais vous retourner ! J’ai des ordures à châtier ! »

- « Je crois que ta récompense fout le camp
», commenta Gonzague tandis que Nárhelle le dragon prenait son envol en crépitant férocement de magie.
- « Je suis dépité », murmura Vorshek lorsque le monstre disparut derrière la cime des arbres. « J’ai l’air dépité ? »
- « De piter ?
» lança Hjotra depuis son coin. « Ouais, grave. »
- « Baste !
» jura Al en sortant de sa cachette, après s’être assuré que la créature était bien partie. « La gamine et sa garce de sœur n’étaient en fait qu’un dragon…Qui l’eut crû ? »
- « Moi j’avais prévenu qu’on allait fatalement causer du vilain pour ce fief
», déclara Gonzague. « Je crois qu’on a une sorte de talent inné pour foutre le merdier. »
- « Quand j’y repense
», songea Vorshek en se recoiffant nerveusement avec le peigne de Cyril. « C’est marrant parce que Náre et Helle, ça veut dire flamme et ciel en elfique antique et Nárhelle, flammes du ciel, c’est typiquement un nom de dragon bien belliqueux et salement monstrueux. Vous pensez que c’était des indices ? »
- « Pas un talent
», dit Cyril à Gonzague avant que le groupe ne se dirige hâtivement vers la frontière du fief. « A ce niveau, c’est un don… »

Bilan de la mission
Vorshek : Négociation de biens et services -1
Cyril : Couture +1 (Maîtrise de la compétence atteinte)
Hjotra : Architecture sableuse +1
Gonzague : Féminité +1
Al : Vol de bibelots +1
Compétence de groupe débloquée : Déclenchement spontané de boxon niveau 1
Expérience acquise : Minable

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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 3 Oct - 22:13

Episode 136 – Le Jour du Banni


Le maraudeur orc, dissimulé à l’affût derrière un arbre près du sentier, se mit en position dès qu’il aperçut la silhouette d’un voyageur à détrousser au loin. Il jaillit en poussant un cri rauque, la masse hérissée de pointes menaçantes et le regard impitoyable. Lancé à vive allure, Al le dépassa en effectuant un léger écart avant même que le voleur n’ait ouvert la bouche pour l’interpeller. L’orc, hébété, regarda le rôdeur filer à toute vitesse. C’est alors qu’arrivèrent Vorshek, Hjotra et Cyril à la suite de leur comparse, eux aussi sprintant en se bousculant. Le détrousseur se campa au milieu de la route et grogna.

- « Halte les gueux ou je fracasse le crâne du premier qui… »
- « On n’est pas intéressés ! » se contenta de répondre Hjotra quand les trois héros doublèrent l’orc sans ralentir.

Le bandit de grand chemin rugit de colère et de frustration et s’apprêtait à s’élancer à la poursuite des coureurs quand l’idée lui vint de voir ce qu’ils pouvaient tous fuir ainsi. S’il comprit quoi que ce fut quand la hache de Gonzague, plongée en pleine furie berserk, s’abattit sur son groin, il ne put jamais en témoigner qu’un hoquet de stupeur et un vent bruyant, tous deux pouvant néanmoins être imputés à son régime forcé de glands et racines de la semaine. Puis la hache de la naine en pleine folie meurtrière lui fendit le visage en deux.

- « Comment Al peut-il…courir aussi vite alors…qu’il lui faut deux heures pour trouver…cinq branches pour le feu ?! » glapit Cyril en désignant le rôdeur qui les distançait.
- « On peut précisément estimer l’ampleur du danger pesant sur le groupe en se fiant à la vitesse de fuite de Al », répondit Vorshek d’un ton professoral. « Dans le cas actuel, on peut donc en déduire que nous sommes excessivement… »
- « Dans la mouise ! » le coupa Hjotra en tenant son casque d’une main et sa barbe de l’autre. « Elle gagne du terrain ! »
- « Dans l’arbre !
» s’exclama Cyril en désignant Al qui grimpait comme un écureuil en couinant comme un écureuil aussi.

Les trois compagnons l’imitèrent et les quatre garçons se retrouvèrent juchés sur des branches, essoufflés et en sueur, tandis que Gonzague tournait autour du tronc en feulant et en pestant de rage.

- « Alors celle-la, votre royauté, je la place en tête du classement des idées les plus débilos ! » rouspéta Al en applaudissant lentement Vorshek. « Enerver exprès Gonzague pour qu’elle nous débarrasse de cette meute de loups, franchement, je crois que ça bat la fois où Maître Hjotra a essayé de tuer ce loup-garou en lui balançant tout notre pognon sous prétexte que seul l’argent pouvait le blesser ! »
- « Il n’empêche que cela a marché
», se justifia Vorshek, impassible. « Les loups ont été vaincus. Et je pense que cet exercice sera grandement enrichissant pour Gonzague dans sa recherche de la maîtrise de l’état berserk. Je lui en parlerai d’ailleurs, dès qu’elle cessera d’avoir envie de nous massacrer. Elle en est où là ? »
- « Elle n’arrive pas à grimper à l’arbre
», expliqua Hjotra. « Ça l’a énervé encore plus alors elle mâche sa botte. Oh, j’ai la besace qui clignote. C’est ma terrine de museau vous croyez ? »
- « C’est le globe de communication
», fit Vorshek en sortant l’artefact. « C’est un appel de Père. Salutations, Père ! Que nous vaut l’honneur ? »
- « Je viens aux nouvelles
», dit Arzhiel dont l’image du visage rougeaud et velu se dessinait à la surface du cristal enchanté. « Notez que l’initiative ne vient pas de moi. C’est votre mère qui a définitivement tourné gâteuse avec son fifils en campagne alors je vous contacte afin de négocier des infos fraîches pour qu’elle arrête de me scier les nerfs deux heures d’affilée. Donc ? Ces quêtes, ça se passe ? Mais vous êtes dans un arbre là, non ? »
- « Tout à fait, Père. C’est mon côté sylvain, ça. Des fois, je ne peux m’empêcher de monter aux arbres. »
- « Avec toute votre équipe ? Et c’est quoi ces grognements que j’entends ? On dirait…une espèce de sanglier en rut ou votre mère qui mange une barrette de nougat. »
- « Mère va bien au fait ?
» demanda Vorshek pour faire diversion.
- « C’est difficile à croire mais elle me casse actuellement moins les noyaux que la traduction de cette prophétie pourrie ! Je suis à deux doigts de lui expédier un assassin bien vicelard à la Pythie. On ne délivre pas des visions aussi nazes aux honnêtes gens, ça ne se fait pas. Comme il n’est pas exclu que je vous renvoie chez la vieille peau pour la tanner une dernière fois, je me demandais, niveau bilan et récompenses de quêtes, ça se présente comment ? »
- « On a eu un fromage
», énuméra spontanément Hjotra, « des cailloux peints, deux bonnets en feutre, une boule à neige…Ah non, ça c’est Al qui l’avait volée, et puis la vie sauve de la part du dragon destructeur ivre de vengeance qu’on a libéré sans faire exprès. »
- « Ah oui quand même
», siffla Arzhiel, un peu troublé. « Je me doutais bien que vous ne cassiez pas du titan à tour de bras, mais là…Une boule à neige, carrément ? Vous avez placés la barre très haut. »
- « Presque au niveau de la cime
», commenta ironiquement Al en surveillant Gonzague qui se faisait les ongles sur l’écorce en jappant de rage.
- « Au moins, vous n’êtes pas canés à moisir dans un fossé, c’est déjà ça », relativisa Arzhiel, néanmoins manifestement chagriné. « Personnellement, j’avais parié avec le cousin que vous ne survivriez pas une semaine dehors sans finir à tapiner dans un bar louche pour racheter votre liberté ou comme esclaves dans une mine drow. On est donc bien au-delà des prévisions. Si j’aborde le sujet, fils, c’est que vous contacte en fait pour un sujet bien précis. »
- « Je vous écoute, Père. Prenez votre temps, je sens qu’on va rester là pour un moment… »
- « Par où commencer ? Essayons de faire ça de manière propre, carrée et diplomate. Vorshek, je suis à peu près certain que vous êtes mon fils. J’ai quand même encore le doute depuis la fois où j’ai croisé cet elfe, un ancien pote bellâtre et efféminé à votre mère qui vous ressemble tellement, mais ce n’est pas important. Vous êtes mon héritier. »
- « Ah, c’est pas important…
» répéta Vorshek, tout penaud.
- « Ce que je veux vous dire », enchaîna Arzhiel toujours avec tact, « c’est qu’en tant qu’héritier du Karak, la coutume veut qu’à vos cinquante ans, vous partiez en quête afin de prouver votre valeur au peuple, aux dieux, à vous-mêmes et à toute la basse-cour. Mais comme il serait facile de jouer de la flûte à tout le monde en racontant que vous avez buté un troupeau de géants, les anciens exigent à présent des preuves. Donc voilà, comme vous avez cinquante piges, je vous annonce que vous êtes banni du Karak tant que vous ne nous avez pas ramené un artefact précieux, un trésor ou une babiole de valeur. Sérieux, ne ramenez pas la première rogne trouvée parce que les gardes ont ordre de vous fumer à vue si vous vous pointez avec un doigt au cul et l’autre dans la bouche. »
- « Comment ?!
» s’exclama le demi-elfe, choqué. « Banni ?! Mes appartements, mes riches habits, mon cercle d’amis hypocrites et intéressés, mes maîtresses et Mère ?! Ah et vous Père bien sûr…Je ne pourrais jamais les revoir ?! »
- « Faîtes péter du clinquant, du bazar magique bien dévastateur, du matos rare qui rapporte et vous serez un héros digne du clan et acclamé par le peuple. Les mains vides, en revanche, c’est un carreau d’arbalète dans chaque miche et les chiens aux trousses comme un clodo. »
- « C’est raide les traditions familiales
», commenta Al devant Vorshek, dévasté. « Pour le coup, la boule à neige, j’imagine que ce n’est pas assez prestige ? »
- « Pour le coup, si vous présentez ça au conseil des anciens
», répondit Arzhiel sur le même ton, « je vous y mets tous les cinq personnellement dans votre boule à neige, hachés menu. »
- « On devrait trouver autre chose
», conseilla Hjotra à la dérobée. « Je digère mal la viande hachée. »
- « Voilà, la commission est faite
», conclut Arzhiel, satisfait. « Je vous laisse vous mettre en chasse. Etonnez-moi. Sur ce, je vous laisse, fils. Svorn a préparé une cérémonie importante et solennelle en l’honneur des dieux, ça tombe bien, il me manquait des heures de sommeil. Et n’oubliez pas : un acte valeureux c’est bien, le trésor qui va avec, c’est mieux, surtout pour vos miches. A la prochaine ! »
- « Il est parti
», soupira tristement Hjotra en rangeant le globe quand celui-ci s’éteignit. « Comment on fait pour trouver un trésor perchés ici ? Gonzague continue à baver et ses yeux sont toujours révulsés. »
- « C’est lourd !
» gémit Al. « C’est pas parce qu’on est maintenant sans Karak fixe qu’on doit pioncer dans les branchages comme des hiboux ! En plus, il commence à peler. »
- « J’ai bien une idée pour nous réchauffer, les garçons
», susurra Cyril.
- « Je vais changer de branche moi tiens », répondit Al en reculant.
- « Je pensais à une petite chanson à entonner en choeur. Elle apaisera peut-être Gonzague. »
- « C’est sûr que le moment est propice à la chanson !
» déclara le rôdeur en jetant un coup d’œil à Vorshek, blême et silencieux.
- « Vous voulez dire la même chanson que celle qui a attiré ces loups ? » lança alors celui-ci avec amertume. « Quand je pense que je me fais sucrer tous mes biens et tous mes avantages princiers pour un rituel absurde ! Je n’abandonnerai pas mon cercle de léche-culs et ma collection de robes cintrées de sorcellerie aussi aisément !... Quittons déjà cet arbre sans nous faire écharper par Gonzague…Voyons…Oh, là-bas ! Des cavaliers ! »

Le demi-elfe contrarié sortit sa baguette enchantée et l’illumina afin qu’elle scintille suffisamment pour être aperçue de loin. Les cavaliers la remarquèrent au bout d’un certain temps et obliquèrent alors pour s’en approcher. Vorshek comptait sur eux pour épuiser Gonzague, voire l’assommer, mais son plan principal, fortement approuvé par Al, était surtout de profiter de la diversion pour fausser compagnie à la naine berserker.
Les cavaliers arrivèrent près de l’arbre et n’eurent même pas le temps de poser le pied à terre que Gonzague se ruait sur eux en aboyant quelques insultes bien senties, notamment sur leur orientation sexuelle et l’origine bien peu honorable de leurs aïeux.

- « C’est un traquenard de l’ennemi ! » s’écria le chef de la troupe en apercevant Vorshek et les siens qui descendaient de leur abri. « Tuez-les tous ! Surtout la naine ! J’ignore comment elle est au courant pour le passé de ma mère, mais ça va se payer ! »
- « Ils pensent qu’on leur a tendu un piège !
» se lamenta Cyril.
- « Ils n’ont pas tout à fait tort en même temps », remarqua Al. « Ils nous attaquent ! »
- « Reculez !
» ordonna alors Vorshek en dégainant Foudrargent. « Je m’occupe d’eux ! »
- « Comment ?!
» firent ses compagnons, stupéfaits. « Mais comme ça ? Gratuitement ? »
- « L’un d’eux transporte sur son cheval un prisonnier
», les rassura le magicien. « Il est dans une couverture, mais c’est peut-être une femme. »

Soulagés, Hjotra, Al et Cyril s’éloignèrent prudemment. Trois hommes s’élancèrent sur Vorshek, l’épée brandie. Le demi-elfe leva sa baguette en l’air quand ils furent à portée et une série d’éclairs en jaillit pour les frapper de plein fouet. Les agresseurs s’effondrèrent dans une piquante odeur de poils de cuisse cramés. Gonzague, de son côté, acheva leur chef d’un terrible moulinet, le frappa encore douze fois, l’étrangla, le mordit au pied puis repéra Vorshek et l’attaqua à son tour. Une nouvelle série d’éclairs la faucha avant qu’elle ne porte son coup.

- « Mince, y a sa natte qui a pris feu ! » s’exclama Al en la tapotant avec un bout de bois pour s’assurer qu’elle était bien inconsciente. « C’est vrai que les nains sont coriaces face à la magie, elle respire encore ! Mais pour le coup, elle est calmée et détendue. C’est quoi ce sort, votre royauté ? »
- « Cercle de châtaignes
», répondit fièrement le mage en posant avec sa baguette. « Tous ceux qui s’approchent de moi dans un diamètre de trois pas avec des intentions belliqueuses mangent une châtaigne à la foudre. »
- « Encore ton côté sylvain, hein ? »
- « Le prisonnier est un homme !
» cria Hjotra sans la moindre discrétion. « C’est un croulant. Il dit que si possible, il aimerait éviter de devoir te remercier en te laissant le culbuter. »
- « Voilà qui donne envie de se faire kidnapper
», ricana Cyril.

Les sauveurs s’approchèrent du vieil homme encore sous le choc et qui découvrait la scène de bataille, interloqué.

- « Merci pour votre aide », dit-il avec gratitude en se confondant en remerciement. « Ces brutes comptaient me torturer pour me faire parler et sans doute me pendre ensuite. Qui êtes-vous et pourquoi véhiculez-vous cette odeur de plumes de poulet brûlé ? »
- « C’est à cause des châtaignes
», le renseigna Al tout en faisant les poches des cavaliers encore fumant.
- « Je vais vous répondre », déclara Vorshek. « Nous ne sommes personne parce que ces hommes sont des soldats au vu de leurs équipements et de leurs emblèmes, que leurs pertes va nous causer quelques désagréments de la part de leurs amis et employeurs et qu’en plus, vous n’êtes ni jeune, ni ravissante, ni même une fille. En route, les enfants, on repart avant de se prendre une volée de flèches revanchardes dans le postérieur. »
- « Attendez, étrangers !
» les interpella le vieillard. « Ces hommes sont les soldats du seigneur Rous, du pays voisin, et des ennemis de cette contrée et de son peuple. Au nom de mes maîtres et au mien, je vous remercie. Qu’importe que vous souhaitiez conserver votre anonymat. »
- « Et notre vie, surtout
», rajouta Cyril en dépouillant les cadavres avec Al.
- « Rous est avide de pouvoir et de terres », confia le vieil homme d’un air songeur. « Ma maîtresse est la fille unique du roi Gowla, seigneur de ces contrées. Econduit par celle-ci qu’il voulait épouser afin d’unir nos deux pays, Rous a essayé d’assassiner son père pour se venger de l’affront et s’emparer de notre domaine par la force. Mais le roi, bien que grièvement blessé, a survécu. Ma maîtresse a aussitôt pris la tête du pays et rassemblé ses partisans pour lutter contre Rous. Nous sommes depuis en guerre et votre acte de bravoure a sans doute sauvé bien des vies. En tant que conseiller de ma dame, je suis en effet au fait de renseignements capitaux, notamment le lieu secret où notre roi est soigné ou celui où ma maîtresse se cache de ses assassins. »
- « Cyril !
» appela Vorshek en s’éloignant, suivi par le vieillard. « C’est sans doute la première et dernière fois que je vais te demander ce service, mais chante, je te prie. Que tes beuglements douloureux pour l’ouïe et l’âme couvrent les paroles de cet humain bavard ! Nous ne voulons rien savoir, ça va encore nous causer des soucis et je crois avoir ma dose pour la journée. »
- « Nos forces armées sont suffisantes pour résister aux assauts de Rous
», poursuivit malgré tout le vieil homme, ignorant Vorshek. « Pour le moment. Mais les guerriers désertent, acceptant mal qu’une femme soit à leur tête et le temps nous est compté avant que nous ne cédions à l’ennemi. La plupart demeurent fidèles parce que le seigneur Gowla vit encore mais si Rous parvient à achever notre roi ou à retrouver ma maîtresse, nous sommes condamnés. Venez avec moi ! Je vais vous présenter à elle. Vous êtes une brave compagnie et il se peut que votre soutien nous sauve et vous rende riches et célèbres. »
- « Si je vous donne un quignon de pain ou de la monnaie, vous arrêtez de me suivre et de me parler ?!
» lui rétorqua Vorshek d’un ton sec.
- « Il parle d’une récompense, prince châtaigne », murmura Al en rattrapant son ami. « Et surtout de sa maîtresse. Y a une fille et de l’argent dans l’histoire et toi, tu veux filer comme un elfe ? »
- « Ma maîtresse sera très reconnaissante
», affirma le vieil homme. « Elle est riche, généreuse et noble. Et excessivement belle. »

Vorshek s’immobilisa et fit un signe à Cyril pour qu’il se taise. Ce dernier préférant poursuivre sa chanson, Hjotra le plaqua dans un bosquet pour obtenir le silence à la demande de son prince.

- « Belle comment ? » interrogea Vorshek, aussi détaché que possible.
- « Belle comme le jour et plus encore. L’homme qui sera assez brave et valeureux pour sauver son peuple et son pays obtiendra sa main ainsi que sa dot, devenant ainsi le prochain suzerain après Gowla. »
- « Une noble, un pays et tout son héritage ?
» répéta Vorshek, rêveur. « Père en mangerait sa barbe d’étonnement ! Un détail me chagrine néanmoins encore, vieil homme. Quand vous dîtes belle comme le jour, c’est belle, belle ou belle banale belle ? Excusez-moi d’insister, mais belle comme le jour, cela manque de précision et d’expérience, j’ai connu plus d’un jour pourri. »
- « Pourquoi ne pas vous faire une idée par vous-même ? Je vous conduis auprès de ma dame si vous le désirez. A part si vous tenez toujours à me renvoyer avec du pain… »
- « C’était une boutade !
» s’exclama le demi-elfe en prenant l’humain par les épaules. « Je vous suis de ce pas. Au fait, je me nomme Vorshek, prince et mage au service des damoiselles fortunées en détresse. »
- « Je suis Arnez, conseiller et aide de camp de Damoiselle Tynfir. Allons-y, prince. »
- « C’est dans ces moments-là qu’on regrette que Gonzague soit agonisante et carbonisée
», se plaignit Cyril tandis que Arnez et Vorshek remontaient le sentier en riant comme de vieux amis. « Prince sexy comme tout ou pas, y a vraiment des claques derrière le crâne qui se perdent ! Suivons la momie alors. »

Al et Hjotra allèrent ramasser Gonzague et suivirent à leur tour Arnez à travers bois. La naine, forte de sa constitution naturelle exceptionnelle, reprit bientôt connaissance, notamment après la troisième fois où Al la fit « accidentellement » choir dans un étang. Heureusement pour Vorshek, le temps qu’elle mit pour retrouver ses sens fut suffisant pour les mener à destination. Un campement de fortune avait été dressé dans une clairière quasiment inaccessible, cernée de buissons et de bosquets inextricables. Tynfir se cachait ainsi d’éventuels attentats.

- « Vous êtes beau ? » interrogea Arnez en se tournant vers Vorshek tandis qu’ils croisaient une énième patrouille.
- « Merci. Je sais. »
- « Non, mais c’est une question. Etes-vous considéré comme un bel homme par votre entourage ? Je me dois de m’en assurer parce que Damoiselle Tynfir est très à cheval sur la qualité de ses proches. Grande esthète devant l’éternel, elle ne reçoit que les gens beaux. »
- « Bon
», dit alors le demi-elfe en se tournant vers son équipe. « Gonzague, Al et Cerise, vous attendez ici. Maître Hjotra peut venir, à condition de garder le silence. »
- « Je crois qu’il essaie de faire passer un message, là…
» fit Al, pensif.
- « En effet », acquiesça Gonzague, affaiblie. « C’est un abruti et il n’a aucun goût. »
- « Je suis bien d’accord. Il est fiancé avec toi.
»

Vorshek pénétra dans l’enceinte du campement isolé grandement surveillé tandis qu’un nouveau combat se déclenchait dans son dos. Il fut conduit par Arnez jusqu’à une tente modeste mais dont l’intérieur était richement décoré de somptueuse tentures, de superbes tapis, de quelques meubles raffinés et de plusieurs statues inestimables. Des cristaux enchantés aux reflets chatoyants lévitaient doucement ça et là et l’air était empli d’une douce fragrance délicieuse. Tynfir était assise dans un riche fauteuil brodé, captivée par l’examen d’une carte déroulée sur une petite table en marbre aux pieds d’argent finement ciselés. Vorshek avait préparé son regard longuement travaillé du poète-rêveur mystérieux et rebelle mais ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux comme un pécore face à une telle beauté. Son seul souhait sur le moment se résumait en une intense prière aux dieux pour l’assurer qu’aucun filet de bave ne coulât de sa bouche entrouverte. Hjotra ne partageait pas la stupeur contemplative de son prince. Il faut dire qu’il observait l’un des gardes, pensant qu’il s’agissait de leur hôtesse.
Tynfir était une jeune humaine à la peau blanche et à la longue chevelure brune tombant en une cascade de boucles épaisses jusqu’au bas de son dos. Elle portait une simple robe claire sans autre ornement qu’une fine chaîne passée à sa taille mince, mais qui la mettait plus en valeur qu’une tenue de reine. L’intrusion dérangeant ses réflexions, elle posa un regard un court instant légèrement ombragé sur ses visiteurs, accentuant encore davantage la profondeur insondable de ses immenses yeux noirs comme le jais. Sa moue renfrognée s’effaça avec une lenteur calculée à mesure qu’elle rendait son regard fixe à Vorshek. Tynfir ne put retenir un haussement de sourcil circonspect en apercevant Hjotra enchaîner les révérences face au garde imperturbable, ce qui mit un terme à ce court échange intense avec Vorshek.

- « Ma dame », fit Arnez d’une voix mielleuse, « ces gens viennent de me sauver… »
- « …les miches dans cette forêt glacée !
» rouspéta Al au même moment en se frictionnant à l’extérieur du camp. « Je dois être hanté par un revenant, c’est pas possible de voir son souffle en pleine journée ! Déjà que c’est pas super convivial de se faire refouler d’un campement de rebelles loqueteux et sans-abri, en plus on doit attendre des plombes que monseigneur joli cœur aille mater les meules de la première bourgeoise qui passe ! Vous ne dîtes rien, vous ?! »
- « Ferme ta bouche me semblerait approprié
», répondit mollement Gonzague, assise sur un rocher. « Mais j’ai trop mal au crâne pour te ficher une autre trempe. Quand je pense que Vorshek m’a allumé à la foudre ! »
- « Vois le bon côté des choses
», fit Cyril d’un ton taquin. « Au moins, tu n’as plus besoin de t’épiler durant un bon moment. »
- « Je me demande bien ce qu’ils peuvent glander là-bas !
» rouspéta Al en soufflant sur ses mains. « Vous croyez qu’il est avec la fille du roi en train de la… »
- « …soumettre à un rapide interrogatoire pour voir si vous ferez l’affaire
», déclara Tynfir en dévisageant ses visiteurs. « Si une collaboration doit naître entre nous en ces temps troublés, je dois m’assurer de vos motivations comme de votre loyauté. Vous avez donc suivi une formation de sorcellerie ? »
- « Je suis sorti avec une elfe qui m’a appris à invoquer les libellules, mais je suis plutôt ingénieur
», répondit Hjotra.
- « Oui, Mère m’a enseigné les arts occultes depuis toujours », expliqua Vorshek. « Je maîtrise les éléments fondamentaux, les éléments secondaires, la magie druidique, blanche et d’invocation de créatures majeures jusqu’au quatrième plan. Mais je déteste me vanter. »
- « Très bien
», approuva Tynfir, toujours très sérieuse. « Si vous deviez me donner trois de vos plus grandes qualités, lesquelles seraient-ce ? »
- « Gabegie, prosaïque et mammifère
», énuméra Hjotra qui n’avait pas compris la question, mais n’en laissait heureusement habilement rien paraître.
- « Endurant, passionné et pénétrant », fit Vorshek sans détour, son regard de braises braqué sur la jeune fille.
- « Je…je le note », dit Tynfir, prise de court par ces réponses inattendues. « Et si vous étiez une couleur ? »
- « Taupe !
» s’exclama Hjotra sans hésitation.
- « Azur ou Cyan », confia Vorshek.
- « Bleu, donc. »
- « Marron, plutôt
», rectifia Hjotra avant de se tourner vers son prince. « Elle n’a pas souvent du voir de taupe ! »
- « Ni le loup, je l’espère. »
- « Vorshek ?
» appela la jeune femme.
- « Laissons tomber les barrières du protocole, appelez-moi prince, tout simplement. »
- « Pouvez-vous demander à votre compagnon de se taire pendant que je vous interroge, je vous prie ? Je ne veux pas qu’il se sente obligé d’exercer ses talents de bouffon durant cet entretien. Je crains qu’il ne commence à me… »
- « ...les briser menu le copain des bois !
» grommela Al en grelottant sur une souche. « Il a plutôt intérêt à nous ramener une bonne grosse récompense ou un bout de fief, qu’on ne se gèle pas pour rien à l’attendre. Pourvu qu’il pense aussi à prendre de la bouffe ! J’ai tellement faim que même Gonzague deviendrait appétissante ! »
- « Les revoilà !
» s’exclama Cyril en désignant Hjotra et Vorshek qui franchissaient les fourrés pour les rejoindre. « Alors, elle est comment princesse du jour ? »
- « Pas mal pour une humaine
», reconnut Hjotra. « Elle a des yeux de bûche et une taille de guêpe, même si je trouve cette expression absurde. Elle est bien plus grande que ça. »
- « Bon, votre royauté, on peut y aller à présent que tu t’es bien rincé le tien, d’œil de bûche ? »
- « Oui, en route
», répondit le magicien, un sourire benêt sur les lèvres et l’œil pétillant. « Nous avons du chemin à faire. »
- « La maîtresse du vioque vous a récompensé au moins ?
» demanda Cyril.
- « Bien plus que nécessaire », acquiesça Vorshek, le rose aux joues. « Damoiselle Tynfir nous a engagé à son service et confié une grande mission. Je vous raconterai en route. »
- « Engagés ?
» protesta Gonzague d’une voix pâteuse. « Une grande mission ? Vous partez pour une récompense et vous revenez avec un boulot ?! Mais qu’est-ce que vous avez glandé là-bas ?! »
- « Ne me regardez pas
», se défendit Hjotra quand les regards se braquèrent sur lui. « Moi j’ai rien compris. D’abord Tynfir, ce n’est pas un soldat en faction. Ensuite, on a fait un quiz et j’ai perdu à la question sur les taupes bleues. Et vous savez quoi ? Les cristaux flottants, ils piquent quand on les touche ou quand on en fait tomber un dans son pantalon. Après, j’ai été mis à la porte de la tente pour avoir accidentellement explosé cette statuette, mais comme une tente n’a pas de porte, j’étais coincé dedans. Alors j’ai attendu pendant que Prince Vorshek continuait à jouer. J’ai bien écouté pour me culturer mais le garde qui n’était pas Tynfir m’a réveillé avec le pied quand je ronflais. Et puis, on a eu une mission et on a pu s’en aller. En fait, il n’y avait vraiment pas de porte à cette tente, c’était juste une ouverture dans la toile. Je pouvais toujours chercher la poignée, moi ! Dites ? Vous savez ce que c’est le cyan ? »
- « C’est le mot qu’utilisent les elfes et les hobbits bardes pour dire bleu
», répondit Al.
- « Je n’aurais jamais trouvé. C’est vrai que c’était tendu comme jeu quand même ! »

Bilan de la mission :
Vorshek : Charisme d’entretien d’embauche +1 (nouveau statut social obtenu : banni)
Hjotra : Quiz -1
Al : Endurance aux courants d’air +1
Gonzague : Endurance au courant continu +1
Cyril : Chant de Brouhaha +1
Expérience acquise : Piteuse

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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 10 Oct - 18:04

Episode 137 – Le Défi des Quatre Gardiens


La tempête de neige s’était levée au cours de la progression des Dragons qui roxxent en direction du col de la Bedaine. Le vent glacé charriait de lourds flocons virevoltant au rythme de bourrasques cinglantes, rendant chaque pas plus pénible que le précédent et chaque effort, plus coûteux. Le paysage avait presque entièrement disparu sous un épais manteau blanc impénétrable et seules la vue perçante de Vorshek et les dispositions naturelles des nains pour ce genre de climat parvenaient à guider le groupe. Puis le blizzard perdit de sa vigueur et la fureur de la montagne sembla s’apaiser. Il cessa de neiger, le vent retomba et la pénombre du soir recula un peu.

- « Ça me rappelle le Karak », commenta Gonzague, nostalgique, en s’ébrouant comme une bête.
- « Il manquerait presque une petite embuscade de gobelins des pics », approuva Hjotra en essuyant sa barbe maculée de neige, un sourire aux lèvres.
- « C’est dommage que Cyril boude », déclara Vorshek, protégé du froid et de la neige par un sortilège, en se retournant vers le barde qui, à la traîne avec Al, râlait et peinait, frigorifié. « Cette balade me met de bonne humeur et j’aurais bien entonné un chant de voyage en l’honneur de la montagne. Qu’est-ce que vous en pensez tous les deux ? »

Un geste obscène fut la seule réponse de Al qui trébuchait dans la neige à chaque pas, gelé et tremblant. Cyril, lui, était trop paralysé par le froid et ses lèvres trop gercées pour qu’il puisse donner son avis d’une quelconque manière.
Soudain, une silhouette apparut de derrière un sapin et s’avança vers les deux retardataires. Titubant et geignant, une vieille humaine tenta de les rejoindre en poussant des gémissements plaintifs.

- « Aidez-moi, je vous en prie ! » supplia l’inconnue que la tempête avait à demi tuée. « J’ai si froid et je suis si faible ! »
- « Votre suzeraineté !
» appela Al d’un ton sardonique. « Y a une humaine en détresse là ! Tu ne veux pas lui venir en aide ? Elle est peut-être princesse à la recherche de prétendants dociles à envoyer se geler les meules sur la montagne dans une mission débile ! »
- « Ne l’approchez pas !
» s’exclama le demi-elfe en rejoignant ses compagnons d’un pas vif. « Ignorez-la et ne lui parlez pas. Une vieille dame égarée sur une route isolée à la tombée de la nuit en pleine tempête de neige, c’est forcément une fée des neiges. Ces créatures maléfiques abordent les voyageurs et les changent en glace en les touchant. Ecarte-toi, monstre ! »
- « Je ne suis pas un monstre, messire
», pleura la vieille femme, peinant pour essayer de les rejoindre. « La tempête m’a surprise. Aidez-moi ! Je meurs de froid ! »
- « Accélérez le pas, vous deux. Elle va disparaître si on ne lui prête pas attention. Mère m’a bien mis en garde contre ce genre de pièges pour voyageurs naïfs.
»

La petite troupe força l’allure. La vieille inconnue, affaiblie, fut vite distancée mais ne cessait pas une seconde de gémir et supplier. Malgré son triste état, elle déploya des efforts colossaux pour suivre le groupe. Ni les injonctions de Vorshek, ni les menaces de Al ne la découragèrent. Après une longue et pathétique course-poursuite, les aventuriers lassés finirent par lui jeter des boules de neige jusqu’à ce que la malheureuse chute du bord d’une falaise en voulant se protéger. Le groupe atteint peu après le col de la Bedaine où leur contact, un agent d’Arnez, les attendait sur le seuil d’une cabane délabrée. Hjotra répéta aussitôt le mot de passe convenu pour se faire identifier.

- « Le singe qui boit n’a pas besoin de queue ! »
- « Le sage qui voit n’a pas besoin d’yeux
», corrigea Vorshek.
- « Vous voici enfin ! » déclara l’homme, manifestement inquiet. « Cette maudite tempête a manqué bloquer le col. Messires ! N’avez-vous pas rencontrés une veille femme en chemin ? Il s’agit de ma mère qui devait m’apporter des victuailles mais avec cette tempête imprévue, je redoute le pire ! »
- « Une vieille femme… ?
» bredouilla Vorshek, très mal à l’aise en croisant le regard de ses compagnons. « Ah euh non, je n’ai rien vu. Et…et vous ? »
- « On a bien croisé une vieille chouette mais elle a vite pris son envol
», répondit Al.
- « Je ne peux pas me permettre de vous demander de m’aider à la retrouver, vous êtes épuisés après ce long voyage et il vous faut économiser vos forces pour la mission…Je vous ai dessiné une carte pour atteindre la Tour du Givre. Ses quatre gardiens se nomment Mjll, Snaer, Fnn et Drifa, Tempête de neige, Neige, Neige épaisse et Neige Fine en langage des géants de glace. Ce que vous cherchez se trouve en leur possession mais comme ils défendent farouchement leur tour, je n’en sais guère davantage. Partez demain à l’aube si je ne suis pas revenu. »
- « Parce que vous vous en allez ?
» demanda Gonzague.
- « Je pars à la recherche de ma mère. Entrez et reposez-vous. Je ne rentrerai pas sans elle ! »
- « Et n’oubliez pas de récupérer les victuailles si vous la retrouvez !
» lui lança Al dès que l’homme quitta la cabane. « Une fée maléfique des neiges, hein ? On dirait qu’on a encore fait une boulette. C’est curieux, ce n’est pas notre genre. »
- « Une légère erreur d’appréciation
», admit Vorshek. « C’est sans importance. De toute manière, vu le plongeon, il ne la retrouvera pas. Qui veut de la viande séchée ? »
- « On a buté une mamie et c’est tout ce que ça te fait ?
» s’offusqua Gonzague, révoltée. « Elle part complètement en vrille cette équipe ! C’est simple, j’ai envie de tarter la moitié d’entre-vous le matin et de savater l’autre le soir. Moi, je veux de la viande. »
- « Je pense qu’on va tous mourir à force de faire n’importe quoi
», confia Al avec franchise tout en allumant le feu. « Je suis certain que j’ai paumé deux ou trois doigts de pieds avec ce froid. Il reste du fromage aussi ? »
- « Vous dîtes ça parce que vous êtes fatigués
», relativisa Vorshek. « Mangez et reposez-vous, ça ira mieux après. Non, pas vous Cyril. On doit encore réviser cette ode. »

Le demi-elfe barra le passage vers les provisions au hobbit affamé et épuisé et le mena à l’écart de la cabane.

- « On est d’accord pour le premier sonnet : ma présentation, jeune prince héroïque injustement banni jeté sur les routes pour prouver son courage à son peuple et à son bourricot de père. Deuxième sonnet, c’est la rencontre du prince et de sa future princesse, Tynfir la belle, la pure…Vous ne prenez pas de notes ? »
- « Je ne sens plus mes doigts depuis ce midi. »
- « Comme vous voulez, cela fera un excellent exercice pour votre mémoire si vous devez chanter ça dans tout le pays au retour. Donc, Tynfir ma promise en détresse, fille de roi blessé par un fourbe ennemi, requiert mon aide dans cette guerre. Dans le troisième sonnet, elle me confie la mission de m’emparer d’un cristal enchanté gardé par de terribles géants des glaces pour éprouver ma force et ma bravoure. Dès que vous avez pondu quelque chose de propre, venez me le soumettre. Je serai à table. Et n’oubliez pas que ce poème doit connaître un grand succès et m’apporter gloire et renommée. »
- « Ce sera toujours ça de pris si on claque en chemin ou si on ne réussit jamais notre quête pour retourner au Karak
», commenta Al, la bouche pleine, massant ses pieds au-dessus du feu.
- « Si on trouve ce fichu cristal, pourquoi est-ce qu’on ne le garderait pas pour nous ? » interrogea Gonzague en mâchouillant sa viande. « Seigneur Arzhiel exige un artefact de valeur. Ça rentre dans les critères un cristal magique, non ? »
- « Tynfir en a davantage besoin que nous !
» répéta Vorshek, agacé. « Ce n’est qu’une épreuve pour tester notre loyauté et notre efficacité ! Je vous le redis encore une fois : le but est de gagner sa main ! »
- « C’est naze comme but
», déclara Al. « Moi je ne la sens pas cette mission. Et puis d’abord, pourquoi tu nous forcerais à te suivre ? Maintenant que tu es banni, tu ne plus jouir de ton autorité princière. T’es rien de plus qu’un péquenaud, comme nous ! »
- « Le voleur frileux a raison
», acquiesça gravement Gonzague. « On devrait choisir un nouveau chef de groupe ! D’après la tradition, c’est au plus âgé de prendre la tête. »
- « C’est un domaine où il excelle
», murmura Al tandis que tous regardaient Hjotra mâcher sa viande et sa barbe en même temps, ricanant encore amusé par le nom du géant Fnn. « Finalement, laissons tomber cette idée. Tant pis, on continue la mission… »

Les aventuriers achevèrent leur repas et sombrèrent bientôt dans un sommeil réparateur. L’agent d’Arnez n’était toujours pas revenu au petit matin et lorsque Gonzague en fit la remarque, ceux qui n’avaient pas oubliés l’homme ne semblèrent pas plus se soucier de son sort que celui de sa mère. Dépitée, la naine chassa tout le monde dehors, fit le ménage dans la cabane et rejoint le groupe qui put alors se mettre en route vers la Tour du Givre à l’aide de la carte.
Le repaire des géants de glace se trouvait isolé sur l’autre versant de la montagne. Les dragons qui roxxent durent pour l’atteindre quitter la route du col et traverser une étendue escarpée et accidentée où la neige faillit les emporter et les engloutir à plusieurs reprises. Ragaillardis par cette promenade en milieu montagneux où l’air glacé gelait le moindre bout de peau nue et où le vent les harcelait sans répit, les deux nains de la troupe sifflotèrent gaiement au rythme des injures de Al et des pleurnichements de Cyril, jusqu’à destination. Dressée sur une crête, la Tour du Givre était un immense bâtiment de pierre verglacée aux parois rendues aveuglantes par le soleil levant se reflétant à sa surface.

- « Je demande plus par rhétorique que par curiosité, mais on a un plan ? » interrogea Al quand les voyageurs s’approchèrent de la haute porte d’entrée.
- « On frappe, on demande le cristal au nom du roi Gowla », répondit Vorshek avec assurance. « S’ils refusent, on frappe, on exige au nom de mon futur mariage. S’ils s’entêtent stupidement, je les décongèle à coups de Cône de Feu Draconique Ancestral et Mal Luné. »

Le demi-elfe fit fièrement tournoyer sa baguette Foudrargent entre ses doigts et s’en servit pour frapper à la lourde porte en bois. Un rayon lumineux jaillit presque aussitôt du panneau, rebondit sur la surface polie du casque de Hjotra, fut machinalement repoussé par le fer de hache de Gonzague pour filer droit sur Vorshek qui le renvoya à son tour à l’aide de sa baguette magique. Le rai passa au-dessus de la tête de Cyril et acheva sa course en gelant Al de la tête aux pieds, pourtant au préalable caché derrière un rocher. Le rôdeur ne fut plus qu’une statue de glace plus dure que de la pierre, le visage crispé dans un rictus de stupeur délicieusement ridicule. Après avoir évalué la situation et compris la nature du piège de la porte d’entrée, les aventuriers ripostèrent en conséquence : ils défoncèrent les lourds panneaux en utilisant Al comme bélier.

- « C’est bien la première fois que Al s’avère aussi utile », déclara Gonzague en écartant les morceaux de bois éclatés éparpillés au sol. « Au fait, il va s’en sortir ? »
- « Cela dépendra de vous
», répondit une voix caverneuse à l’autre bout de la pièce.

Un géant à la peau bleue et à la barbe d’un blanc immaculé se tenait assis sur un trône à l’opposé de la salle, ses énormes mains posées sur le manche d’une hache à double tranchant de taille gigantesque.

- « Je suis Mjll, le premier gardien de la Tour du Givre », se présenta le guerrier. « La glace va bientôt envahir chaque étage à partir d’ici, gelant tous ceux qui ne seront pas assez rapides pour fuir sa progression. Si vous parvenez au dernier gardien, au dernier étage et à remporter sa dernière épreuve, la glace se retirera et libérera tous ceux qu’elle a pris en son sein, votre ami y compris. Si vous échouez, vous mourrez tous glacés pour l’éternité. »
- « De la glace ?
» demanda Gonzague. « Quelle glace ? »
- « Celle-ci sans doute
», indiqua Cyril en désignant le givre de l’extérieur envahissant la pièce et glissant lentement sur le sol dans toutes les directions, rampant sur les murs et gelant tout sur son passage, y compris le crachat de Hjotra dès qu’il toucha sa surface.
- « Des épreuves donc ? » interrogea Vorshek en reculant avec ses compagnons. « Du genre course en sac ou devinettes ? C’est obligé parce que nous ne sommes pas vraiment disposés à… »
- « Vous ne pouvez plus quitter ce lieu sans subir les épreuves
», rétorqua Mjll tandis que l’entrée achevait d’être bloquée par une épaisse muraille de glace avançant sans répit. « Mettons à l’épreuve votre force en tant que guerriers ! Si vous voulez monter au premier étage, il vous faudra m’affronter en combat singulier et m’arracher la victoire dans… »

Un brusque et puissant cône de flammes virulentes s’échappant de la baguette de Vorshek s’abattit sur le géant en train de se lever, ne laissant de lui qu’une flaque fumante.

- « Il m’a coupé la parole », se justifia le magicien en rengainant.
- « La glace se répand partout ! » s’écria Gonzague en reculant. « On monte ? »
- « Je pourrais sûrement dégager un passage vers la sortie avec mon feu enchanté mais je doute que Al encaisse mieux les flammes draconiques qu’un géant de glace, même version glaçon. On monte !
»

Les aventuriers dévalèrent l’escalier et arrivèrent sur le prochain palier en se bousculant. L’escalier suivant était à l’opposé, dans le dos d’un second géant hirsute aux yeux pâles et à la barbe rousse. Vêtu d’un long et épais manteau de fourrure, il accueillit l’intrusion bruyante sans broncher, les bras croisés sous sa cape.

- « Etonnant ! » tonna-t-il de sa voix puissante. « Vous êtes parvenus à vaincre Mjll et aucun de vous ne parait blessé. Vous devez être de terribles combattants. Je me nomme Snaer et je vous propose un nouvel affrontement. »
- « Aucun souci
», ergota Vorshek en jouant avec Foudrargent. « Vous pouvez même inviter les deux autres gardiens pour qu’on gagne du temps. »
- « Oh oh, vous êtes arrogants !
» rit le géant. « J’ai d’autres adversaires à vous soumettre. »
- « Si vous voulez, mais pas demain !
» rétorqua Cyril en surveillant d’un œil angoissé les marches se couvrant de givre dans leur dos.

Snaer écarta brusquement les pans de son manteau et tendit ses mains gigantesques en avant. De longs filets d’eau claire jaillirent de ses paumes et, gelant avant de toucher le sol, prirent la forme d’innombrables serpents de glace animés d’une vie propre. Leurs sifflements stridents et le bruit de crissement de leurs corps sur la pierre tandis qu’ils filaient sur les aventuriers trouvèrent en écho le hurlement d’horreur de Gonzague. Vorshek se planta devant la masse grouillante pour libérer un nouveau cône de flammes. La baguette crachota péniblement deux flammèches malingres qui s’étouffèrent dans un ultime crépitement.

- « Une baguette pratiquement neuve ! » s’écria le magicien entre incompréhension, frustration et panique. « Je crois qu’elle est…cassée ! »
- « Ça faisait longtemps que j’attendais que tu me joues le coup de la panne
», s’exclama Cyril, « mais pas dans ce contexte-là ! »
- « Les sser…les ssserp…les serpents approchent !
» pleurnicha Gonzague, horrifiée.

Les reptiles de glace, de la minuscule vipère au plus imposant boa, se ruaient dans tous les sens, glissant entre les aventuriers et tentant de grimper le long de leurs jambes. Gonzague, prise de panique face à ces bêtes dont elle ne supportait pas franchement bien la vue, courait de long en large de la pièce en criant comme une fillette, poursuivie par une foule sifflante et gelée. Hjotra et Vorshek luttaient désespérément pour se dépêtrer de ceux qui les attaquaient et Cyril, paralysé par la peur, imitait manifestement Al, planté dans son coin en bavant de terreur. La nappe de givre vivante du rez-de-chaussée commençait quant à elle à se déverser inexorablement dans le premier étage.

- « Ces maudites bestioles ne me laissent pas le temps d’incanter ! » pesta Vorshek, assailli de tous bords. « Elles sont bien trop nombreuses ! Gonzague ! Frappe-les avec ta hache, bougresse de bourrine de berserker manquée ! »
- « Les serpents semblent l’aimer
», ricana Hjotra tandis que la naine galopait de plus belle. « Ils sont quasiment tous à ses trousses ! »
- « Tiens, mais c’est vrai ça ! Et Cerise, il n’en a pas un ! Pourquoi est-ce…Le mouvement ! C’est le mouvement qui attire les serpents ! Cyril ne bouge pas d’un cil et Gonzague fait un cross ! Maître Hjotra ! Cessons de nous agiter !
»

Le demi-elfe et le nain s’immobilisèrent, ignorant les reptiles s’affairant sur leurs jambes. Ceux-ci se détachèrent alors d’eux et les quittèrent un à un en quelques instants, trouvant plus amusant de se joindre à la foule derrière Gonzague. Au paroxysme de sa peur, la guerrière incapable de formuler une pensée concrète se jeta d’elle-même dans les escaliers pour fuir. Elle fut changée en glace dès qu’elle eut posé le pied sur la couche gelée. Plus personne ne bougeant dans la salle, les serpents se mirent alors à fondre et disparurent jusqu’au dernier.

- « Je suis un génie ! » s’écria Vorshek avec fierté. « J’aurais du comprendre en voyant que vous restiez immobile ! »
- « Je t’accorde en effet la victoire, alfe
», sourit Snaer. « Vous pouvez reprendre votre ascension. »
- « Allons-y !
» acquiesça le magicien. « La glace avance dangereusement vite. Maître Hjotra, baffez Cerise pour le réveiller, on repart ! »

Le trio encore en lice grimpa les marches quatre à quatre et atteint le second étage, gardé par un géant blond et massif, de minuscules stalactites de glace pendant à ses sourcils broussailleux et à sa barbe drue. D’un geste de la main, il désigna l’escalier derrière lui.

- « Je suis Fnn, Neige Epaisse et mon épreuve est aisée. Pour accéder au dernier étage de la tour, il vous suffit de rejoindre cet escalier…du moins, si vous parvenez à le retrouver. »

Le géant de glace porta ses doigts à sa bouche et alors que Vorshek et ses compagnons croyaient qu’il allait siffler, son souffle puissant traversa la pièce, se changeant en un brouillard dense et impénétrable qui effaça murs et sol. Le rire de Fnn, déformé et résonnant, encercla les trois voyageurs puis s’éteint sur une ultime note de défi.

- « On se donne la main ! » ordonna Vorshek. « Je sens la magie émaner de cette brume, elle n’est pas ordinaire et nous ignorons quel danger elle recèle car… La main j’ai dit Cyril, rien que la main ! »
- « Je ne trouve plus Hjotra
», déclara le barde. « Je ne le vois plus ! Je ne vois rien ! »
- « Je crois que c’est un peu le but de l’épreuve
», fit remarquer Vorshek. « Diantre ! Je ne peux invoquer mes sorts élémentaires du vent qu’à l’extérieur. Débrouillons-nous sans ingénieur ni magie, l’un étant relativement moins nécessaire que l’autre dans l’absolu. L’escalier était dans cette direction. »

Le demi-elfe avança d’un pas rapide dans la brume et ne s’arrêta qu’après avoir parcouru plus de dix fois la distance normale le séparant il y a peu de l’escalier. Le brouillard était en effet ensorcelé.

- « C’est une illusion », déclara le magicien en réfléchissant. « Nous sommes toujours dans la même salle mais nos sens sont faussés…Sauf le toucher ! Arrêtez de me peloter bon sang ! »
- « C’est pour me rassurer
», prétendit le barde, apeuré. « Veux-tu que je chante ? »
- « Ça ne servirait à rien, voyons. Mais c’est vrai que vous proposez tout le temps de chanter, c’est curieux ! »
- « Je suis barde, je chante ! Tu veux que je fasse quoi d’autre ?! »
- « Une activité qui ne vous oblige pas à tripoter vos compagnons d’équipée ! Je vous préviens, je vous brise les doigts si vous…Par la constellation du bigorneau ! Reculez, la glace nous a rejoints ! »
- « Il y en a ici aussi !
» gémit Cyril en faisant les pointes. « Nous sommes encerclés ! »
- « Je ne peux pas mourir ici
», soupira Vorshek. « Ça risque de compromettre mes chances d’épouser Tynfir…C’est fini, nous sommes condamnés. »

Le voile du brouillard se déchira brusquement et les pans de brume s’effondrèrent en quelques instants, comme chassés par une soudaine brise. L’illusion prit fin au moment où Hjotra, perché sur la première marche de l’escalier, se soulageait d’un besoin naturel.

- « Votre ami nain a vu au-delà du mirage et su trouver la seule issue », expliqua Fnn d’une voix grave. « Vous remportez l’épreuve. »
- « Maître Hjotra, vous êtes un génie !
» fit Vorshek en bondissant de joie vers lui. « Comment avez-vous fait ? »
- « J’avais vraiment, mais vraiment trop envie !
», répondit placidement le nain.
- « Magnifique ! » jubila le demi-elfe en embrassant le front du nain. « Continuons ! Où est Cerise ? Oh mes aïeux ! Il est changé en glace dans une posture grotesque de tentative d’impulsion ! Il n’a pas fui la glace assez vite…On s’en secoue, on continue. »

Les deux derniers dragons qui roxxent, sans doute les plus valeureux, atteignirent finalement le dernier palier gardé par le quatrième géant. Drifa aiguisait une impressionnante épée à deux mains, assis en plein milieu de la pièce. A la vue du demi-elfe et du nain, il délaissa son arme et son ouvrage, posa sur eux un regard perçant de ses yeux flamboyants et se leva lentement.

- « Attention au plafond ! » l’avertit Hjotra.
- « Aïeuh, par le dégel printanier ! » jura Drifa en se cognant. « Maudits soient ces dés cagneux qui m’ont valu cette place de dernier gardien ! Je suis Drifa, le quatrième gardien de la Tour du Givre, enfin vous connaissez le couplet. »
- « On doit subir une épreuve !
» répondit vaillamment Vorshek, très motivé. « La victoire sauvera nos compagnons pris dans la glace et…mais on n’est pas venus pour ça au fait ! On vient chercher un artefact bien précis ! »
- « La récompense et l’épreuve sont liées
», enchaîna le géant de glace en se massant le crâne. « Quel trésor désireriez-vous emporter ? la Hache du Gel ? Le Manteau des Frimas ? Des bottes en poils d’oreilles d’ours des neiges ? Le Masque des Froids ? »
- « Le Masque d’Effroi ?
» répéta Hjotra. « D’effroi qui fait peur ? »
- « Non, des froids qui font froids. »
- « Ça reste quand même très thématique
», commenta Vorshek.
- « C’est maintenant que vous vous en rendez compte ? » rétorqua le géant en désignant la Tour du Givre d’un geste ample, mais las. « Quel est votre choix ? »
- « Le Cristal d’Eclosion !
» lança le demi-elfe, « la première goutte glacée née de la rencontre d’une stalactite et d’une stalagmite, aussitôt changée en un joyau magnifique. Damoiselle Tynfir en exige la jouissance comme j’exige la sienne. »
- « Votre choix est fait. Le Cristal est à vous, à condition de prouver que vous le désirez vraiment !
»

A ces mots, Drifa alla se rasseoir et plongea sa main dans sa poche, en ressortant un superbe joyau qu’il enserra entre ses doigts puissants. Vorshek voulut s’approcher pour s’en emparer mais se rendit compte qu’il était rivé sur place par le regard écrasant du géant de glace qui ne le quittait plus. Le magicien essaya de parler, mais ses lèvres, comme ses membres et le reste de son corps, étaient complètement figées. Drifa, imperturbable gardien, le tenait ainsi prisonnier tandis que la glace s’aventurait à présent sur le dernier étage.
Vorshek lutta et tenta d’opposer toute sa volonté aux yeux rivés sur les siens, en vain. Le magicien dut se résoudre à demander de l’aide à Hjotra mais ce dernier n’avait pas réalisé le péril et regardait tour à tour son prince et le géant, croyant à un jeu. Usant d’un sortilège de télépathie, Vorshek l’appela à l’aide. Le nain réagit sur-le-champ. Il ôta le cristal des doigts du gardien et le rangea dans sa bourse avant de partir visiter la pièce, satisfait.

- « Je ne peux toujours pas bouger ! » le rappela Vorshek par télépathie. « La glace se rapproche et va nous piéger tous les deux ! Il faut réussir cette épreuve en forçant Drifa à fermer les yeux. »
- « C’est qui ça déjà ?
» demanda l’ingénieur.
- « Le géant, patate !!! On ne parle pas de votre sœur ! »
- « Aucune de mes sœurs ne s’appelle comme ça, mais y en a une que tout le monde traite de courge au Karak. Est-ce que ça compte ?
»

Recevant mentalement une salve d’instructions plutôt brusques et impatientes en réponse, le nain s’activa. Dans l’ordre, il enfonça son doigt dans l’œil de Drifa, lui tira la moustache, les poils de nez, lui boucha la vue, lui défit sa ceinture et baissa son pantalon et enfonça sa cuillère de voyage dans son oreille, sans succès. Inexorablement, la glace avançait vers Vorshek.

- « Il résiste même aux coups, il est dur comme de la glace », constata Hjotra en s’écartant. « Vous croyez que ça a un rapport avec le fait qu’on les appelle des géants de glace ? »
- « Il doit bien y avoir un moyen de lui faire fermer les yeux !
» se lamenta Vorshek dans sa tête. « En plus, on se gèle dans cette damnée tour ! Si on survit à ça, on aura tous attrapé la crève…J’ai trouvé ! Faîtes-le éternuer ! Il ne pourra pas garder les yeux ouverts ! »

Hjotra obtempéra et chatouilla les narines du géant, un bout de sa barbe comme un pinceau. Drifa résista quelques secondes puis céda et poussa un virulent éternuement qui le renversa brutalement en arrière. Ainsi, il libéra malgré lui Vorshek de son emprise et abandonna au demi-elfe et au nain une difficile victoire. La glace aux pieds du mage s’immobilisa alors et s’évapora lentement.

- « Hi hi », ricana Hjotra. « On a eu chaud ! »
- « Votre humour me laisse de glace
», souffla le géant en frottant son séant endolori et en remettant son pantalon.

Bilan de la mission
Vorshek : Source de motivation (princesse disponible et disposée) +1
Hjotra : Immunité naturelle (incompréhension) aux illusions +1
Gonzague : Phobie reptilienne +1
Cyril : Tripotage en aveugle +1
Al : Survie en milieu arctique -1
Expérience acquise : Burlesque

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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMar 16 Oct - 20:14

Episode 138 - Les trois enchanteresses, les trois bêtes et les trois lutins

- « Combien ?! » s’exclama Vorshek, perdant pour une fois son flegme légendaire. « Vous voulez me faire payer autant pour une simple surchauffe de baguette ?! C’est personnel, c’est ça ? Vous n’aimez pas les étrangers ou les elfes ? Non, je sais, j’ai connu votre fille ? »
- « En apparence, c’est en effet une simple surchauffe
», expliqua l’enchanteur maigrelet à son client courroucé. « Mais vous avez utilisé un enchaînement de sorts de feu surpuissant dans une atmosphère froide et humide, ça a été fatal à la résistance en ivoire d’oliphant et à la transmission conductrice d’énergie en poils de crins de pégase. Toute l’alimentation est détruite. Votre baguette était mal configurée dès le départ. On ne monte pas un générateur de flux magique XP302 en poudre d’os de viverne depuis des décennies. Tout le monde sait que l’avenir, c’est le TK405 à impulsions variées en vertèbres pilées d’ogre-mage ! »
- « C’est clair
», se moqua Al, avachi sur le comptoir de l’enchanteur. « Même moi je le savais. »
- « Vous avez heureusement bien fait de venir m’apporter votre instrument
», déclara l’homme, des étincelles plein les yeux. « Elle sera prête cet après-midi…moyennant un acompte de 80% que j’arrondis à 75% parce que vous m’êtes sympathique. Par contre, vous pouvez dire à votre ami nain de ne pas toucher aux philtres et potions ? La direction décline toute responsabilité en cas d’effets indésirables lors des tripotages de fioles en boutique. »

Furieux et vexé, Vorshek rappela Hjotra, paya l’enchanteur réparateur et sortit d’un pas emporté de son magasin, retrouvant Gonzague et Cyril qui attendaient dans la rue.

- « Voici les mauvaises nouvelles : on est coincés ici jusqu’à ce soir, cet escroc va me coûter tout ce que j’avais escroqué aux pécores avec cette histoire de Rhume Rouge et on n’a plus assez d’argent ni pour dormir à l’auberge ce soir, ni pour soigner les engelures de Al. »
- « J’avais prévu le coup, je te connais par cœur
», répondit ce dernier. « J’ai piqué une potion de régénération troll sur une étagère. Dès que mes doigts tombent, il m’en poussera des neufs. »
- « C’est dommage, il en manquera un
», compatit Hjotra.
- « La bonne nouvelle, c’est qu’on a toujours le Cristal de l’Eclosion et que j’ai repéré un groupe de jeunes femmes charmantes aux lavoirs pour calmer mes nerfs et me faire passer cette horrible journée. »
- « Tu vas draguer des villageoises ?
» s’exclama Gonzague. « Je croyais que tu étais tombé amoureux de Tynfir ? »
- « C’est le cas, mais qu’est-ce qui te choque, je ne comprends pas ? L’art de la séduction exige de la rigueur et un entraînement régulier. Je vais lever une laveuse, profitez de notre passage en ville pour gagner un peu d’argent pour le voyage. On se retrouve ici ce soir. »
- « Je vais danser et jouer de la musique au milieu de la grand place et dans les tavernes !
» déclara gaiement Cyril.
- « Je vais latter quelques gueux au bras de fer » dit Gonzague.
- « Je vais taxer quelques bourses », annonça Al.
- « Je vais dresser un pigeon à trouver de l’or », lança Hjotra avec motivation.

Les dragons qui roxxent se retrouvèrent en fin de journée, certains rendus plus riches, d’autres plus marqués au visage par leurs activités diverses. Vorshek justifia son cocard par un manque flagrant de chance d’être tombé sur une jeune femme peu sincère ayant caché l’existence d’un époux bûcheron. Al justifia le sien par un excès lamentable de zèle de la part de la maréchaussée du bourg et la difficulté de faire preuve d’agilité avec des doigts nécrosés. Gonzague et Cyril avaient amassés puis dilapidés leurs gains, notamment en boissons et en spectacles de combats de boue entre jeunes humains dévêtus. Hjotra n’était curieusement pas parvenu à trouver de filon d’or, mais avait obtenu le renfort dans l’équipe d’un pigeon, d’un chien et d’un chat le suivant désormais et mystérieusement partout.

- « Le chien s’appelle Aladin parce qu’il fouille dans tous les tas d’ordures », expliqua l’ingénieur guilleret, « le chat Cerise parce qu’il se frotte à tout le monde et le pigeon Elenwë, rapport au même regard. »
- « Vous savez que vous parlez de ma mère, là ?
» lui fit remarquer Vorshek. « L’épouse de votre seigneur ? »
- « Oui, je suis désolé, mais je n’ai trouvé aucun rapace.
»

Vorshek soupira longuement en se massant les tempes, alla récupérer Foudrargent flambant neuve et remit la troupe en marche, nains, humain, hobbit et maintenant animaux. La petite troupe avait à peine quitté les limites de la ville qu’un trio de créatures ventripotentes et de fort modeste taille leur barra le passage à la sortie d’un virage. Il s’agissait de lutins assez laids, le visage laiteux semblable à de la cire fondue et qui sautillaient frénétiquement sur leurs pieds, particulièrement excités. Leurs petits poings s’agitaient vivement et c’est d’une voix perçante que le premier exigea qu’on leur remette toute la fortune de l’équipe, Gonzague et pour une obscure raison, Cerise le chat.

- « D’accord pour Gonzague », répondit Al. « Mais on garde le chat et le pognon ! »
- « On va tous vous éclateeeer !
» rugit l’un des farfadets en mordant son poing de rage.
- « Vous voulez vous battre, les gosses ? » rétorqua le rôdeur, peu impressionné. « Revenez quand vous serez adultes. »

Les lutins poussèrent des mugissements de fureur et se mirent brusquement à gonfler et à s’étirer, se changeant en géants musculeux et belliqueux. Vorshek trouva là l’occasion d’évacuer ses dernières frustrations et d’essayer sa baguette réparée. La magie de son sortilège transforma les trois assaillants en innocentes et dodues poulardes quelque peu désorientées mais parfaitement inoffensives.

- « Oh, c’est mon sortilège ! » reconnut Al avec surprise tout en sortant du fossé où il avait plongé pour se cacher. « C’est moi qui l’ai choisi celui-ci avec le sort d’invocation de la tranche de lard ! Tu l’as gardé ? Je suis tellement ému ! »
- « Polymorphie animale, option basse-cour
», expliqua Vorshek tandis que Hjotra, Gonzague et Cyril assommaient les poules apeurées. « Je savais bien que j’arriverais à le placer de manière judicieuse. »

Cette grande victoire se devant d’être dignement fêtée, les aventuriers s’installèrent dans un ancien temple abandonné pour y passer la nuit et préparèrent leur repas du soir avec entrain. Gonzague vidait les poules, Cyril et Hjotra les déplumait, Al fouillait les petits vestons et pantalons des lutins et Vorshek supervisait.

- « Moi je prends les croupions », annonça Cerise en se léchant les babines.
- « Je garde les tripailles pour faire des tartines », dit Hjotra. « Mais le reste va pour les animaux. »
- « Les lutins avaient bien quelques piécettes, mais pas de quoi casser trois pattes à un poulet
», fit Al, un peu déçu. « Qu’est-ce que c’est que cette petite boîte ? »

Le rôdeur curieux ouvrit le minuscule récipient et fut brusquement rejeté en arrière par un vent violent s’en échappant. Trois jeunes filles un peu sonnées apparurent au milieu du groupe, visiblement aussi étonnées que les dragons qui roxxent.

- « Moi je prends les cuisses », commenta Vorshek en aidant les inconnues à se relever.
- « Où sommes-nous ? » demanda la première. « Qui êtes-vous ? Et où sont ces affreux lutins ? »
- « Ils se sont fait plumer
», répondit Gonzague en poursuivant sa tâche. « Laissez-moi deviner les greluches : ils vous ont capturées et réduites par magie féerique pour vous emprisonner dans cette boîte et vous…utiliser plus tard, c’est ça ? »
- « Nous sommes libres ?
» s’exclama la seconde avec joie. « Merci à vous, nobles héros. Je m’appelle Laina et voici mes deux sœurs, Raija et Raisa. Nous avons été ravies par ses ignobles gnomes sur la route, au retour des Bois Cendrés. »
- « Les Bois Cendrés ?
» demanda Al. « C’est dans les terres de Tynfir, ça non ? »
- « En effet
», répondit Raija. « Nous sommes des ensorceleuses apprenties et nous avions appris que Damoiselle Tynfir recherchait de valeureux aventuriers à engager à son service. »
- « Mais nous avons échouées à son épreuve
», poursuivit Raisa d’un ton triste. « Aussi rentrions-nous chez nous quand les lutins ont attaqués. »
- « C’était une épreuve difficile pour des novices comme nous
», justifia Laina devant ses cadettes manifestement déçues. « Nous devions trouver et ramener un artefact de valeur, un bijou enchanté nommé l’œil du Serpent, détenu par un clan d’orcs fanatiques adorateurs de reptiles. Nous sommes chanceuses d’être encore vivantes. »
- « Un cristal enchanté, tiens donc…
» murmura Gonzague d’un ton lourd en regardant Vorshek. « Nous qui pensions sottement que nous détenions l’exclusivité des épreuves de Tynfir… »
- « Comment ? Vous aussi alors ? »
- « Asseyez-vous
», les invita le semi elfe. « Partagez notre repas, nous allons vous raconter. Ôtez vos manteaux, mettez-vous à l’aise…Ma main ? Quelle main ? Ce n’est rien, c’est une technique de massage elfe sur le genou pour chasser la fatigue d’un voyage ! »

Les sœurs se laissèrent inviter de bonne grâce et mangèrent avec appétit leurs poulets-ravisseurs. Elles expliquèrent à leurs sauveurs que Tynfir avait répandu la nouvelle dans tout le pays et dans les régions voisines comme celle-ci qu’elle était en quête de braves héros dans sa guerre contre le roi Rous. Beaucoup d’aspirants à la gloire et à la richesse s’étaient présentés ainsi à elle et pour sélectionner les meilleurs, la noble héritière avait exigé qu’on lui ramène un objet magique de valeur. Vorshek, même s’il eut du mal à digérer le fait qu’il n’était donc pas le seul en lice pour conquérir les faveurs de Tynfir, n’en montra rien et c’est avec dignité et sobriété qu’il passa sa soirée à essayer de charmer les trois sœurs. Il étala les exploits de la troupe ainsi que leur succès retentissant à la Tour du Givre pour les impressionner et cette dernière anecdote ne laissa pas les ensorceleuses de glace. Ce ne fut cependant qu’au petit matin que les aventuriers purent mieux s’en rendre compte, en constatant que les jeunes filles et le Cristal d’Eclosion avaient tous disparus.

- « Sûrement ensemble », en déduisit Hjotra après une âpre réflexion. « Elles ont du l’emporter. »
- « Elles nous ont drogués !
» déclara Vorshek, amer, en réveillant d’un coup de botte Cyril qui ronflait. « Je ne me serais jamais endormi avant d’avoir conclu ou d’avoir été repoussé, même si nous savons tous très bien que cette dernière possibilité est improbable. »
- « Les garces !
» jura Gonzague. « Si elles veulent vraiment jouer, je m’en vais les renvoyer danser en boîte ! En route, il faut les rattraper ! Elles vont sûrement ramener le cristal à Tynfir. »
- « On part dès que Maître Hjotra revient
», décida Vorshek. « Il est parti faire uriner Aladin. »
- « Si quelqu’un demande lequel des deux, je le mords
», grommela Al, faisant aussitôt ravaler sa vanne à Gonzague.

Les Dragons qui roxxent se mirent en chemin en toute hâte mais, sans le moindre étonnement de la part du reste du groupe, Al fut incapable de retrouver la trace des voleuses. En fait, il repéra et remonta bien une piste, mais il s’avéra qu’il s’agissait de celle d’un chevreuil qui les mena à travers des sentes parsemées de ronces pour déboucher dans un ravin boueux où ses compagnons exprimèrent leur déception au rôdeur en tentant de le noyer. Finalement, après une demi-journée perdue, il s’avéra plus avisé d’invoquer une nouvelle fois le sylphe pour repérer les ensorceleuses. L’élémental poussa un long soupir et un sifflement aigu de dépit en reconnaissant les mortels l’ayant appelé.

- « Ça gère la fougère ! » l’applaudit Hjotra en le voyant apparaître dans un tourbillon.
- « Je déteste ces expressions elfes débiles », commenta Al en s’essuyant.
- « Oui, on se demande quel abruti les lui a apprise », marmonna Gonzague. « Hé, prince coquet ! Il va nous servir à quoi ton lâcheur de vents ? Je croyais qu’il lui fallait un indice à renifler pour retrouver quelqu’un, comme les clébards. »
- « Il se trouve que je dispose justement d’un bien vestimentaire de Laina, grossière roturière
», répondit Vorshek d’un ton détaché en sortant un sous-vêtement de sa poche. « Je me suis réveillé avec ça dans la main. Incontestablement, Laina tient à être retrouvée et copieusement troussée dans les buissons en guise de punition, quoique le terme récompense serait plus approprié dans ce cas. »
- « Tu voles des culottes aux pouffes humaines maintenant ?! Cette équipe part vraiment en sucette. Pourquoi invoquer le sylphe si tu as une liquette pas fraîche à faire renifler ? Al le non-boueux peut s’en occuper, non ? »
- « Parce que l’élémental de l’air, ça gère la fougère
», répondit le magicien avec dédain.

Grâce à la lingerie prêtée, le génie des airs eut tôt fait de retrouver la trace de Laina et c’est avec opiniâtreté et empressement qu’il s’évertua à guider les mortels sur ses pas. Vorshek se félicita du zèle de la créature, ignorant que cette dernière, passablement lassée d’être invoquée par ce groupe insupportable, ne témoignait dans son impatience à remplir sa tâche qu’une hâte irrépressible de changer de plan pour ne plus jamais les revoir. Finalement, c’est d’un geste large et soulagé que l’élémental leur désigna une caverne isolée après quelques heures de traque avant de disparaître dans la brise.

- « C’est marrant », déclara Al. « J’aurais juré que ton pote aérosol nous a fait un geste obscène avant de s’en aller… »
- « C’est impossible
», répondit Vorshek en récupérant et rangeant précieusement sa culotte. « Cet élémental me voue une sincère admiration, c’est évident. Hâte-toi, on t’attend ici. »
- « Vous voulez m’attendre pendant que je fais pipi ? Mais, c’est bon, partez devant, je vous rejoins. J’en ai pour deux minutes. »
- « Non, hâte-toi d’aller voir ce qu’il y a dans la caverne
», dit Cerise, Cerise perché sur sa tête.
- « De quoi ? Ah parce que ça y est, c’est officiel, ça ? Je suis automatiquement désigné éclaireur ? Attendez, je crois qu’il est temps de faire le point sur mon rôle réel au sein de l’équipe : je ne suis ni voleur, ni pisteur, ni éclaireur ! »
- « Et tu ne sais pas cuisiner non plus
», ajouta Hjotra.
- « Tu ne peux même pas aller jeter un œil dans cette grotte ?! » s’exclama Gonzague, agacée. « C’est pas possible d’autant servir à rien ! Si t’étais encore un poil plus naze, ce serait carrément une régression au stade animal ! »
- « Ah ouais ?! Et rappelle-moi qui a recousu ton bouton, avant-hier ? Sans moi, tu serais toute débraillée ! Quoi ? Pourquoi, tu me montres ta hache ? Oui elle pique et…Ahhh ! C’est bon, j’y vais !
»

Al mit un quart d’heure pour atteindre la grotte en rampant et huit secondes pour revenir en courant. Les ensorceleuses se trouvaient bien à l’intérieur, enfermées dans une cage aux barreaux épais et fermée par un lourd cadenas, aux mains d’une douzaine d’orcs tatoués.

- « Les cruches ont du vouloir échanger le Cristal d’Eclosion contre l’œil du Serpent pour lequel elles étaient missionnées », conclut Gonzague. « En même temps de la part d’humaines, magiciennes de surcroît, il ne faut pas s’attendre à des éclairs de génie. »
- « Et en plus, c’est des filles
», trouva amusant de rajouter Al avant d’être boxé par la naine.
- « Je m’occupe des orcs », lança tout à coup Cyril d’un ton assuré. « Ce sont les ennemis naturels des hobbits et j’ai connaissance d’un chant de barde de mon peuple capable de les plonger dans une torpeur totale. »
- « Bon courage !
» l’encouragea Vorshek. « Ne fais pas ton rôdeur ! »
- « Ça veut dire quoi encore cette expression elfe ?
» tiqua Al sans obtenir de réponse.

Le groupe suivit du regard Cerise qui se campa à hauteur de l’entrée de la caverne, dégaina fièrement son instrument et entonna un chant perçant si mauvais qu’il semblait griffer l’intérieur de l’oreille. Les orcs le supportèrent encore moins que les aventuriers et la première hache fut lancée sur Cyril bien avant les cailloux de Hjotra et Gonzague. Le hobbit hésita, marqua un temps d’arrêt et prit soudainement ses jambes à son cou, poursuivi par douze orcs peu mélomanes et bien furieux.

- « La voie est libre ! » claironna Vorshek. « Allons remettre son sous-vêtement à Laina que je puisse le lui re-enlever. »

Suivi par Gonzague, Al, Hjotra et les animaux, le mage courut jusqu’à la grotte vide et inspecta la cage. Le cadenas résista aux coups de hache de Gonzague et Vorshek ne pouvant user de sa magie sans risquer de blesser les captives à l’intérieur, Al fut chargé de forcer la serrure.

- « Vous vous souvenez notre discussion sur mon rôle précis ? Ni pisteur, ni éclaireur, ni voleur ! »
- « Dépêche-toi avant que les orcs ne reviennent ! Tu as vu la taille des jambes de Cerise ? Dans deux minutes il est rattrapé, dans trois il est cuit et dans cinq, il est digéré ! Allez ! Tu n’es pas dégourdi ! »
- « J’ai les doigts tout engourdis ! »
- « Quelle gourde ! Tu vas tâter de mon gourdin !
»

Malheureusement, Cyril s’avéra aussi incompétent en course de fond que Al en crochetage de serrures. Les orcs, le barde capturé traîné derrière eux, furent un instant surpris de trouver autant d’étrangers dans leur caverne mais leur colère s’effaça devant leur gourmandise : enchanteresses, hobbit, rôdeur aux doigts pourris, semi elfe et naine finirent tous dans une énorme marmite.

- « Voyons le bon côté des choses dans cette mésaventure », relativisa Vorshek en cuisant. « Il aura fallu cela pour que Al prenne un bain. Au fait, mesdemoiselles ! Je vois une courge parmi les légumes qui vont accompagner cette si singulière soupe orque et je repense à vous. Pourquoi m’avoir laissé une culotte ? »
- « On s’est dit que notre plan de troc avec les orcs était risqué et qu’un pareil obsédé tel que vous ferait tout pour nous retrouver si on lui laissait un sous-vêtement
», expliqua Raija.
- « Vous auriez pu ainsi venir à notre rescousse si notre vie était menacée », poursuivit Raisa.
- « Comment aurait-on pu songer que les vainqueurs de la Tour du Givre étaient de grosses quiches en vérité ? »
- « Nous on le savait
», se défendit Cyril. « Il suffisait de demander. »
- « Puisqu’on aborde le sujet
», remarqua Vorshek. « Où sont Maître Hjotra et sa meute ? »
- « Il s’est sauvé !
» s’exclama Gonzague avec joie. « Il va venir nous délivrer ! »

Les dragons qui roxxent adressèrent un regard dépité et plein de pitié à la naine mais celle-ci ne s’en aperçut pas, trop absorbée par l’observation d’une ombre étrange parmi le crépuscule tombant. Les orcs aussi remarquèrent cette silhouette gigantesque à la lueur du feu de la marmite et des torches, inhumaine, chimérique et inquiétante. Les cannibales furent alors saisis d’une vive terreur et détalèrent en couinant comme un hobbit barde lamentable. Hjotra dépassa un buisson et salua ses compagnons, à cheval sur le chien, le chat sur la tête et le pigeon trônant sur le tout.

- « Valterri le Sacrificateur ! » s’écria Vorshek en reconnaissant dans l’ombre projetée la forme de l’antique divinité cruelle. « Il dévore les serpents, comme ceux qu’adorent ces orcs ! Ils en sont naturellement terrifiés ! Quelle brillante idée, seigneur ingénieur ! »
- « C’est Elenwë le pigeon qui l’a trouvé
", avoua le nain. "Moi je pensais creuser un tunnel sous la grotte et percer la marmite pour… »
- « Le pigeon ?! Le pigeon a élaboré un plan ? Et vous comprenez quand il roucoule ?! »
- « C’était chaud quand même, il a un sacré accent… »
- « Cet animal est prodigieux ! Il nous le faut dans l’équipe ! Traduisez aux autres bêtes qu’on l’échange contre Al et Cyril. »
- « Euh non. Ils ont été très stricts sur ce point. Ils ne veulent plus faire partie des dragons qui roxxent. Je crois bien que vous leur fichez la honte.
»

Les animaux s’enfuirent dans la nuit bien avant que Vorshek, à peine vexé, ne retrouve sa baguette pour leur cramer poils et plumes. Mais il ne fut tout à fait en colère que lorsqu’il s’aperçut que les trois bêtes avaient également emmenés avec eux les sœurs enchanteresses.

Bilan de la mission :
Vorshek : Hostilité envers les bûcherons et les animaux familiers + 1
Al : Dextérité digitale -1
Gonzague : Plumage de poules et de piliers de bars +1
Hjotra : Recrutement animalier +1
Cyril : Aliénation musicale +1
Expérience acquise : Calamiteuse
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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 24 Oct - 19:44

Episode 139 – Le Génie des Nuages

- « Mon adorable faon…Espiègle louveteau…mon lapereau d’amour…L’aube darde ses rayons à travers la brume évanescente de la nuit…Il est temps de t’arracher au sommeil, joli pinson…Petit ourson hirsute… »

Vorshek leva un œil en baillant. Al écarta le coquillage enchanté de son oreille et la douce litanie d’Elenwë se tut.

- « Je crois que je vais arrêter », gémit Al en rangeant l’artefact. « Je trouve ça hyper malsain ! »
- « Quoi donc ? Que je te force à me réveiller tous les matins avec la voix de ma mère enregistrée dans un coquillage magique ? »
- « Je pensais au fait qu’à 50 ans tu éprouves encore le besoin d’être réveillé par moman, mais c’est vrai que ma participation est au moins aussi glauque…Tu es rentré tard cette nuit. Par pitié, dis-moi que tu as chopé ta princesse et qu’on peut enfin se barrer de cette région pourrie maintenant que tu as vidé tes bourses et rempli les nôtres ! »
- « Non, nous avons simplement discutés
», le renseigna Vorshek avec pudeur.
- « Comment ?! » fit Al, choqué, tout en tendant machinalement ses pantoufles à son ami. « Tu n’as pas toujours pas conclu ?! Je sais ! Elle est tombée amoureuse de moi, c’est ça ? »
- « Malgré tout mon charme, elle n’a pu s’offrir à moi
», se justifia le semi elfe tandis que toute l’équipe se réveillait dans la tente. « C’est une fille de roi et héritière du royaume. La tradition exige qu’elle conserve sa pureté jusqu’à ses épousailles. »
- « C’est cet air de flûte qu’elle t’a joué hier soir ? »
- « Non, hier, elle trouvait que j’avais les pieds trop larges. »
- « Maintenant que tu abordes le sujet…
» dit Cyril en se levant à son tour.
- « Et la veille ? »
- « Les mains trop lourdes. La fois d’avant, c’est parce qu’elle avait les cheveux mouillés et le jour encore avant, elle ne se sentait pas assez belle. »
- « Elle ne te prendrait pas pour un gigot par hasard ?
» demanda Gonzague en approchant.
- « Je garde bon espoir », déclara Vorshek à ses amis dépités. « Elle n’est pas née la jeune femme correctement mettable qui ne saurait succomber à mes avances. »
- « Au pire, il te reste Gonzague en fiancée de toute manière
», rappela Hjotra, émergeant de sous ses fourrures.
- « On peut parler sérieusement ou pas ? » soupira Vorshek. « Ramener le Cristal d’Eclosion et l’Oeil du Serpent ne suffisait malheureusement pas pour la convaincre de m’épouser. Je vais devoir accomplir un haut fait encore plus prestigieux. »
- « Ouf, me voilà rassurée !
» s’écria Gonzague. « Moi qui craignais qu’elle ne te manipule pour encore t’utiliser, je suis soulagée… »
- « Réunissez vos paquetages, nous partons dès que possible
», ordonna Vorshek. « Une nouvelle mission périlleuse nous attend. »
- « Résignons-nous, compagnons
», soupira Al tandis que Gonzague et Cyril protestaient. « Je connais assez notre suzeraineté pour savoir qu’on ne rentrera pas tant qu’il n’aura pas éperonné l’autre bêcheuse, secoué sa salade et fait baver sa limace. »
- « De la poésie de bon matin !
» grommela Gonzague. « C’est si bucolique ! »
- « Bucolique, je croyais que c’était un autre mot pour la coulante
», déclara Hjotra, perplexe. « C’est poétique la chiasse ? »
- « C’est sûr que la salade, mal lavée, c’est traître
», rajouta Cyril en jouant avec sa moustache. « J’ai le temps de faire réchauffer un peu de soupe aux navets ? »


Le regard pressant de Vorshek dissuada le hobbit et priva les Dragons qui roxxent de petit déjeuner. Geignant et grognant, ceux-ci quittèrent le campement de Tynfir, emboîtant le pas de leur prince de bien mauvaise grâce.

- « Je ne pensais pas devoir en arriver à ce stade », avoua le mage en cheminant, « mais je dois balayer les dernières réticences de Tynfir en me distinguant avec éclat. »
- « Je me sens maintenant nettement plus motivée de savoir qu’on va risquer notre peau parce que cette drôlesse refuse de se faire culbuter…
» se plaignit Gonzague. « Au fait, on va où là ? »
- « Sur tous les articles magiques que Tynfir convoite, un seul n’a pu être ramené malgré les efforts de trois équipes différentes
», expliqua Vorshek en désignant un bosquet au loin. « Il s’agit d’une poignée de la poudre enchantée du célèbre marchand de sable. Personne n’est parvenu à mettre la main dessus. »
- « Tu veux qu’on se lance à la chasse au marchand de sable ? Le personnage de conte ? Tu cherches à nous endormir ou quoi ? »
- « Hier, j’ai trouvé un nouvel accord si moche qu’il a défrisé la barbe de Hjotra
», déclara Cyril. « Je crois qu’il va être idéal pour le futur récit de cette nouvelle quête prestigieuse… »
- « Le marchand de sable existe, bougres de brêles
», les assura Vorshek. « C’est un génie puissant. Si les autres n’ont pas su le trouver, c’est parce que ces sots ignoraient où il habite. Ce genre de détail n’est pas inconnu à un sorcier cultivé et érudit de mon acabit. Je connais le moyen de nous rendre auprès de lui et Mère m’a fourni l’ingrédient indispensable à cela : un haricot magique ! Je l’ai planté hier avant de rentrer. Il a du pousser durant la nuit. Il nous conduira jusqu’au ciel car le marchand de sable vit dans un palais sur les nuages et… Hé ! Revenez ! Comment ça vous rentrez au campement ?! Très bien…Vous savez que vous êtes encore à portée de baguette magique là ? Châtaignes ou poulets ? »

Les aventuriers retournèrent vers leur prince en maugréant. Vorshek les mena jusqu’au bosquet et écarta triomphalement deux buissons pour leur montrer son haricot géant.

- « Y a rien », indiqua Al en se curant le nez d’un air désinvolte. « Sérieux, on rentre quoi. »
- « J’ai lancé un sort d’invisibilité pour le dissimuler, pauvre buse
», rétorqua Vorshek. « Là, hop ! Le voilà ! Allez, on grimpe ! »
- « C’est pourtant pas la soupe aux navets qui était daubée
», marmonna Gonzague, ahurie devant le haricot large comme un chêne et s’élevant jusqu’aux cieux. « Je dois faire un rêve débile. Mais là, la grimpette au haricot magique pour trouver le palais du marchand de sable dans les nuages, ça bat la fois où j’avais rêvé que j’étais poursuivie par un troupeau entier de hobbits qui voulaient m’apprendre à danser le cha cha cha. »
- « Et on s’étonne encore que les nains refusent de manger ces saloperies de verdure !
» s’exclama Hjotra en examinant la pousse surnaturelle. « Comment c’est trop le démon les légumes ! »
- « Admettons que tout ceci soit réel et que je ne sois pas en plein délire de fin de beuverie,
» déclara Al. « Tu crois vraiment qu’on va pouvoir escalader ce…ce truc jusqu’au ciel sans se casser la gueule toutes les trois secondes ? Une volée de marches est déjà un obstacle majeur pour la moitié de ce groupe ne dépassant pas le mètre cinquante ! »
- « Vous savez que vous commencez à me courir sur le haricot ?
» souffla Vorshek. « Ce haricot est un passage pour un autre plan, une sorte de portail entre les mondes menant à celui des génies. Cyril, passez devant et grimpez-moi là-dessus. »
- « Une offre alléchante, j’aime quand tu t’encanailles et demande à me voir sous mon meilleur profil. »
- « C’est surtout que je préfère vous savoir devant que derrière dans ce genre d’exercice. Et si les génies ne sont pas portés sur l’hospitalité, autant que votre cadavre déchiqueté retombant dans une pluie de sang nous l’apprenne au plus tôt.
»

Cyril entama donc l’ascension du haricot géant. Adoptant une affligeante lenteur dans ses déplacements pour profiter au mieux des poussées de Vorshek le suivant, il se ravisa bientôt et accéléra le mouvement en entendant Foudrargent crépiter dans son dos en guise d’avertissement. Le hobbit disparut peu à peu à travers les nappes d’un brouillard persistant et déboucha très vite sur un sol meuble et solide tapissé de brume.

- « Je ne suis pas folle », balbutia-t-il à Vorshek quand celui-ci arriva à son tour. « Nous sommes bien sur un nuage ! »
- « Quand je vais raconter au seigneur Arzhiel qu’on a été sur un nuage !
» s’exclama Hjotra guilleret.
- « Personnellement, je pense que je vais m’abstenir », répondit Gonzague. « Si on pouvait éviter de passer pour plus tarés que nécessaire en vantant ce genre d’aventure, je crois que ça épargnerait beaucoup ce qui nous reste de dignité. »
- « Regardez là-bas !
» lança Al, l’index tendu. « On dirait une bicoque toute moisie. C’est ça ton palais, son altesse ? Avec le bol qu’on a, on est tombés sur le nuage des génies pouilleux, trop raides pour vivre dans mieux qu’une cabane à outils pourrie sur planches ! A part le tétanos, je ne vois pas bien ce qu’on va pouvoir ramener en la cambriolant. »
- « Est-ce que je peux vous aider ?
» fit une voix dans leur dos.

Les aventuriers firent volte-face en sursautant. Un étrange bonhomme se tenait entre deux pans de brumes, aussi intrigué, et inquiet, par ce qu’il voyait que par ce qu’il avait entendu. Il s’agissait d’un génie au teint rougeaud et à la mine débonnaire, vêtu d’un veston criard, une pipe fichée dans un coin de la bouche, un bonnet à grelot planté sur la tête et la main droite plongée dans une large besace portée en bandoulière.

- « Mais vous êtes des mortels ! » s’étonna-t-il, effaré. « Alors c’est vous qui avez garé votre haricot en plein dans mon nuage, bande de pirates ! »
- « Je crois que c’est du sable dans son sac
», annonça Gonzague en sortant sa hache. « Je lui colle une mine et on lui braque sa came ? »

Le marchand de sable fut plus rapide et jeta une poignée de sa poudre au visage de la naine. La guerrière tomba comme une masse, profondément endormie, suçant son pouce et blottie amoureusement contre sa hache.

- « Pourquoi tu jubiles, toi ?! » s’exclama Vorshek après Al qui gloussait de joie.
- « C’est parce que pour une fois, c’est pas moi le premier de l’équipe à me faire sortir de la course dès le début de la quête ! J’acquière de plus en plus un rôle primordial au sein du groupe grâce à mes dons de rôdeur et… »

Le marchand de sable fit taire le jeune homme d’un jet de sable.

- « Il a une voix stressante et il est trop bavard », expliqua-t-il quand Al poussa ses premiers ronflements. « Le blond et le barbu, balancez-moi ces deux zouaves par le haricot et sautez hors de mon nuage ! J’ai encore du sable et je suis prêt à m’en servir ! »
- « Doucement, pépé !
» rétorqua Vorshek en dégainant sa baguette. « On veut juste une fiole de votre poudre et on s’en va. Je peux vous l’échanger contre une tranche de lard ou le rôdeur ici vautré, l’un des deux étant quand même plus pratique que l’autre. »

Le marchand de sable fronça les sourcils en voyant Vorshek le menacer de sa baguette. Furieux, il jeta une large poignée de poudre sur les intrus. Vorshek et Hjotra tombèrent dans les bras l’un de l’autre, aussitôt endormis.

- « Petits salopiauds », rouspéta le génie. « Qu’est-ce que… ?! Tu ne dors pas toi ?! »
- « C’est sans doute parce que j’ai subi un sort de sommeil durant deux siècles
», se justifia Cyril en profitant de la situation pour tripoter Vorshek. « Je dois être immunisé. »
- « Ne bouge pas. Je vais appeler mon cousin, génie des tempêtes. Tu vas douiller un peu de grêle, jeune sauvageon ! »
- « Attendez !
» s’écria Cerise, affolé. « Je ne vous veux aucun mal, moi ! On doit pouvoir s’entendre. Vous droguez les gens pour les endormir, ça m’arrive aussi. Vous aimez la pipe, moi aussi. Et beaucoup de gens trouvent que moi aussi je suis habillé comme l’as de pique ! »
- « Si tu veux m’amadouer, commence par débarrasser mon nuage de ton gang de filous, sale jeune !
»

Cyril s’exécuta prestement et renvoya par le haricot ses compagnons endormis.

- « Cet exercice m’a bien échauffé », soupira le hobbit en ôtant sa redingote rose explosif. « Est-ce que je peux faire autre chose pour vous être agréable, messire le beau marchand ? Je suis barde, vous savez. Je peux chanter vos louanges aux autres mortels ou vous ravir d’émoi par l’une de mes ballades. »
- « Remets ta liquette et rentre chez toi ! »
- « Je m’en vais !
» obéit le hobbit avant de revenir sur ses pas. « Dites, vous me céderiez un peu de votre sable ? Juste de quoi remplir une fiole ? Je ferai n’importe quoi en échange. Et quand je dis n’importe quoi… »

Cyril tritura sa moustache en fixant le génie d’un air provocant. Ce dernier sembla hésiter, regarda alentour que personne n’était dans les parages et fit discrètement signe au barde d’approcher.

Vorshek et le reste de l’équipe se réveillèrent au pied du haricot que Cyril achevait de couper avec la hache de Gonzague. Le soir était tombé. Ils avaient dormi tout le jour. Le semi elfe regarda le barde d’un air interrogateur. En retour, celui-ci lui lança une minuscule fiole remplie de sable enchanté.

- « Je confirme que la cahute, c’était bien une cabane de jardin pourrie et bordelique plein d’outils à ranger ! » lui dit le hobbit en époussetant ses habits poussiéreux et couverts de tâches de rouille. « Tu m’échanges le sable contre un sort de soins anti-tétanique ? »

Bilan de la mission :
Vorshek : Connaissance d’histoire à dormir debout +1
Al : Discrétion -1
Gonzague : Animosité envers les danses populaires hobbits +1
Hjotra : Dégoût irrépressible des légumes verts +1
Cyril : Agencement des dépendances +1
Expérience acquise : Déplorable
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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 31 Oct - 22:35

Episode 140 – Le Sceptre du Roi

Vorshek traversa le campement d’un pas vif et déterminé, prêtant à peine attention aux soldats et réfugiés trop lents pour s’écarter et que Gonzague envoyait dans le décor de brusques bourrades jouissives. Le magicien désigna les gardes en faction à l’entrée de la tente de Tynfir. Aussitôt, Gonzague en étala un d’un large coup de plat de hache dans la mâchoire tandis que Al et Cyril assommaient le second à coups de patates volées à la cantinière. Laissant ses compagnons dehors hormis Hjotra, le semi elfe pénétra avec fracas dans les appartements de la princesse et se planta face à elle avant de lui lancer la fiole contenant la poudre enchantée du marchand de sable.

- « Je me fiche que les étoiles n’aient pas le bon alignement, que votre culotte favorite soit au sale ou que j’ai davantage de poils au sourcil gauche qu’au droit. Je me balance de savoir que vous avez raté votre frange ce matin, que vous n’aimez pas le grain de beauté sur mon genou ou que vous avez prévu un récital de sonnets dans dix minutes. Et je me contrefous que vous soyez sur la digestion, mal épilée ou au chevet de votre père mourant ! J’ai affronté maints périls très mauvais pour ma peau où j’ai risqué ma vie et pire, celle de mes cheveux. Une promesse est une promesse. Hop ! En piste ! On copule ici, maintenant, tout de suite ! »

Tynfir ne se départit de son expression stupéfaite que pour la remplacer par un hébétement mêlé de gêne. D’un coup d’œil rapide et discret, elle fit remarquer à Vorshek la présence de la douzaine de ses capitaines réunis avec elle pour un conseil de guerre.

- « Messires, salutations », lança le magicien sans se démonter, bataillant déjà avec la cordelette de son pantalon. « Je vous prie de suivre mon camarade nain qui vous indique la sortie. Ceux qui veulent rester peuvent regarder, mais pas toucher. »

Les soldats échangèrent des regards consternés, furieux, voire impatients pour au moins deux d’entre eux. Tynfir, contrite, leur désigna Hjotra près de la sortie. Un par un, tous les chevaliers sortirent en grommelant, même les deux derniers qui avaient commencé à s’installer confortablement dans un coin.

- « Par quoi désirez-vous commencer ? » questionna Vorshek, le pantalon sur les chevilles. « Personnellement, je n’ai pas de préférence, mais je souhaite tout essayer. Je vous serai gré de vous montrer aussi ouverte que moi, ma dame. »
- « Suivez-moi
», répondit Tynfir avec sérieux, fascinée par l’éclat de la fiole dans sa paume. « Remettez votre pantalon, nous allons ailleurs. »
- « Même si c’est aux écuries, je vous suis. »
- « Nous allons voir mon père. »
- « C’est spécial comme penchant
», commenta Hjotra en suivant.
- « Il est mort », fit la princesse.
- « C’est vraiment pervers les humains ! » soupira Hjotra en grimaçant.

Tynfir se dirigea vers un coin à l’écart du campement, à travers d’épaisses végétations sauvages et des ruines ravagées par le temps que le demi elfe n’avait jamais remarqué. Quelques ombres se mouvaient lentement ça et là, errant dans la pénombre et le silence. Il ne s’agissait pas de la garde du roi, mais d’hommes encapuchonnés, dissimulés sous de sombres pèlerines. Tynfir échangea un mot avec l’un d’eux et ce dernier se précipita brusquement dans le soir.

- « J’imagine que ce n’est pas la partie touristique », dit Vorshek, mal à l’aise.
- « Arnez vous a raconté que mon père avait été blessé par les agents de Rous. C’était un mensonge. Il n’a pas survécu aux blessures infligées par son meurtrier. Il est mort depuis près de vingt jours. J’ai menti et fait répandre ce mensonge pour m’assurer la loyauté des gens de mon père. Ils n’auraient pas suivi une femme seule. »
- « Puisqu’on en est aux confidences, je vous ai dit que j’étais vierge. C’est quelque peu exagéré. »
- « L’ingrédient secret de ma soupe aux champignons, ce sont des orteils de trolls
», craqua à son tour Hjotra. « J’ai dit à tout le monde que la recette était secrète mais c’est parce que j’avais honte d’avouer que j’avais fait tomber des orteils dans la soupe la première fois ! »

Tynfir poussa un soupir las en voyant que Hjotra leur emboîtait encore le pas, mais tâcha de l’ignorer. Parvenue à une volée de marches s’enfonçant dans les ténèbres d’un sous-sol lourdement protégé par les hommes à capuches, elle se retourna pour fixer Vorshek d’un regard pressant.

- « Vous vous demandez pourquoi je vous ai lancé, vous et tous ces mercenaires, en quête de ces artefacts rares au nom d’épreuves pour éprouver votre valeur, n’est-ce pas ? »
- « La question occupe effectivement entièrement mon esprit
», répondit Vorshek en relevant ses yeux de la chute de reins de la jeune fille. « Une vraie obsession… »
- « Je nécessitais précisément chaque article enchanté dont j’ai missionné les volontaires tels que vous et votre groupe
», expliqua Tynfir en descendant les marches pour pénétrer dans un tunnel antique. « Je connais un rituel ancien, ignoré et très puissant. La poudre enchantée du marchand de sable était le dernier ingrédient qu’il me manquait, car le plus difficile à obtenir. Mes plus capables serviteurs ont échoués dans sa recherche. »
- « Vous pouvez me remercier maintenant, mais il est fort probable que vous me remercierez aussi après
», se vanta Vorshek. « Une pensée me vient tandis que je regarde vos lèvres bouger. Vous êtes aussi une pratiquante de la magie ? »
- « C’est moi ou il pue le vieillard ce souterrain ?
» s’enquit Hjotra.
- « Je suis en effet prêtresse », répondit Tynfir. « Les personnes que vous avez aperçues dehors et celles que nous allons rejoindre appartiennent à mon groupe, ma secte. Peu de personnes connaissent leur existence. Vous êtes ici parce que je vous suis redevable. »
- « C’est peut-être un peu prématuré de me présenter à vos amis et à votre père…mort
», fit remarquer Vorshek, songeur. « Je n’ai sans doute pas été assez direct et explicite tout à l’heure, mais j’aurais largement su me contenter de votre gratitude sous la tente…dans tous les coins de la tente…toute la nuit… »
- « C’est bien le vieillard !
» confirma Hjotra en léchant un mur humide et poussiéreux. « C’est un caveau ce truc ou bien une maison de retraite pour orcs. Elle est tordue votre copine, prince ! »
- « Nous sommes arrivés
», informa Tynfir en désignant une vaste salle éclairée de bougies rouge sang, aux murs et sols recouverts de glyphes de magie noire et occupée par une vingtaine de prêtres en cercle autour de la dépouille nue du roi Gowla.
- « Entre la déco, le cadavre et les spectateurs bien glauques », murmura Hjotra à l’oreille de Vorshek, « si vous arrivez à dresser quoi que ce soit, je vous paye ma tournée. Et après je quitte votre service, parce que même Svorn n’est pas aussi pervers. »
- « Euh…Qu’est-ce qu’il se passe en fait ?
» demanda le mage en voyant les prêtres entamer les préparatifs d’un rituel sous les ordres de Tynfir. « Vous réglez ça et on s’accouple après alors ? »
- « Je n’ai jamais eu la moindre intention de partager ma couche avec vous, elfe
», rétorqua Tynfir d’une voix glaciale tout en disposant la fiole de sable près d’autres objets magiques. « J’ai pris Kerttu le Sang Clair comme fiancé il y a trois mois déjà. Il est à la tête des cohortes des Marches Septentrionales et est allié avec de nombreux clans et cités états. Son soutien me sera plus précieux que le vôtre pour remporter cette guerre. »

La jeune femme désigna un fier guerrier elfe noir en armes de l’autre côté de la salle qui cracha sur son épée quand Hjotra lui adressa un coucou convivial.

- « Je me suis fait manipuler ? » balbutia Vorshek, sous le choc. « Comment aurais-je pu diable le deviner ? Il n’y avait pourtant aucun signe de cette perfidie ! »
- « Elfe stupide !
» lança Arnez en apparaissant depuis le tunnel. « Une telle naïveté est rare à notre époque. Il a suffit que ma maîtresse papillonne un peu de ses grands yeux pour que vous gobiez n’importe lequel de ses ordres. Rous n’est pas à l’origine de cette guerre. C’est Dame Tynfir qui l’a déclenchée ! Elle a fait assassiner son propre père pour accuser Rous et légitimer l’invasion de son pays ! On vous a jonglé, pauvres débiles ! Et vous… »

Hjotra interrompit le vieil homme d’un violent direct dans le bas-ventre avant de l’achever à terre d’un coup de pied. Vorshek remercia son compagnon.

- « De quoi ? » répondit naïvement l’ingénieur. « J’ai fait ça parce que je suis à peu près certain que l’odeur vient de lui. C’est seigneur Arzhiel qui m’a enseigné le direct aux noix pour les Grandes-Gens qui pètent les rouleaux. »
- « Quel désastre !
» se lamenta Vorshek en regardant Tynfir activer la magie de l’Oeil du Serpent, de l’Oeuf d’Eclosion et d’autres pierres enchantées. « En plus, elle a tué son père ! Moi qui la trouvais si douce et innocente. »
- « Vous avez de la merde dans les yeux, c’est pas grave
», relativisa Hjotra. « Moi il parait que j’en ai dans les doigts et entre les oreilles. Je crois que Dame Tynfir n’est pas aussi méchante qu’il n’y parait. Je suis sûr qu’elle a bon fond. »
- « Vous croyez ?
» douta le demi elfe.

Tynfir acheva d’accumuler toute la puissance des artefacts et lança son sortilège sur le cadavre de son père. Ce dernier frémit et sa peau pâle se colora rapidement tandis que la magie interdite ranimait son cadavre. Le roi Gowla ouvrit lentement les yeux et se releva mollement.

- « Vous voyez ? Elle vient de ressut…ressurectio…Rissusci…son père. »
- « Tynfir ?
» marmonna Gowla, ahuri et hagard. « Qu’est-ce que… ? Je me souviens…Tu as plongé cette lame dans ma poitrine ! Maudite sois-tu ! »
- « Silence, esclave !
» clama la jeune femme. « Je t’ai arraché aux griffes de la mort grâce au sort de Lune Morte. Tu n’ignores pas ses effets. Tu es à présent en mon pouvoir, aussi docile qu’un agneau ! Je t’ordonne de me remettre le Sceptre de Commandement ! »
- « De la magie nécromancienne !
» s’exclama Vorshek avant que l’assemblée ne lui intime de respecter le silence d’un chut commun et appuyé. « Elle ment, elle manipule, elle tue et elle utilise la magie noire. J’avais encore bon espoir avec la robe de bure, mais c’est sûr maintenant qu’elle n’est pas bonne sœur ! »
- « Qu’est-ce qui se passe là ?
» demanda Hjotra à son voisin, un prêtre du culte, tandis que Tynfir et son père échangeaient de vifs reproches mutuels.
- « Le Sceptre de Commandement appartient à la famille royale depuis des siècles », expliqua l’homme à voix basse tandis que Hjotra reniflait sa robe d’un air suspect. « Il oblige les morts à se relever pour former une armée de zombies asservis au possesseur du Sceptre. Gowla en était le gardien de son vivant et sa fille l’a toujours convoité, car vile et corrompue par la soif de pouvoir. »
- « Et accessoirement aussi par la magie interdite
», ajouta Vorshek.
- « Un peu comme nous tous ici présents, vous en conviendrez », plaisanta l’homme. « Bref, Tynfir a tué son père inflexible, pensant pouvoir récupérer l’artefact sur son cadavre. Mais Gowla était prudent. Un sort le lie au Sceptre. Personne ne peut le lui dérober, sauf si lui-même décide de le céder. Tynfir n’avait d’autre choix que le ressusciter… »
- « Ressusciter !
» s’écria Hjotra. « C’est ce mot-là ! Restitu…Resituer…Flûte, je l’ai encore paumé. »
- « …grâce à la magie nécromancienne pour en faire un mort-vivant soumis à ses ordres
», poursuivit le cultiste. « Malgré toute sa force, Gowla ne peut que se soumettre à la volonté de sa fille. Regardez ! Il obéit et vient d’invoquer le Sceptre. Quel moment émouvant ! »

Tynfir arracha avidement le Sceptre des mains de son père fou de rage mais réduit à la servitude. La jeune femme poussa un cri de victoire en brandissant l’artefact avant de s’emparer d’un glaive et de le planter dans le torse de son père jusqu’à la garde. Le roi s’effondra et mourut une seconde fois de la main de sa fille.

- « Bon alors, elle est méchante au final ou pas ?! » s’impatienta Hjotra. « C’est compliqué cette histoire, on ne pige rien ! »
- « Frères ! L’heure de mon règne est enfin venue !
» s’exclama Tynfir hystérique en brandissant son sceptre. « Ce lieu n’est pas anodin. Il fut le lieu d’une antique bataille et regorge de soldats morts que je vais à présent arracher à leur torpeur millénaire afin qu’ils anéantissent nos ennemis ! Grâce au sceptre, je vais pouvoir diriger une armée gigantesque, loyale et impitoyable ! Guerriers de la Reine Sombre, éveillez-vous ! Relevez-vous et obéissez à ma volonté ! Je vous ordonne de dévaster les terres du roi Rous et de massacrer son armée et son peuple jusqu’au dernier de ses représentants ! »
- « Si j’avais un minimum de conscience, je serais en ce moment accablé par les tourments de ma responsabilité dans la tuerie sans nom que présage cette invocation
», déclara Vorshek tandis qu’un sourd grondement agitait le souterrain sous les clameurs exaltées des prêtres noirs.

Murs et plafonds du souterrain tremblèrent violemment sous l’effet de la magie libérée. Le sol se lézarda et commença à vomir d’innombrables dépouilles tressautant en gestes saccadés. Les squelettes séculaires, brisés et pathétiques, vinrent s’enivrer à l’air libre du pouvoir du sceptre les ressuscitant. Leurs membres en poussière se reformèrent, leurs armures rouillées et déchiquetées redevinrent rutilantes et les lames abandonnées se dressèrent vers le ciel. A travers le fracas épouvantable des caquètements et les nuages opaques de poussière soulevée se dessinèrent bientôt les premiers rangs d’une légion de soldats mort-vivants fidèles à leur nouvelle reine. D’un pas sinistre et mécanique, l’armée de la Reine Sombre se dirigea vers la sortie, entamant sa marche funèbre vers le domaine de Rous.

- « Maître Hjotra ? » appela Vorshek à travers le vacarme tandis que le nain applaudissait frénétiquement ce qu’il prenait pour une parade. « Rendons-nous à l’évidence, mes chances restantes de serrer Tynfir sont relativement minces. On va donc punir cette garce et braquer son sceptre. Sans lui, elle ne pourra plus contrôler qu’une part minime de l’armée invoquée. Cela devrait bien la gonfler et en plus, ça fera un chouette objet magique à ramener à père. »

Le magicien éconduit dégaina Foudrargent et profita de la confusion engendrée par les squelettes et le séisme pour se frayer un passage jusqu’à Tynfir à grands coups de cônes de feu et de Cercles de Châtaignes particulièrement piquants puis changea deux fuyards en lapereaux, comme ça, pour la beauté du geste. La panique s’empara des derniers fidèles de Tynfir qui se regroupèrent affolés autour de leur maîtresse pour la protéger. Aucun ne fit bien attention à Hjotra qui se faufila à travers la fumée et fit diversion en redressant le corps de Gowla et en entamant un chant paillard tout en agitant sa tête en rythme, ce qui mit en fuite tout le groupe de fanatiques, terrifié par ce prodige. Tynfir s’apprêtait elle aussi à fuir ce chaos inattendu quand Vorshek lui tomba dessus.

- « Je vous conjure de me croire », lui dit le demi elfe, se relevant après l’avoir plaquée au sol, « il n’est guère dans mes habitudes de me retirer si vite. »

Vorshek arracha le sceptre des doigts de la jeune femme stupéfaite et, imitant la technique favorite de Al, détala à toute vitesse, Hjotra sur les talons. Les deux comparses s’abritèrent des éclairs magiques lancés par leurs poursuivants en zigzagant à travers les rangs compacts des squelettes toujours plus nombreux à mesure que d’autres morts les rejoignaient. Cette petite poursuite combla Hjotra, riant aux éclats, mais amusa curieusement moins Vorshek, bombardé de projectiles enchantés. Le semi elfe remonta le tunnel et jaillit à l’extérieur où le sortilège de Tynfir arrachant ici aussi des squelettes du sol avait provoqué une terrible débâcle dans le campement. Sprintant, avec certes grâce, mais aussi un grand effroi, le jeune magicien regagna la tente des Dragons qui Roxxent. Al, Gonzague et Cyril, observant avec incompréhension les mort-vivants envahissant les lieux, les soldats en déroute et le chaos ambiant ne mirent étrangement pas longtemps à faire le rapprochement avec leurs deux amis essoufflés.

- « L’euphorie t’a rendu fébrile de la baguette ou Tynfir n’a pas apprécié ta prestation ? » interrogea Al, blasé, en désignant l’armée de guerriers antiques avançant tout droit, dévastant tout obstacle sur leur passage et taillant en pièces les mortels trop lents pour fuir.
- « C’est un poil plus compliqué que cela », répondit l’héritier en trépignant sur place. « Si vous désirez emporter un quelconque équipement, je vous invite cordialement à le prendre maintenant parce que là si on ne fuit pas lâchement et piteusement, on est bons pour la fessée. Grand modèle. »

Les aventuriers échangèrent des regards entendus puis s’éparpillèrent en toute hâte. Dès que la tente fut proprement pillée, le groupe s’échappa mais tomba nez à nez avec une patrouille. Vorshek alluma un brasier dans le fonds de culotte des gardes pour s’en débarrasser avant qu’ils n’attaquent. Autour d’eux sifflèrent les carreaux d’arbalète, les cris des poursuivants et quelques insultes orientées sexualité et monde animal.

- « Tu ne nous as pas dit ? » commenta ironiquement Gonzague en repoussant une hallebarde. « Tu as passé une bonne soirée, prince ? »
- « Mais qu’est-ce que t’as foutu, votre altesse ?!
» gémit Al entre deux cris effarés et très aigus de Cyril.
- « Vous allez trouver cela difficile à croire, mais Tynfir n’a jamais eu l’intention de céder à mes avances et profitait de mon innocente affection pour nous manipuler à des fins maléfiques. Mais ne vous fiez pas à l’ardeur qu’elle risque de déployer pour remettre la main sur ma personne, ses intentions ne sont pas aussi louables que celles que je nourrissais à son égard ! Bref, cassons-nous avant qu’elle ne… »

Le semi elfe s’effondra en pleine course, fauché par une flèche fichée dans son dos. Gonzague le rattrapa au vol et le jeta sur ses épaules. Au loin, Kerttu le drow encochait à son arc une nouvelle flèche trempée dans du poison mortel pour les elfes, mais arrêta son geste quand les fuyards disparurent dans la forêt, hors de portée. Personne ne remarqua l’absence de Hjotra qui, ayant fatalement encore une fois perdu son groupe, suivait docilement l’armée de mort-vivants, décidément fort distrait par ce spectacle et cet incongru défilé.

Bilan de la mission :
Vorshek : Niaiserie Sentimentale +1
Al : Pillage en camping +1
Hjotra : Détection olfactive +1
Cyril : Maîtrise vocale des ultrasons +1
Gonzague : Course de fond avec portée +1
Expérience acquise : Négative

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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 7 Nov - 20:56

Episode 141 – 40 ans, Encore Puceau (Souvenirs)

Le jeune Vorshek jeta un coup d’œil discret dans le couloir et repéra un garde de son père en faction dodelinant de la tête, régulièrement réveillé par ses propres ronflements. Le demi elfe fébrile sortit de son paquetage un chapelet de saucisses dérobé le matin dans les cuisines, l’imprégna de sa magie puis le lança en l’air. Tel un serpent ondulant dans les flots, la pièce de charcuterie lévita sous le nez du nain avant de s’échapper par un couloir adjacent lorsque celui-ci tenta de s’en emparer. Comme Vorshek l’avait espéré, une intense course-poursuite s’engagea, lui laissant le passage libre. Le cœur battant, l’adolescent passa la porte et traversa encore deux tunnels, jeta sur ses épaules une cape en laine grossière dissimulée là la veille et reprit sa route sans tarder. L’excitation rendit son pas impatient et trop rapide. Au carrefour suivant, il tomba nez à nez avec Hjotra et Brandir qu’il n’avait pas entendu approcher.

- …et il est allé chouiner parce que je lui ai brisé quatre côtes et écrasé un bras ! racontait Brandir. Je l’ai bien entendu pourtant, il voulait un combat amical, c’est pas tombé dans l’oreille d’un lourd ! C’est pas amical peut-être une bonne fracture ouverte ?
- Tiens,
répondit Hjotra. On dirait qu’un elfe vient de s’éclater contre votre gro…contre vous.
- Tout va bien,
fit Vorshek en se relevant aussitôt, cachant son visage et changeant de voix. J’étais distrait. Pardonnez-moi.
- Ben, soyez distrait avec quelqu’un d’autre, mon bonhomme. Je suis marié et une étreinte avec un elfe, c’est aussi désagréable qu’une toile d’araignée dans la barbe.
- Ou celle de sa femme,
ajouta Hjotra.
- Comment je suis devenu trop séduisant depuis que je suis père de famille ! s’étonna Brandir tandis que Vorshek s’éloignait. On se rue sur moi à chaque virage !
- Nous devrions peut-être aller voir le soigneur,
proposa Hjotra, inquiet, à son ami. Le choc semble avoir atteint le cerveau. Vous faîtes une crise de démence. Combien j’ai de doigts ? Ouais, moi non plus, j’en sais rien, c’est vrai que c’était chaud à compter, ils bougent sans arrêt.

Vorshek quitta les étages privés des nobles du Karak et coupa à travers les quartiers marchands et administratifs, encore un peu sonné. Se mêlant à la foule des badauds, il put enfin souffler un peu. Son percepteur ne se réveillerait que dans quelques heures et sa mère réunissait son cercle d’amies les plus insupportables dans la salle du trône, juste pour gonfler son époux. Le jeune elfe s’éloigna des principales artères de la cité et fila droit vers les bas quartiers, guidé par la puanteur rance de sueur et d’ordures mêlée, ainsi que par les chants des poivrots. Il alla se poster au milieu d’une place particulièrement animée et eut tôt fait de repérer sa cible. D’un pas nerveux mais déterminé, Vorshek rejoint une humaine buvant à une fontaine et se planta devant elle.

- On copule ? demanda-t-il en étalant un sourire goguenard, fruit d’heures entières d’entraînement devant le miroir. Je veux bien vous faire la cour et vous réciter de la poésie durant des heures, mais tous deux savons pertinemment que ça finira fatalement au lit. Autant gagner du temps, non ?

La jeune femme haussa un sourcil blasé, saisit délicatement Vorshek par la nuque en lui retournant son sourire, puis l’expédia dans le bassin de la fontaine avant de repartir à pas lents. Vorshek sortit de l’eau et essora sa tunique avec flegme, cherchant où il avait péché. Une elfe à la peau nacrée et aux longs cheveux lisses d’une blancheur immaculée passa à portée, visiblement pressée. Le jeune sorcier la rattrapa sans tarder.

- J’ignore qui vous allez rejoindre ainsi, mais vaut-il vraiment la peine de perdre la chance inespérée de connaître l’extase entre mes bras ? Admirez le beau gosse. Franchement, ce tocard souffre-t-il seulement la comparaison ?
- Je vais au chevet de mon père mourant,
répondit la passante, les larmes aux yeux avant d’accélérer le pas.
- Ah…Certes...Vous n’en avez pas donc pas pour très longtemps. Vous êtes libre après ?
- C’était pathétique,
commenta un adolescent, assis non loin tandis que la jeune fille elfe décochait un regard de dégoût et de colère mêlés à Vorshek en s’éloignant. Tu me fais tellement pitié que je crois que je vais renoncer à te voler ta bourse, finalement.
- Fort bien, humain insolent. Du coup, tu peux arrêter de jongler avec et me la rendre ?
- Tu essayais de draguer ces filles, sérieux ? Ma parole, tu sors de prison ou t’as été élevé par des orcs ? Il faudrait au moins être le fils du seigneur pour avoir une chance avec une approche pareille et encore, j’ai entendu dire qu’il n’était pas intéressé par les femmes.
- Plait-il ?!
s’exclama Vorshek, encore plus vexé. Mais peut-être que le fils du seigneur n’arrive à rien avec les filles parce que toutes ses suivantes, ses amies et les filles de nobles qui composent sa cour sont terrifiées à l’idée de prendre la virginité de l’enfant doré et unique de Dame Elenwë, réputée pour ses fureurs apocalyptiques ! Peut-être que cet héritier en a ras la pointe des oreilles d’être encore vierge à près de quarante ans et qu’il serait prêt à faire n’importe quoi pour rencontrer, et surtout faire, l’amour, allant jusqu’à empoisonner son percepteur et fuir jusqu’aux quartiers les moins reluisants du Karak pour rencontrer, et surtout se faire, des filles moins effarouchées !
- Génial,
soupira l’adolescent. Ça faisait bien une heure que je n’avais pas croisé un bon gros barjot des familles.
- Navré, je m’emporte. Je suis juste un peu…à cran. Dis-moi, mon ami, Tu aurais une sœur ? Non, oublie, tu es trop moche et elle aussi sans doute…


Un cri traversa soudain la place et le jeune voleur sursauta brusquement en apercevant avec frayeur une bande de nains armés et furieux le montrer du doigt et se ruer sur lui. Tout en poussant des petits cris aigus de souriceau émasculé, il s’enfuit en toute hâte, ses poursuivants aux trousses. La panique dirigea ses pas vers la mauvaise route et il se retrouva acculé dans une impasse.

- Tu es fait comme un rat, vaurien ! s’écria le chef des bandits en lui coupant toute retraite. Ce quartier est le nôtre et si tu refuses de payer la taxe ou de le quitter, comme promis, on va t’arracher les boyaux et…Sérieux, tu peux arrêter deux secondes de couiner, on ne s’entend plus menacer ?
- Pardonnez mon intrusion dans vos chaleureuses retrouvailles,
fit Vorshek en approchant, ayant suivi la troupe. Je récupère juste ma bourse des mains de ce voyou.
- Cette bourse nous servira de dédommagement,
répondit le nain en montrant les dents, enfin les trois qui lui restaient, ainsi qu’un canif graisseux et rouillé. Donne tes fringues trempées, poule mouillée. J’aime pas ta face de constipé, le puceau !

Vorshek se raidit, afficha un sourire diplomate crispé, puis explosa le gang des racketteurs d’une cuisante boule de feu.

- Doux seigneur, même ces pouilleux sont au courant, grommela le magicien en reprenant la bourse que l’adolescent tremblotant lui tendait.
- Tu m’as sauvé la peau ! jubila ce dernier en sortant de sa cachette et en dansant au milieu des cadavres calcinés. Mon grand-père me tanne la mienne à propos de l’honneur donc je vais t’aider à trouver une fille pas trop moisie à culbuter. Suis-moi, je connais bien ce quartier. Au fait, moi c’est Al, je suis rôdeur.
- En quoi consiste la profession de rôdeur dans une forteresse naine située à l’intérieur d’une montagne ?
questionna Vorshek, curieux.
- Je ne sais pas, personne n’a su bien m’expliquer. Mais c’est clair que ça fera de moi un grand héros un jour ! Rôdeur, c’est mystérieux, c’est troublant, ça claque non ?
- Voler des bourses et fuir l’ennemi, c’est mystérieux ?
- Tu veux une fille ou pas ?
- Je te suis, Al le troublant.


L’adolescent mena son nouvel ami à travers le dédale de ruelles glauques et sombres jusqu’à la taverne de l’Ours Qui Poque. La salle principale était bondée de nombreux groupes de mineurs, des cueilleurs de champignons et des ouvriers des forges. Plusieurs naines aguichaient les clients encore assez lucides pour lever le nez de leur chope ou dansaient sur des estrades au son d’une musique envoûtante provenant d’un groupe elfe, dans un coin.

- C’est un bouge et un bordel, déclara Vorshek, dépité. Il me semble nécessaire de te signaler que malgré mon affligeante virginité, je dispose encore de trop d’amour-propre pour monnayer ce que je suis venu quérir.
- Une fille gratuitement ?
éclata de rire le rôdeur. Purée de champis, c’est vrai que tu connais rien aux femmes !
- En plus, il n’y a que des naines,
se plaignit le magicien. Je ne gaspillerai pas mes plus précieuses trente secondes à venir avec une naine enrobée et vulgaire. Je veux de la grâce, du charme, de la douceur.
- Tout ça viendra après le cinquième godet, crois-moi.
- Que penses-tu de la ménestrel là ? Elle est aussi belle que désirable !
- Sulfura la Pointeuse ?
fit Al en suivant le regard de Vorshek jusqu’aux musiciens. C’est une garce et une canaille ! Elle dévalise les niais de ton style qui l’approchent après les avoir égorgés au fond d’une ruelle ! Crois-moi que le jour où je fonderai un groupe de braves aventuriers en quête de gloire, je colle mon pied au derche du premier barde qui postule !
- Je la trouve néanmoins fortement à mon goût,
insista Vorshek.
- Fais comme tu veux. Je te garde ta bourse pendant que tu vas lui parler…Par sécurité.
- Lui parler ? Je n’ose pas.
- T’es un homme ou pas ?
- Non, je suis métis elfe et nain.
- Non, mais tu es adulte ou pas, je veux dire ?
- Pas vraiment, j’ai juste quarante ans. On n’est pas sérieux quand on a la quarantaine.


Une elfe en robe de cérémonie surgit soudain dans la salle et se jeta sur Al après l’avoir repéré et foudroyé du regard. Hébété, Vorshek regarda la jeune beauté au visage empourpré par la colère se tortiller contre l’humain en essayant de se relever.

- Prends-moi comme disciple ! s’entendit supplier le sorcier en larmoyant.
- Ilurya ? demanda Al, surpris.
- Toi ! éructa l’elfe en commençant à étrangler l’adolescent. Je déteste ce Karak de débiles ! Pourquoi j’ai quitté ma clairière enchantée ?! L’auberge où tu m’as conduite m’a braqué tout mon paquetage, on m’a peloté les fesses douze fois dans la rue ce matin, un prêtre chauve m’a poursuivi en me caillassant sur trois pâtés de cavernes, j’ai échoué à mon test d’embauche comme apprentie d’Elenwë parce qu’elle a trouvé ma robe trop laide, j’ai marché dans le crottin d’âne qu’un nain bizarre et hilare promenait dans un tunnel et j’ai été prise en chasse par un gang de coupe-jarrets qui ont mal supporté mon refus d’embrasser la carrière de danseuse seins nues dans leur bistrot puant ! Pourquoi est-ce que je t’ai engagé, pauvre tarte ?!
- Vous avez passé une épreuve pour devenir l’élève de Mère ?
interrogea Vorshek, fasciné par la jeune fille. Et vous l’avez raté ? En même temps, c’est vrai que votre robe est moche, vous devriez l’ôter. Maintenant.
- Mère ?!
répéta Ilurya, stupéfaite et méfiante. Tu prétends être le fils de cette mégère ?! Al, est-ce qu’il dit vrai ?!

L’adolescent étranglé et suffocant indiqua son ignorance d’un geste mou de la main. La mage lâcha le rôdeur livide et bavant pour inspecter de plus près les traits de Vorshek, livide et tout aussi bavant.

- Tu possèdes ses yeux, ses cheveux et ses traits nobles, ne put que constater la mage forestière. Par la croupe de la louve blanche ! Tu dis donc vrai ! Mais que fais le fils du seigneur dans ce troquet sordide ?
- Il cherche à se farcir…
commença Al avant d’être malencontreusement piétiné par Vorshek.
- À me farcir une bonne plâtrée de champignons en compagnie des gens de mon peuple, répondit le demi elfe. Ainsi Mère a refusé votre candidature ? Racontez-moi ça, je suis suspendu à vos lèvres…
- Je me nomme Ilurya Narmochòn, druidesse du Cercle Primaire,
se présenta la jeune fille, manifestement impressionnée.
- Cercle Primaire, c’est le mot propre pour dire magie des bosquets, expliqua Al en massant sa gorge écrabouillée, soigner la patte d’un piaf, faire pousser une fleur, la magie de bouseux, quoi.
- Je suis une sorcière accomplie !
protesta Ilurya. La rumeur parlait d’une elfe, ancienne protectrice d’une forêt, épouse d’un seigneur de Karak. J’ai quitté mes bois pour lui demander de m’enseigner son art.
- Je croyais que tu voulais aussi voir la tronche du seigneur qu’elle avait épousé, histoire de déconner ?
demanda Al en s’asseyant avec le couple.
- Haha, c’était pour plaisanter, répondit la jeune elfe mal à l’aise devant Vorshek. Je n’oserai jamais porter un jugement sur un seigneur de Karak ou son épouse et encore moins pour m’en gausser. Tu veux bien te barrer ?
- Oui, Al, tu veux bien te barrer ?
demanda également Vorshek, sous le charme.
- Ilurya a débarqué au Karak avant-hier, poursuivit le rôdeur en commandant une bière. Tu parles qu’avec sa touche de provenciale avec son bâton à clochettes et les fougères aux bottes, elle s’est directement faite racketter.
- Par toi…
fit l’elfe avec un sourire hostile.
- C’était de bon cœur pour éviter que d’autres plus violents ne le fassent. On a tout de suite sympathisés et elle m’a engagé pour lui servir de guide dans la ville.
- Tu as gémis et supplié pour que je t’engage. Et tu as conservé mon bâton en gage. Mais tout ceci n’a servi à rien, Dame Elenwë ne m’a accordé qu’un bref regard. Cette robe grotesque que tu m’as convaincue de porter m’a tout de suite éliminée !
- C’est curieux, je l’avais pourtant empruntée à la servante d’une famille noble.
- La robe n’y est pour rien,
intervint Vorshek en caressant la main d’Ilurya. Mère a déjà un disciple : moi-même. Mais peut-être pourrais-je parvenir à la convaincre de vous enseigner quelques tours ou de vous confier l’un de ses grimoires.
- Ce serait vraiment très noble de votre part, prince,
répondit la druidesse en rougissant. Je vous serai grandement redevable d’une telle faveur, gran-de-ment redevable.

La jeune elfe papillonna timidement des yeux en affichant un fin sourire enjôleur. Un soupir langoureux s’échappa de ses lèvres entrouvertes tandis qu’elle recoiffait une mèche d’un geste lent et calculé. Sous la main de Vorshek, ses doigts lui rendirent ses caresses. Le semi elfe se leva brusquement, empourpré et bafouillant.

- Je vais chercher son grimoire ! parvint-il à dire. Ne bougez pas. En courant comme un dératé et en calcinant ceux qui se mettront sur ma route, j’en ai pour un instant. Damoiselle Ilurya, je…vous…Vous voulez que je vous ramène une collation, une boisson, de l’or et des bijoux au passage ?
- Redevable à quel point ?
interrogea Al quand Vorshek fut sorti en trombe de l’auberge, renversant une serveuse, deux mineurs et une table proche, ce qui déclencha un début de bagarre entre clients.
- Jusqu’à ce à quoi tu songes et lui aussi, manifestement, répondit la magicienne avec un sourire amusé. Je lui dois bien ça après le tour pendable que je vais jouer à sa pimbêche de mère. Non seulement je vais apprendre bien davantage de sorts que prévu grâce au grimoire qu’il va me rapporter mais en bonus pour punir maman la garce, je vais prendre la virginité de son précieux garçon. En tant qu’elfe, je connais l’attachement que porte une mère elfe, noble de surcroît, à la pureté de sa descendance.
- D’accord,
acquiesça Al. Je ne te dénoncerai pas, j’ai gagné une bourse et fait connaissance avec un rupin haut placé. J’ai ma part.
- Et je ne te changerai pas en crapaud comme je l’avais prévu car tu m’as permis de rencontrer Vorshek. En revanche, tu peux me rendre mon bâton à grelots à présent ?



- Il rouvre les yeux ! s’exclama Al, presque hystérique. Il a survécu ! Cerise, tu me dois dix pièces d’argent.
- Bien sûr qu’il a survécu,
fit une voix féminine que Vorshek ne parvint pas à reconnaître dans les brumes de son éveil pénible, mais qui lui paraissait étrangement familière, très familière. Je suis quand même druidesse accomplie, même si je vis dans une grotte pourrie au fond des bois…Comment Gonzague ? Oui, pardon, elle est bien moins pourrie maintenant que vous l’avez astiquée du sol au plafond…depuis trois jours…Quatre fois d’affilée…

Vorshek, faible et vaporeux, tourna la tête pour inspecter les alentours. Il tenta de s’étendre sur le dos, mais une brutale douleur semblable à un coup de poignard entre ses omoplates l’en empêcha. C’est là qu’il se souvint de la flèche reçue durant sa fuite du campement de Tynfir.

- T’es sûre qu’il ne va pas claquer ? demanda Al en se penchant au-dessus de son ami tandis que Cyril le payait. Il a vraiment une sale gueule. On dirait Gonzague avec la grippe, un lendemain de cuite à la liqueur de musaraigne.
- Il veut peut-être du pâté de hérisson ?
avança Cerise en tendant une tartine sous le nez de Vorshek. Mince, il va dégobiller ! Je veux récupérer mon argent !
- Eloignez-vous, tous les deux !
les chassa l’inconnue en prenant l’argent au passage. La gueule en friche, c’est rien. Ma magie l’a sauvé, il vivra. Et vous me devez encore vingt pièces d’or.
- Ilurya ?!
murmura Vorshek en reconnaissant l’elfe au style épouvantable de sa robe et aux fougères en décorations aux épaules.
- Salut, l’étalon ! répondit la sorcière. Ne bouge pas trop. Ta blessure n’est pas encore refermée. Tu me vois donc navrée de ne pouvoir te mettre sur le dos. Une nouvelle fois. C’est bon, vous autres. Il va s’en sortir.
- Pourquoi es-tu si affirmative ?
demanda Gonzague, au loin.
- Il vient de reperdre connaissance et sa main est encore cramponnée à ma fesse droite, l’informa Ilurya d’un ton blasé.






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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 14 Nov - 22:11

Episode 142 – La Druidesse Taquine

Al, près du feu, aiguisait mécaniquement les lames de ses poignards, le regard perdu au milieu des flammes. Gonzague s’entraînait dehors sous la pluie, massacrant un élémental de boue passif à coups de hache. Ilurya préparait un onguent aux plantes et aux racines que lui pilaient Cyril et Vorshek, comme à son habitude, dormait. Le rôdeur songeur fut rejoint par Cyril qui s’assit à ses côtés. Constatant que son compagnon paraissait perturbé, le barde se rapprocha et commença à lui parler.

- « Une histoire lointaine raconte l’épopée d’un humain, héritier du trône qui était devenu rôdeur pour fuir ses responsabilités et la malédiction de sa lignée. Il trouva des alliés inattendus dans sa quête, de modestes hobbits ni aguerris, ni expérimentés. Mais ce fut aux côtés de ces êtres maladroits et humbles qu’il retrouva la foi. La vaillance et la volonté de ces petites créatures insignifiantes lui rendirent son courage et son estime. Et après leur quête périlleuse contre les ténèbres, c’est glorieux et victorieux que cet humain, ce rôdeur sinistre, revint auprès des siens où il fut couronné roi. Grâce à l’indéfectible fidélité de simples mais loyaux hobbits. »

Les yeux luisants, Cyril posa délicatement la main sur l’épaule de Al et lui murmura d’une voix profonde et sereine, son regard pénétrant planté dans le sien.

- « C’est dans l’affection de tes compagnons d’aventure que tu trouveras la force nécessaire qu’exige notre quête. »
- « Tu ne profiterais pas du fait que Vorshek soit dans les choux pour te rabattre sur moi et me draguer outrageusement par hasard ?
» interrogea Al en virant la main du hobbit à la pointe de son arme.
- « Ça fait dix jours qu’on est coincés ici qu’avec des filles et je n’ai plus le droit de changer les pansements de Vorshek parce qu’il parait que mes doigts dérapent trop au sud de sa blessure », maugréa le barde. « C’est pas que ça me fasse plaisir, mais il ne reste plus que toi à tenter ! »
- « Curieusement, c’est loin d’être la première fois que l’on me dit ça
», soupira Al, pensif.
- « Vorshek est réveillé », annonça Ilurya sans lever la tête de son ouvrage.
- « C’est vraiment une grande sorcière ! » s’exclama Cyril en constatant qu’elle ne s’était même pas retournée.
- « Bof, non, c’était facile à deviner », répondit la sorcière lasse. « Il a récupéré de son pouvoir et s’exerce à soulever ma robe par télékinésie depuis deux minutes. »

Tout le monde se leva pour rejoindre Vorshek, à présent réveillé et assis sur sa couche. Seule Gonzague refusa d’approcher plus loin que le seuil de la caverne, mais interrompit néanmoins son entraînement, permettant au golem de boue massacré de se régénérer un peu.

- « Nous sommes sur ton domaine ? » interrogea Vorshek quand Ilurya s’approcha. « Vous avez voyagé jusqu’aux bois de l’Opossum Edenté ? »
- « Avec la piétaille qu’on avait aux basques, ce n’était pas plus mal de marcher vite et loin
», le renseigna Al, appuyé par les acquiescements approbateurs de Cyril. « C’est quand ta blessure a commencé à suinter jaunâtre que j’ai pensé à Ilurya pour te soigner. Tu peux nous remercier parce que pour te trimballer poursuivis, on s’est bien cassés le cul avec Cerise ! »
- « Pardon ?!
» s’exclama Vorshek, stupéfait. « Vous vous êtes quoi tous les deux ?! »
- « Juste une expression
», clarifia le rôdeur, tant pour Vorshek que pour Cerise qui émettait déjà des roucoulements. « Une expression fort mal choisie. »
- « Et Hjotra ? Et Gonzague ? »
- « On a paumé Maître Hjotra dès le campement de Tynfir. Et Gonzague a commencé à sérieusement tirer la tronche au troisième jour d’une chasse à l’homme sanguinaire dont nous étions le gibier, à moins que ce ne soit à la quatrième attaque nocturne, celle après la huitième embuscade et le piège dans les marais aux sables mouvants…Bref, elle fait sa fille, elle tire la gueule. »
- « C’est pour ça qu’elle reste dehors ?
» demanda le magicien.
- « Non, ça, c’est à cause de moi », répondit Ilurya en baffant Al. « Je t’expliquerai… »
- « Je te dois la vie alors
», dit le semi elfe en inspectant son bandage. « Je n’aurais jamais cru que tu m’aiderais après la colère de Mère à ton encontre. Merci Ilurya. »
- « Un remerciement et une partie de ta bourse me suffisent en signe de reconnaissance, il n’est donc pas nécessaire de me tripoter la cuisse
», gronda l’elfe en piquant la main de Vorshek avec l’une des lames de Al. « Remercie aussi tes compagnons et surtout le destin. Tu n’aurais pas du survivre à ce poison. »
- « La flèche était empoisonnée ?!
» s’exclama le demi elfe.

Ilurya tendit sa main et désigna ses doigts. Cyril poussa aussitôt un cri d’horreur et de dégoût.

- « Oh, mazette, ma grande ! Mais tu ne pratiques donc jamais de manucure ? »
- « Ce n’est pas cela que je voulais vous montrer…
» grogna la sorcière.
- « Oui, je vois », fit Al. « C’est moche. T’as les doigts tout tordus et vachement grêles. J’avais un pote artiste au Karak qui récurait et gravait des bibelots en os de vache. Il faisait tout à l’ongle. Mais c’était pas aussi dégueu que ça. »
- « Je pensais que vous les auriez remarqués du fait de la ressemblance avec vous, mais ce sont ces tâches qu’il faut regarder. Elles me sont apparues quand j’ai soigné la plaie de Vorshek. La couleur violette sur ma peau ne trompe pas, la flèche était imprégnée de poison elficide. C’est ton aspect physique qui a trompé ton agresseur. Il ignorait que tu n’étais elfe qu’à moitié. Ta partie naine extrêmement résistante t’a permis de survivre. »
- « Les nains, c’est pas des estropiés des burnettes !
» clama fièrement Gonzague depuis l’entrée.
- « Mais pourquoi est-ce qu’elle reste dehors à se tremper le melon, elle ?! » s’exclama Vorshek. « Al a laissé ses bottes dedans ou quoi ? »
- « Elle a du mal à rester près de moi
», avoua Ilurya d’une voix ténue. « Et je ne peux lui en vouloir, connaissant sa plus irrépressible phobie. »

La jeune elfe afficha un sourire triste et retira lentement la capuche qu’elle n’avait pas quitté un seul instant. Avec horreur, Vorshek découvrit la masse grouillante de serpents remplaçant la chevelure de la druidesse. Au loin, Gonzague poussa un gémissement criard et alla se soulager en massacrant l’élémental impassible en trépignant de dégoût.

- « Quoi ? » demanda Ilurya à Vorshek qui avait bondi en arrière sur sa couche. « J’ai raté ma permanente ? »
- « Soit ton onguent a des propriétés hallucinogènes et je t’achète le stock, soit tu as des serpents à la place des cheveux. Mais je croyais que l’enseignement druidique te plaisait ! Tu as tout laissé tomber pour te spécialiser gorgone ou bien ?! »
- « Je ne change personne en pierre du regard, je te rassure. Enfin pas volontairement et uniquement durant mes crises de somnambulisme, en été.
»

Cyril et Al se tournèrent vers la ravissante statue de voyageur servant de portemanteau avec la même expression perplexe.

- « Cette chevelure est la punition de ta Mère pour t’avoir…pour la fois où nous avons…pour t’avoir déniaisé et optionnellement pour lui avoir endormi son grimoire », raconta Ilurya en remettant sa capuche.
- « Mais c’est horrible, je l’ignorais ! Et moi qui pensais naïvement que tu gardais ta capuche pour te donner un style urbain, moins paysan que le reste de tes habits, de ta décoration d’intérieur ou de tes manières. Mais cette profusion de reptiles venimeux n’occasionne-t-elle pas quelque gêne dans ton épanouissement social et amoureux ? »
- « Je suis une sorcière vivant dans une grotte minable au fond d’une forêt hostile et paumée ! Les amis qui viennent me rendre visite, c’est toi à demi crevé sur le dos de Al, une armée au derche, un hobbit, à son derche aussi d’ailleurs et une naine qui a voulu me trépaner deux fois et a pillé mon garde-manger pour évacuer son stress ! Quant aux amours, ça fait bien dix ans et notre folle demi minute d’amour que je n’ai pas connu d’hommes. On peut le dire, le style sang-froid mortels en guise de chevelure ne doit pas jouer en ma faveur. »
- « Aucun en dix ans ?!
» s’écria Vorshek, médusé.
- « Y a bien eu deux trois crèves la faim de passage qui ont tenté le coup, mais les serpents leur mordaient toujours les fesses. Au fond, ces petites bêtes, c’est pratique dans le sens où je ne suis pas dérangée par les rongeurs, mais c’est pénible pour faire des rencontres et les fois où elles tombent ou que je les sème dans mon lit, dans le bain, partout dans la caverne… »
- « J’ai soudain de vives palpitations
», déclara Cerise en surveillant avec terreur le sol de la grotte. « Je vais rejoindre Gonzague ! »
- « Ta magie ne te permet-elle pas de lever la malédiction ?
» demanda Vorshek tandis que Al se hissait par sécurité sur la statue portemanteau.
- « La malédiction sera levée si un preux jeune homme accepte d’embrasser chaque serpent », confia l’elfe d’une voix rendue fluette par l’émotion et la détresse. « Quelqu’un de valeureux, de courageux, m’aimant suffisamment ou ayant contracté une dette vitale envers moi… »

Vorshek blêmit et simula tout à coup une fulgurante crise de douleur pour justifier un soudain évanouissement. Ilurya lui pinça le flanc jusqu’à ce qu’il se redresse.

- « Je déconnais, mon prince », avoua-t-elle en riant. « Je voulais voir ta réaction si…masculine. Seule la magie de ta mère ou une équivalente en puissance peut venir à bout de mes serpents. »
- « Je lui demanderai bien de te pardonner, mais je crains que nous soyons dans l’incapacité de rallier le Karak à l’heure actuelle. Nous sommes bannis. »
- « Est-ce que ça a un lien avec la troupe de drows en armes qui sillonne ma forêt à votre recherche et que je tiens à distance en camouflant la caverne derrière un sort d’illusion ?
» interrogea la jeune elfe. « A moins que ce ne soit lié avec la fuite précipitée et dénuée de raison du campement de cette Tynfir comme l’ont racontés tes amis ? Ou alors, je fais fausse route et c’est en fait en rapport avec le sceptre enchanté que tu gardais planqué dans tes sous-vêtements ? »
- « C’est le Sceptre du Roi qui commande à l’armée des mort-vivants que Tynfir a lâché sur le pays de Rous, son voisin ennemi
», se justifia Vorshek. « C’est parce qu’en fait, elle a manipulé tout son peuple pour légitimer l’invasion et rassembler des alliés afin de quérir des artefacts enchantés. Mais ils n’étaient pas destinés à soigner son père qui en vérité était déjà mort par sa main, mais plutôt pour le ressusciter grâce à un rituel maléfique afin qu’il lui cède le Sceptre. Au final, elle l’a tué de nouveau, m’a repoussé parce qu’elle était déjà fiancée à un seigneur drow et a envoyé son armée de squelettes antiques ranimés détruire le peuple de Rous. Donc, avec l’aide de Maître Hjotra, je lui ai dérobé le Sceptre. On a fui, poursuivis et c’est comme ça que j’ai reçu cette maudite flèche. Tu visualises un peu mieux là ? »
- « Comme dirait Maître Hjotra
», cita Al depuis son perchoir, « j’ai rien compris ».
- « C’est clair !
» lança Cyril. « Hjotra, sors de ce corps. Si quelqu’un doit y pénétrer, que ce soit moi, après tout ! »
- « Je crois qu’il va falloir détailler
», résuma Ilurya avec un franc sourire. « Alors comme ça, tu t’es épris de cette fameuse Tynfir. Comment était-elle ? Plus jolie que moi ? Pff, c’est facile sans reptiles sur le crâne aussi ! »
- « Je ne peux pas vous raconter
», murmura Vorshek, le visage fermé et les mâchoires crispées.
- « Es-tu sous le coup d’un sortilège de Châtiment si tu divulgues la vérité ? » s’alarma Ilurya.
- « Il conserve le silence pour nous épargner ! » s’exclama Cyril, admiratif. « Il sait que nous révéler les sombres manigances de Tynfir pourrait nous mettre en danger ! »
- « Peut-être sa blessure a-t-elle affecté sa mémoire ?
» proposa Gonzague.
- « Non », répondit lentement Vorshek en se redressant, une main sur le ventre. « Je ne peux pas vous raconter parce que là, tout de suite, j’ai un énorme besoin naturel à satisfaire ! Maintenant ! Par la délicatesse de ma peau de pêche, je dois en poser une ! Qu’est-ce que vous m’avez fait manger ?! »

Ilurya, dépitée, tendit au semi elfe un pot de chambre tandis que les Dragons qui roxxent battaient en retraite, chassés par Vorshek, à présent écarlate et tremblotant. Un peu plus tard, le magicien de nouveau disponible, rayonnant de l’expression du devoir accompli et enivré des saveurs de la délivrance, rejoint le groupe qui se réunit pour écouter son récit de la trahison de Tynfir.

- « Cet artefact est l’unique moyen de contrôler l’armée des mort-vivants invoqués et d’en réveiller d’autres », conclut Vorshek en montrant le Sceptre du Roi. « Tant qu’elle en est privée, Tynfir est impuissante, mais mettra sans doute tout en œuvre pour le récupérer, d’où la présence de ses chiens de chasse à nos trousses. »
- « Que comptes-tu faire, maintenant ?
» demanda Ilurya, rompant le lourd silence du groupe.
- « Prendre un bain aux pétales de rose et à l’extrait de fleurs de camomille. Ma peau est dans un état lamentable et j’ai un teint affreux ! »
- « Je pensais plutôt au Sceptre et à Tynfir…
»
- « Je ne sais pas trop », admit le semi elfe. « J’ai agi très impulsivement en le dérobant. Je ne souhaite pas le garder, mais si on s’en débarrasse, Tynfir risque de remettre la main dessus. Et je ne désire pas que cela arrive. »
- « Ce sceptre représente en effet un grand péril pour le pays si elle venait à s’en emparer à nouveau
», commenta Cyril.
- « Oui aussi. Mais c’est surtout pour bien faire chier cette sale garce. »
- « On pourrait le planquer, ce serait fendard de la voir courir partout après
», déclara Al. « Mais il serait beaucoup plus bénéfique qu’on le vende ou qu’on l’échange contre un autre objet magique à troquer contre notre billet de retour au Karak. »
- « Non, abruti !
» fit Gonzague. « Tynfir risquerait de le récupérer tôt ou tard et de nous le remettre en travers de la gueule ou de nous le coller bien profond dans le… »
- « J’ai une bien meilleure idée
», l’interrompit Cyril, en pleine réflexion. « Un masque à base de fleurs de sureau ou de feuilles de romarin ferait un bien fou à ta peau, Vorshek. »
- « Si je peux me permettre
», déclara Ilurya en lançant un regard de biais à Cerise, « si vous n’êtes pas encore fixés à propos de ce sceptre, je connais un sage, érudit et puissant, qui saura vous conseiller justement. »
- « C’est ce que tu crois que nous devrions faire ?
» demanda Vorshek en examinant les différents sachets de sels de bain que lui proposait Cyril.
- « Je pense que vous êtes des demeurés inconscients et complètement dépassés ne réalisant pas une seconde dans quelle gueule de dragon votre nullité absolue de réflexion peut vous entraîner. Mais ce n’est qu’un humble avis personnel. »
- « Un sage ?
» songea Gonzague à voix haute. « Hum, les ancêtres peuvent être de bon conseil. Tant qu’ils ne sont pas encore complètement gâteux et ne reniflent pas trop le périmé. »
- « Un érudit saura certainement quoi faire de cet objet
», acquiesça Al, séduit par l’idée. « Au mieux, on le lui refourgue en se faisant un méchant bénéfice, au pire, on pourra s’en servir de bouc émissaire si Tynfir et ses bouffons débarquent à l’improviste. »
- « Où se trouve ce sage ?
» interrogea Vorshek.
- « Loin, mais votre chance insolente ayant mis sur votre route une druidesse qualifiée et ô combien serviable, vous pourrez y être en un éclair grâce à un sort de portail enchanté. »
- « Cette druidesse, tu la connais ?
» plaisanta Al avant de prendre une pichenette dans les dents.
- « Tu vas encore nous aider ? » s’étonna Vorshek. « Que désires-tu de nous ? »
- « Déjà que tu enlèves ta main de ma cuisse. Pour le reste, disons que si ta mère apprend que je t’ai aidé, elle me sera redevable. Et si tu claques pendant la mission à laquelle j’ai participé, ça la gonflera encore plus. Je suis gagnante à tous les coups ! »
- « Voilà qui me rassure grandement
», soupira le semi elfe sans parvenir à deviner si Ilurya plaisantait ou pas.
- « Partons tout de suite ! » lança la jeune elfe avec entrain. « Le vieux chêne dehors nous servira de portail. En le traversant, nous arriverons directement chez le sage. Emportez tout votre matos, on ne revient plus ici et je lève l’illusion qui cache la caverne. »
- « Je peux emmener mon golem ?
» supplia Gonzague. « Je peux le latter à loisir, il couine moins que Al et dure bien plus longtemps ! »
- « Je t’en offrirai un autre
», promit Ilurya d’un air malicieux. « J’ai un bon usage pour celui-ci… »

Kerttu émergea lentement des ombres de la forêt et observa l’entrée de la grotte. Lui et ses chasseurs n’étaient jamais venus dans cette clairière, il en était absolument certain. Leurs proies se terraient là, de cela aussi il était persuadé. Le drow avait poursuivi les fuyards jusque dans ces bois qu’il sillonnait de fond en comble depuis plus d’une semaine. Ils n’avaient pu aller ailleurs. La traque touchait à sa fin.
Le sinistre assassin déploya ses guerriers avec discrétion et prit leur tête jusqu’à la caverne. Une silhouette était visible près de l’entrée, à l’abri derrière un contrefort rocheux. Il devait s’agir d’une sentinelle en faction se croyant en sécurité à ce poste. Kerttu afficha un sourire mauvais. Ce soir, il pourrait annoncer à sa promise la mort de ses ennemis et il pourrait obtenir d’elle, en plus de ses faveurs, tout ce qu’il voudrait en échange du sceptre magique. L’elfe noir dégaina ses longs coutelas et fondit sur sa cible qu’il lacéra mortellement de deux passes parfaitement exécutées. Kerttu s’aperçut qu’il s’agissait d’un golem lorsque celui-ci implosa sous l’impact, recouvrant l’elfe noir stupéfait des pieds à la tête d’une mixture horrible. En le mélangeant à la boue de sa créature, Ilurya avait trouvé un usage fort à-propos du contenu du pot de chambre de Vorshek. Kerttu le comprit bien en essuyant son visage souillé, ses compagnons, eux, surent se contenter de la soudaine et ignoble odeur.
Déserte, la caverne renvoya l’écho strident des hurlements de colère du tueur.

Bilan de la mission :
Vorshek : Transit intestinal +1
Al : Peur des portemanteaux +1
Gonzague : Chasse à la naine +1
Ilurya : Hospitalité +1
Cyril : Gestion de la solitude -1
Expérience acquise : Médiocre

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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 21 Nov - 23:12

Episode 143 - La Destinée du Serviteur Céleste

Arzhiel fixa le balcon de la Salle du Conseil avec appréhension mais détermination. Les clameurs de la foule venue l’écouter et réunie sur la place principale lui parvenaient sans interruption depuis toute la matinée. Toute la population du Karak avait répondu à son appel en ces temps troublés. Le seigneur nain, soudainement nerveux, passa pensivement la main sur ses lèvres sèches. Il devait paraître fort devant ses sujets, inébranlable comme un roc malgré les événements. C’est donc d’un pas ferme qu’il s’engagea vers le balcon, avant de se prendre les pieds dans un tapis et d’émerger devant le peuple complètement déséquilibré, en gesticulant, pour mieux s’écraser contre la balustrade en lâchant un juron.

- « Par les grelots à barbe de mon aïeule, Elenwë ! » gronda-t-il avec emportement. « Vous et votre manie de nous fourrer ces saloperies de tapis partout aussi ! Tout ça parce que vos congénères se trimballent en ballerines de danseuses ou pieds nus comme des clodos ou des sauvageons ! En plus, excusez-moi, mais il est super moche celui-là. C’est quoi les motifs ? On dirait des petites boulettes de crottes de mouton écrasées. Et vos tapettes d’artisans ne savent pas qu’on ne mélange pas deux couleurs primaires ? Vous allez me faire le plaisir de dégager ces nids à puces hideux de mon palais avant le déjeuner ou je délocalise la guilde des tisserands de vos petits potes dans les steppes glacées des orcs nordiques ! Bon, alors. J’en étais où ? »
- « Vous alliez vous adresser au peuple, monseigneur
», répondit Garfyon, vacillant entre la honte et le désespoir. « A leurs expressions, je pense que votre introduction a retenu toute leur attention. Originale, l’accroche avec les tapis. »
- « Peuple du Karak !
» enchaîna Arzhiel comme si de rien n’était. « Ainsi que les pauvres pommes étrangères pas chounardes qui sont venues nous visiter cette semaine. Notre cité est assiégée depuis plusieurs jours. Nous avons perdus tout contact avec l’extérieur et nos légions sont actuellement déployées aux portes de la montagne à repousser une invasion de mort-vivants. Il semblerait en effet que les rêves prémonitoires se soient révélés exacts.
Alors je tiens tout de suite à clarifier la situation. Non, par contre arrêtez de gueuler pendant que je parle, j’aime bien la plupart d’entre-vous et ça m’ennuierait de vous lâcher la milice aux miches. Les rumeurs issues d’un certain haut prêtre fanatique et barré de l’état-major comme quoi les morts se lèvent pour nous latter parce qu’on abrite des elfes, des roux et des gauchers n’est qu’un ramassis d’âneries. J’invite ceux qui en doutent à aller en débattre avec l’intéressé au cachot du troisième sous-sol.
Il n’est pas nécessaire de paniquer ou de commencer à piller les boutiques, sauf la taverne de mon cousin, allez-y de ma part, il me doit trois loyers. Nous avons des réserves conséquentes de champignons et de bière et les copains elfes du cercle des joyeux sorciers nous ont concoctés un sortilège de blizzard bien piquant qui ralentit la progression des mort-vivants à l’extérieur. Donc, je ne veux pas d’émeute ou d’heures de boulot séchées. Au turbin, bande de feignasses, sinon, hop, la milice encore une fois. Voilà, je vous aime, je vous protège, je vous tiens au jus et bonne journée. Ah non, attendez, encore une bricole !
La malédiction affectant les morts qui se relèvent pour attaquer les vivants, je vous prierai de reporter votre visite vers l’ossuaire, actuellement lieu de villégiature des berserkers. Et si jamais grande tata morte la semaine dernière ou le neveu protecteur mis en charpie par un ours la veille viennent vous voir, évitez les câlins de retrouvaille, je vous prie. Visez direct les chicots ou appelez la garde avant de vous faire connement becqueter. Merci de votre attention et…Mouais, la moitié a déjà mis les bouts, j’espère qu’ils ont compris le message, ces tanches. Garfyon, j’ai été clair, non ? »
- « Limpide, messire. Votre talent d’orateur est inné et unique et vos tournures de phrase, si personnelles. Cette idée de rassurer vos sujets en les menaçant avec la milice ou les prenant pour des pécores est simplement ingénieuse. »
- « D’accord, c’est bon, fermez-la
», ronchonna le seigneur de guerre en retournant vers son trône. « Je n’ai pas besoin de me faire vanner, je suis déjà marié. Puisqu’on parle de la famille et d’insulte, contactez Vorshek. Papa a deux mots à dire à son fiston… »

On mena au seigneur du Karak le cristal de communication tandis que ce dernier se hissait sur son trône en jetant un regard noir au tapis installé devant. L’un des sorciers elfes du conseil se hâta d’activer la magie du cristal avant qu’Arzhiel ne l’abîme à force de l’agiter frénétiquement pour l’allumer. Le contact fut établi avec les dragons qui roxxent. Ces derniers avaient installés un bivouac sur une corniche surplombant un paysages de ravins et de parois montagneuses déchiquetées.

- « Père ! » s’exclama Vorshek avec soulagement. « Je croyais ne plus jamais vous revoir ! J’ai été gravement blessé et j’ai failli perdre la vie lorsque… »
- « La prophétie de la vieille daube s’est réalisée !
» l’interrompit Arzhiel avec véhémence. « Une godiche d’humaine bien remontée a invoqué toute une armée de zombies moisis pour se venger de vous. On a distinctement reconnu votre nom entre deux injures. Qu’est-ce que vous avez glandé avec cette cruchasse qui…Quoi ?! Qu’est-ce que vous avez dit ?! »
- « Une nécromancienne furieuse ?!
» s’exclama à son tour Vorshek. « C’est Tynfir ! Elle cherche à m’atteindre en attaquant les miens. Hein ? Non, je disais juste que j’ai essuyé le tir belliqueux d’un archer et que je suis passé à deux doigts, tant de Tynfir, que de la mort. »

Arzhiel posa la main à plat sur le cristal enchanté et se tourna vers ses conseillers elfes, sourcils froncés.

- « Quand vous disiez que votre club de quiches en robe surveillait mon fils à chaque instant pour le prévenir de tout péril et qu’en cas de danger, vous invoqueriez un dragon pour voler à sa rescousse, c’était comme quand vous essayiez de me faire croire que l’étude de la botanique est utile et doit être financée, c’est du flan ? »
- « Pas du tout, messire !
» s’empressa de répondre l’un des mages apeurés et très embarrassés. « Nous sommes bien intervenus pour couvrir la fuite du seigneur Vorshek en appelant un dragon écarlate adulte à ses côtés avec ordre de le protéger. Mais la bête a mal apprécié la situation. Elle a confondu sa cible avec votre ingénieur, Hjotra, qui l’accompagnait dans sa fuite. C’est lui dont elle s’est emparée et a mené en lieu sûr…Par pitié, ne le dîtes pas à Dame Elenwë ! Je préfère m’ôter la vie qu’affronter dans son regard la colère et la déception à notre encontre. »
- « Ah, mais même vous, qui n’êtes ni nains, ni de mon état-major vous devenez des gros boulets ?!
» s’exclama Arzhiel, stupéfait, en tendant sa dague à l’elfe contrit. « C’est un virus, c’est pas possible…Du coup, les boulets en jupette, même traitement que le boulet standard : la moitié, direction les geôles, l’autre moitié, au front contre les cadavéreux dehors. Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir trouver comme punition pour un dragon bigleux ? »
- « Père, tout va bien ?
» appela Vorshek.
- « Oui, je réglais des détails…habituels. Alors comme ça, vous avez failli caner ? Comment c’était ? »
- « Douloureux, désagréable et incroyablement troublant pour mon biorythme. »
- « Lopette !
» lâcha Ilurya dans un toussotement.
- « Père, je vous présente Ilurya qui m’a sauvé la vie. Non mais là, crade, habillée comme un sac, avec la coiffure vipère des broussailles, c’est sûr ça donne rien. On dirait qu’elle revient d’un treck en forêt et qu’elle n’a pas trouvé de point d’eau de la semaine, mais je vous assure qu’une fois nettoyée, récurée et surtout effeuillée, elle est tout à fait comestible. »
- « Hé, mais je la reconnais, la Méduse là ! » fit Arzhiel. « J’ai dû partir batailler des humains toute une saison pour rester éloigné du Karak tellement elle avait mise Elenwë en pétard ! »
- « Toutes mes excuses pour la gêne occasionnée, messire
», déclara Ilurya sans en penser un mot.
- « Aucun souci, fillette. Même dans mes meilleurs jours, je n’avais jamais réussi à mettre autant mon épouse en rogne. Bonnet bas. Et puis, je te suis reconnaissant pour ce que tu as fait à Vorshek. Ça l’a vraiment décoincé du derche. Avant de prendre le sien, il était con comme ses pieds. »
- « Vous ne pouvez pas la fermer ?
» lança Al, couché plus loin. « Y en a qui essaient de dormir ! »

La troupe se tut un instant en regardant le rôdeur enfoui sous une fourrure profitant de la halte pour récupérer de leur pénible ascension à travers la montagne de la nuit dernière. Puis, Vorshek et Ilurya reprirent leur discussion avec Arzhiel, un ton plus fort et Cyril trouva le moment idéal pour répéter un nouvel accord de sa flûte.

- « Vous allez tout m’expliquer depuis le début », ordonna Arzhiel à son fils. « Je veux savoir pourquoi cette greluche osseuse est venue coller son armée périmée sur mon Karak. Envoyez aussi son adresse, j’ai trois ou quatre berserkers bien allumés qui souhaiteraient lui expliquer la diplomatie naine avec fers, chaînes et hache à double tranchant. Mais d’abord, vous êtes où là ? »
- « Au cœur des Fosses Sceptiques, au-delà du désert Dégobille, un peu à l’ouest des Monts Petits Pitons
», renseigna Ilurya quand Vorshek se tourna vers elle.
- « C’est à l’autre bout du continent et c’est le coin le plus paumé du monde. Je n’y enverrai pas un chien galeux ou même Svorn ! Qu’est-ce que vous avez encore fichu pour aller vous planquer aussi loin ?! »
- « Nous ne nous cachons, ni ne fuyons !
» rétorqua Vorshek, vexé. « Nous sommes venus quérir l’aide d’un sage susceptible de nous guider dans notre quête ! »
- « Le dernier sage que vous avez été interroger nous a pondu une prophétie bien naze et on s’est réveillés assaillis par des momies encore plus ridées que votre mère. Faîtes gaffe avec la sagesse. »
- « Ce sage-là ne risque pas de nous causer grand mal
», dit Ilurya d’un air gêné. « C’est lui, là. »

L’elfe orienta le cristal pour agrandir le champ de vision du seigneur nain. Au bout de la corniche était assis en tailleur un vieil humain boudiné, un toupet hirsute en guise de coiffure, les mains posées sur ses cuisses grasses et les yeux clos. On aurait pu le croire en pleine méditation et prêt à se réveiller, sauf qu’il était entièrement changé en pierre.

- « C’est bien celui que nous cherchions, le fameux sage Kauko », affirma Ilurya. « Il a pris la peine de laisser un mot pour ses visiteurs indiquant qu’il ne faut pas le déranger durant sa méditation durant les dix prochaines années. »
- « La vache, il est vraiment en pierre le vioque ?
» s’exclama Arzhiel, hébété.
- « En pierre tout partout », le renseigna Cyril. « J’ai bien vérifié, plusieurs fois même. »
- « Du coup, cela nous cause quelque désagrément pour établir le contact avec lui et lui exposer notre requête
», expliqua Vorshek, confus.
- « Changé en pierre », murmura Arzhiel, « ça c’est pas banal…A moi, vous pouvez le dire, je suis rodé niveau bouletterie de tout style… »
- « Non, ce n’est pas moi qui ai fait ça !
» le coupa Ilurya, usée de devoir se justifier encore une fois.
- « Je demandais, au cas où…Bon, puisque je ne peux pas sortir de chez moi et que vous avez une bonne décennie à poireauter, racontez-moi toute l’histoire. Et n’oubliez aucun détail. J’ai ma soirée de libre, c’était justement notre anniversaire de mariage avec Elenwë. »

Al se réveilla une nouvelle fois en sursaut, arraché à son sommeil non seulement par une voix nasillarde, mais encore par des piétinements insistants sur ses doigts.

- « Je la jouais paisible jusqu’à maintenant, mais une lourdeur pareille appelle des représailles sévères ! » grommela le rôdeur en s’étirant. « Va y avoir de l’eau de gourde avec un arrière-goût de pipi matinal et des chausses fourrées aux orties, ça ne va pas traîner ! »

Le jeune homme bondit sur ses pieds en jurant et regarda d’un air stupide le vieillard près de lui. Ce dernier ressemblait trait pour trait à la statue moche que les dragons qui roxxent avait découvert plus tôt, sauf que celui-ci était bien vivant et observait Al en silence tout en se grattant une aisselle. Vorshek, Gonzague, Ilurya et Cyril avaient disparus. Ainsi que le paysage rocailleux et chaotique et tout autre point de repère. Il n’y avait rien alentour, ni sol, ni ciel, ni montagne, ni ravin. Le monde s’étirait blanc et lisse comme un drap partout où portait le regard. Stupéfait, Al accueillit la nouvelle avec philosophie : il se rassit, puis se recoucha. Le vieillard lui asséna alors un autre coup de pied.

- « Tu es dans le monde onirique », caqueta-t-il de sa voix cassée. « Tu ne peux le quitter en te rendormant, tu dors déjà. »
- « Je parie que c’est encore Cyril qui s’est trompé de cible en essayant de droguer Vorshek
», déclara Al. « Attention, je ne voudrais pas vous paraître débile car je crois que je vais répéter ceci à plusieurs reprises mais : de quoi ?! Le monde onirique ? Pourquoi y a rien autour ? On dirait l’espace entre les oreilles de Maître Hjotra, sans les animaux. Et pourquoi vous ne faîtes plus le caillou, vous ? »
- « Tu n’écoutes pas, pas même ta propre voix intérieure, Aladin
», répondit placidement Kauko le sage. « Tu te trouves toujours auprès de tes compagnons et tu les rejoindras quand tu auras cessé de dormir. D’ailleurs, tu pourras leur demander de nettoyer avant de partir, vous avez dégueulassé toute la corniche en moins d’une heure. Ceci est le monde des rêves dans lequel a été appelé ton esprit. Par moi. Pour communiquer ensemble. C’est bien le but de votre visite, venir me parler, n’est-ce pas ? »
- « Le monde des rêves
? » répéta Al, pensif. « Si c’est le monde des rêves, pourquoi y a pas des gonzesses presque à poil qui se roulent dans la boue et des montagnes d’or ? »
- « Ce n’est pas ton rêve
», clarifia le vieil homme dépité. « Que désires-tu donc savoir alors ? Non tais-toi, tu jacasses comme une pie et débites ânerie sur ânerie. Je vais lire directement en toi, après tout, c’est ton esprit qui est ici. Voyons voir…Le Sceptre du Roi ? Oh, une quête difficile. »
- « C’est votre rêve alors ?
» demanda Al sans écouter. « Ça craint tout ce rien. Vous n’avez aucune imagination ? Ça doit être chiant à mourir dix piges ici… »
- « Je pourrais t’expliquer que pour atteindre l’illumination et un nouveau niveau de conscience, je dois sublimer mon esprit en me délestant une par une de mes pensées, mes envies, mes idées parasites, mais tu n’es qu’un benêt qui n’y comprendrait rien. Bref, le Sceptre ne peut être détruit. Pour annihiler son pouvoir et vaincre la malédiction de Tynfir, toi et tes amis devrez trouver la Perle Pure. Elle se trouve dans le saumon qui est dans la loutre, elle-même dans le corbeau dans le faucon qui elle, est dans la biche dans le loup dans l’ours. »
- « Je retire ce que j’ai dit sur les animaux
», fit Al en essayant de se réveiller en se pinçant.
- « La Perle Pure est l’unique moyen de sauver le monde que vous avez menacé de destruction par négligence et ignorance », annonça le sage. « A présent, lis ça. En entier. »

Le vieillard replet fit apparaître un lourd grimoire d’un claquement de doigt et le lança dans les bras du rôdeur qui maintenant, s’assénait de brutales baffes.

- « C’est quoi ? Les Saintes Ecritures ? Ça a un rapport avec le Sceptre et la Perle dure ? »
- « Perle Pure
», soupira Kauko. « Non, aucunement. Cet ouvrage n’a de lien qu’avec toi, ton âme et ta destinée. Lis. Nous parlerons ensuite. »
- « Le bouquin fait juste huit cent pages !
» protesta le jeune homme. « Je ne vais pas me coltiner tout le grimoire ! J’en ai pour trois ans rien que pour comprendre ce que je lis ! »
- « Le temps s’écoule différemment ici
», répondit le vieillard d’un air débonnaire. « Lis. »

A contrecoeur, Al s’exécuta. La lecture fut lente, pénible et peu supportable mais ni les gémissements, ni les suppliques, ni les menaces du rôdeur ne réussirent à convaincre le sage d’arrêter ce tourment pour le réveiller. Lorsqu’enfin Al referma l’épais ouvrage, une éternité semblait s’être écoulée alors qu’il n’en était rien.

- « Tu as connu bien des émotions primordiales à travers cette lecture de l’un des plus grands livres du monde. Qu’as-tu pensé de ce recueil ? »
- « C’était merdique
», répondit sans détour le rôdeur fatigué. « Ça passe du coq à l’âne, y a des poèmes mélangés à des contes et des prières où on pige un mot sur deux. Ça parle de gus clamsés depuis des plombes, c’est niais, c’est mal écrit et il n’y a pas de scène de cul. Y a bien quelques personnages trucidés de manière originale pour donner un peu de rythme, mais en général, c’est bidon. D’ailleurs, pour un livre qui prône un message d’amour universel, c’est spécial toutes ces morts crades et ces massacres. En y repensant, c’est même drôlement morbide, c’est l’édition pour extrémiste fanatique non ? »
- « Les Saintes Ecritures sont l’héritage divin offert aux mortels. Et dorénavant ton livre de référence pour le reste de ta vie. Tu le reliras un nombre incalculable de fois et il deviendra la source à laquelle tu abreuveras ton âme. »
- « Ah non, pas question que je me cogne à nouveau ce torche-fion !
» rouspéta le rôdeur. « C’est quoi le plan ? A part par sadisme, pourquoi vous m’avez fait lire ce truc, bon sang ?! »
- « Pour que tu te révèles à toi-même, Aladin. Ta destinée est de devenir paladin. »
- « Ah non, vous n’allez pas vous y mettre vous aussi avec cette histoire de paladin ! C’est Gonzague qui vous a payé pour me vanner là-dessus ? Et puis comment vous connaissez mon vrai nom, c’est elle, ça aussi ? »
- « Je peux lire dans ton esprit et dans ton âme
», rappela le sage, les poings sur ses bourrelets flottants. « Tu fuis ton destin de héros car tu es rongé par la peur et la faiblesse. Tu te mens à toi-même en essayant d’être rôdeur. Au fond de toi, tu sais que tu es fait pour servir les dieux et lutter contre les ténèbres. »
- « Sérieux, entre-nous, vous dirigez une secte, c’est ça ? »
- « Je rendrai ton bras puissant et ce livre sacré renforcera ton esprit et ton cœur. Délivré de ta faiblesse, la couardise n’aura plus d’emprise sur toi. Embrasse ta destinée de serviteur du Ciel et défenseur des Saintes Ecritures. »
- « Je vous préviens que si vous m’obligez à embrasser quoi que ce soit, je hurle très fort et très aigu
», avertit Al en reculant. « J’ai longtemps observé Cyril, je sais faire ! »
- « Cette lecture a émerveillé ton âme et ému ton cœur, pourquoi ne pas le reconnaître ? »
- « Je ne sais pas si j’ai été plus ému au passage où l’autre zouave sacrifie sa fillette malade en l’offrant à une bande de pirates cannibales ou lorsque l’envoyé des cieux est trahi par son frère, poignardé par sa sœur et violé par sa belle-mère pour l’amour de son père céleste. Ce fichu bouquin a moisi mon âme, plutôt ! En plus, y a même pas un seul paragraphe sur le Père Noël…Sans déconner, on le connaît le type qui a écrit ça ? C’est pas crédible une minute son histoire, ça ne marchera jamais. »
- « Les morales de ces histoires reflètent tout ce que tu crains trop de ressentir mais que tu éprouves depuis toujours au fond de toi. Je sais que tu as toujours aspiré à devenir un héros défendant ces valeurs. Tu seras un soldat de dieu, Aladin. »
- « Je ne vois pas en quoi un dieu omniscient, omnipotent et omnivore aurait besoin d’une pauvre tâche comme moi. »
- « Si tu répands sa parole et suis son enseignement, il s’incarnera en toi. De toute façon, autant l’accepter au plus vite, c’est décidé et j’ai hâte de commencer, parce qu’il y a du boulot ! »
- « Une dernière question
», fit Al en levant la main. « Pourquoi vous faîtes ça pour moi ? »
- « Mon truc du monde onirique ne marche que sur les humains et tu es le seul humain de ton groupe, sachant que j’ai plutôt rarement de la visite
», avoua Kauko en haussant les épaules. « La méditation, c’est sympa, mais c’est vrai que c’est d’un chiant à la longue ! »

Al se réveilla en sursaut, bondissant sur ses pieds en hurlant comme un dément, mit quelques instants avant de réaliser que son cauchemar était terminé puis fondit sur un caillou qu’il étreignit passionnément, émerveillé par ce contact avec le monde réel.

- « Qu’est-ce qui lui arrive à votre copain ? » demanda Arzhiel, blasé. « Une fois j’ai rêvé que j’étais amoureux d’Elenwë, j’ai eu la même réaction au réveil. »
- "La Perle Pure !
» s’écria Al en pleine crise hystérique. « Je sais comment vaincre Tynfir et son armée ! Il faut retrouver la Perle Pure qui est dans le saumon dans l’ours dans le loup et dans le dindonneau ! La Perle Pure ! »
- « Vous tenez toujours à ce que je légalise vos herbes folles, fils ?
» interrogea Arzhiel. « Vous avez vu dans quel état ça met les humains ? »
- « Calme-toi, Al
», fit Gonzague en s’approchant du rôdeur agité qui gesticulait dans tous les sens. « Détends-toi bon sang, tu as fait un cauchemar. Calme-toi ou je te mets une beigne ! C’est quoi ce bouquin par terre ? Et cette épée ? On est dans un désert, comment tu as réussi à braquer ce fatras ?! »

Al, fortement perturbé, baissa les yeux sur l’ouvrage des Saintes Ecritures reposant près de sa couche, à côté d’une superbe épée dont la lame abritait le reflet du visage poupon de Kauko. Ce dernier lui adressa un clin d’œil complice qui effraya tant le jeune homme que la peur le fit chuter lourdement sur la statue du sage la faisant brusquement s’écrouler sous son poids.

- « Ce bourrin a détruit la statue du sage ! » hurla Ilurya avec colère. « Tu n’en rates vraiment pas une, Al ! »
- « Ne t’en fais pas, ce n’était plus qu’une coquille vide
», fit la voix de Kauko depuis la lame. « Je me suis incarné dans cette épée pour te procurer la force qui te fait défaut, paladin. Ah, un détail cependant, tu es le seul à me voir et m’entendre. Pour les autres, je ne suis qu’une certes élégante, mais parfaitement banale épée. Evite donc de trop me parler, tu vas passer pour un taré. Enfin, un peu plus qu’habituellement, je veux dire. »
- « Vous…Vous m’avez suivi ?!
» s’exclama Al, apeuré.
- « Heureusement pour toi. A ce sujet, rappelle-moi de te briefer de nouveau sur la Perle Pure. Le dindonneau, je vous jure… »
- « C’est à sa couverture qu’il parle ?
» demanda Arzhiel, stupéfait. « Il est un peu fatigué, non ? »
- « Et comme il me soule, c’est l’heure de la sieste
», grogna Gonzague en s’approchant de son ami, le poing levé.
- « Oh non, pas le monde onirique »…gémit Al avant de retomber, sonné.
- « Impressionnant
», commenta Arzhiel tandis que Al bavait, le nez dans la poussière. « D’aucuns trouveraient ça bizarre, mais j’ai un passif de compagnons boulets dignes de celui-là. Les dieux sont vraiment cruels avec certains parfois ! »

Bilan de la mission :
Al : Lecture de textes sacrés et sacrément chiants +1 (déblocage de la classe Paladin, niveau 1 : sous-bouse apprenti de base)
Vorshek : Gestion des ex -1
Ilurya : Géographie des coins paumés +1
Cyril : Fouille corporelle +1
Gonzague : Anesthésie générale +1
Arzhiel : Improvisation de discours -1
Expérience acquise : Léthargique


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Arzhiel




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MessageSujet: Re: La Saison 5   La Saison 5 Icon_minitimeMer 28 Nov - 21:20

Episode 144 – Le Boulet Volant

Le lourd dragon tournoya au-dessus de la vallée, couvrant les flancs des collines et la cime des arbres de sa gigantesque ombre, avant d’entamer une gracieuse descente une fois la clairière recherchée finalement repérée. La bête déploya ses ailes membraneuses de manière à ralentir et préparer son atterrissage, mais sa queue s’enroula malencontreusement autour de sa patte arrière-gauche au moment de toucher terre et la créature se retrouva cul par-dessus tête au milieu des fourrés. Hjotra, calé jusque là entre ses omoplates, fut propulsé avec force dans les airs. Ronflant furieusement, l’ingénieur ne se rendit compte de rien et ne vit même pas sa monture dévaster la moitié du paysage en essayant de le rattraper désespérément. Le nain acheva sa course entre ses serres, ouvrit un œil, bailla et mal réveillé, urina machinalement sur l’une de ses griffes.

- « Un peu plus et c’était la crêpe fatale, mais nous sommes finalement arrivés en entier, Prince », déclara le dragon en ôtant un chêne déraciné planté dans son naseau.

Hjotra tourna lentement la tête et observa le monstre d’un air embrumé tout en engageant une lutte perdue d’avance avec la dernière goutte.

- « T’es drôlement gras pour un lézard, Prince », répondit-il, ne sachant pas trop quoi dire et croyant à une formule de politesse.
- « Il est à peu près certain que c’est parce que je suis un dragon et non un lézard ou un prince. Le prince, c’est vous, prince. Je vous ai secouru tandis que vous étiez poursuivi par ces bipèdes encapuchonnés au camp de Tynfir, souvenez-vous. On a voyagé quelques jours. Vous vous rappelez ? »
- « Je me souviens qu’après deux jours de vol, j’ai eu froid et faim et qu’avant de me mettre à caner sur place, je me suis mis en hibernation. Comme je ne sais pas ce que tu es, qui tu es et ce que je fous là, dans le doute je vais faire un barbecue. »
- « Les sorciers de vos parents m’ont employé afin d’assurer votre sécurité, ça vous parle ça ? »
- « Mes parents m’ont déshérité trois fois, ont changé de nom, de région et de couleur de barbe pour pas que je les retrouve
», expliqua l’ingénieur en sortant des saucisses de hérisson de sous son tricot. « Je n’ai eu aucune nouvelle d’eux depuis qu’on a changé de monde. »
- « Hum…Il semblerait que vous ayez souffert du manque d’oxygène en altitude
», en déduisit le dragon en allumant le barbecue d’un souffle de narine. « J’ai volé exprès d’une traite pour vous ramener à votre Karak le plus vite possible, mais je dois reconnaitre qu’un léger souci d’orientation a rallongé le voyage de plusieurs jours. »
- « C’est pas le Karak, ça
», signala nonchalamment Hjotra en désignant les bois dévastés. « Sauce fines herbes ou moutarde sur ta saucisse, prince ? »

Troublé par les affirmations du nain et par l’absence significative de montagne, de forteresse, de neige, de nain ou d’odeur de champignons bouillis, le dragon observa les alentours d’un air perplexe avant de se rendre à l’évidence.

- « Gardons notre sang-froid », dit le reptile. « J’ai du faire une erreur quelque part. Aucune importance. Je vais vous téléporter jusqu’à vos parents grâce à la magie, le problème sera réglé. »

Fier de son éclair de génie, le saurien géant fit crachoter quelques flammèches étincelantes de magie entre ses crocs démesurés, susurrant un sortilège si intense que Hjotra s’en servit pour parfaire la cuisson de sa charcuterie. Une voix gronda brusquement tandis que deux silhouettes se dessinaient au milieu de la fumée.

- « …coller un tir nourri de balistes dans son derche osseux à cette grognasse de nécromancienne, si ça ne lui apprend pas à se détendre de la boule de foudre sur mes légionnaires, ça rectifiera au moins un peu sa démarche de tapineuse en fin de soirée ! L’un de mes soldats calcinés m’avait emprunté ma chope favorite, vous vous rendez compte si sa magie dégueulasse l’avait abimé ?! On peut se faire la guerre et avoir un certain respect quand même…Garfyon ? Garfyon ?!...Mais ils sont où tous ? »

Arzhiel surgit du brouillard en toussant et en vociférant, suivi par Elenwë qui embrassa d’un regard plein de dignité Hjotra, son mari, puis le dragon, contempla d’un air toujours noble les environs inconnus et, sans se départir de son expression détachée protocolaire, s’administra une violente lampée d’élixir de plante fermentée en prenant conscience de la situation.

- « Sac à papier ! » jura le dragon. « Ma langue a fourché, j’ai fait venir vos parents au lieu de vous envoyer à eux. »
- « Mais qu’est-ce qu’on fout là ?
» demanda Arzhiel, stupéfait. « Qu’est-ce qu’elle raconte la salamandre obèse ? C’est vous qui … ?! D’accord, je ne veux pas savoir, c’est même pas le truc le plus ahurissant de la journée depuis que j’ai trouvé cette peluche dans la chambre de Svorn. »
- « Arzhiel, je vous présente Voronwë
», lança Elenwë en revissant sa fiole, « dragon des myriades étoilées et pourfendeur des cieux à mon service et celui de mes sorciers, engagé pour assurer la protection rapprochée de Vorshek depuis cette histoire de rapt de troll. »
- « Il faut l’appeler Prince
», ajouta Hjotra en tendant une saucisse fumante à l’elfe, faisant monter la moutarde au nez de cette dernière.
- « Bien sûr, il est là lui », soupira Arzhiel en voyant son ingénieur. « Et Vorshek, il est où ? Derrière un buisson avec une dryade ? Ah non, c’est vrai, le dragon aussi est atteint de boulettitude et a sauvé Hjotra au lieu de Vorshek ! »
- « Vorshek, votre progéniture, est ici
», se défendit Voronwë avec tact en indiquant Hjotra. « Non ? Non ?! Serait-il possible que j’ai confondu ? Saperlipopette, tous ces mammifères se ressemblent tellement, je suis confus. »
- « J’aurais pas mis autant de syllabes
», commenta Arzhiel d’un regard pesant. « On est au beau milieu d’un siège du Karak et l’autre pourfendeur d’essieux nous largue en pleine pampa avec Hjotra en bonus ! Ça faisait au moins depuis hier que je n’avais pas eu une journée aussi pourrie, tiens. Bon, le prince de la magie, je vous donne cinq secondes pour me renvoyer à la maison ou vous ramassez une claque. »
- « Y a pas de lézard
», répondit le reptile conciliant en s’exécutant. « Vous pouvez compter sur moi comme sur un boulier. »
- « J’aurais pas mis autant de i
», marmonna Elenwë en mâchouillant sa saucisse.

Voronwë formula l’incantation d’un autre sortilège qui ne parvint à téléporter Arzhiel qu’en haut du dernier arbre encore debout, pas vraiment assez loin pour être considéré comme réussi, ni assez près pour la baffe promise. Le nain énervé chuta lourdement en essayant de descendre, emportant la moitié du feuillage et des branches avec lui sous les applaudissements sincères de Hjotra, hilare.

- « Non mais vous sortez de cuite, espèce de gros piment ou vous postulez dans mon état-major ?! » pesta le seigneur en raclant les feuilles et les brindilles de son pantalon par poignées entières. « Y a des pied-bouche qui se perdent et je…C’est quoi encore ce cirque ? »

Le nain fronça les sourcils en fixant une masse compacte en mouvement se dirigeant droit sur eux. Lorsqu’il identifia une horde d’animaux sauvages courant dans leur direction, Arzhiel prit précipitamment ses jambes à son cou, s’acharnant pour remonter à son arbre. Elenwë se contenta de léviter pour éviter d’être piétinée tandis que Hjotra, fou de joie, tenta d’administrer un câlin enjoué à chaque bestiole passant à portée.

- « C’est pas moi qui ai fait ça», trouva nécessaire de se justifier Voronwë quand la meute fut hors de portée.
- « Vous croyez qu’ils étaient en colère à cause du barbecue ou parce que leur forêt croustille en ce moment sous nos pieds ? » interrogea Arzhiel, encore sous le coup de la stupeur.
- « Ils étaient effrayés », répondit Elenwë en pointant la direction d’où ils étaient venus. « Sans doute par ceci… »

Une troupe importante de zombies avançait d’une démarche saccadée et implacable, charriant à travers la clairière un vent de mort, de terreur et de puanteur plantaire suffocante.

- « On a vraiment bien fait de s’autoriser un break entre deux assauts sur le Karak pour venir se détendre à la campagne », maugréa Arzhiel, un mouchoir sur le nez, occupé à assembler sa masse de poche en kit. « Le sortilège de la bêcheuse aigrie a du contaminer la région. Restez derrière moi, ma grosse tanche ! »

Elenwë tendit la main vers les mort-vivants et foudroya le premier rang d’un éclair enchanté cinglant comme un fouet.

- « Bon, ben passez devant du coup… »

En ancienne gardienne de bois sacrés, la sorcière obtempéra et déchaîna les éléments contre les horreurs progressant en rangs serrés et souillant la forêt de leur présence. La colère l’emportant lorsqu’un détachement piétina sans ménagement un parterre de pâquerettes de leurs pieds malodorants, elle commença à les transformer en lapins, castors et furets que Hjotra s’empressa de capturer, pour sa ménagerie personnelle.

- « Ils vous débordent par le flanc ! » s’exclama Voronwë, en retrait.
- « C’est vous le flan ! » rétorqua Arzhiel en récupérant les animaux zombies collectés par Hjotra pour mieux les balancer dans le barbecue. « Vous ne vous sentiriez pas un poil tenté de nous filer un coup de patte, Salamèche ? »
- « Je suis contractuellement lié par une obligation d’exclusivité à Vorshek
», s’excusa le dragon d’un air navré. « Souhaitez-vous étendre la garantie aux parents proches et aux amis de la famille…collectionneurs animaliers ? »
- « Et si vos employeurs claquent boulottés par des pécores zombifiés, elle dit quoi d’après vous la clause sur la prime de rupture de contrat, pauvre pignouf des étoiles ?
» grogna le nain en déchaussant quelques dents, mâchoires comprises, à coups de masse.
- « Sornettes ! » persifla le reptile. « Je ne vais ni ramper, ni danser au son de votre flûte, petit mammifère poilu. »
- « Ils sont trop nombreux
», capitula Elenwë, submergée. « Si ça continue, je vais finir par tâcher ma robe. Je vais faire diversion, le temps qu’on s’échappe ! »

La sorcière lança de vives lumières colorées dans le ciel qui, explosant en gerbes à intervalles réguliers, offrirent un magnifique feu d’artifice. Incapables de résister, les mort-vivants se figèrent et levèrent la tête, hypnotisés par le ballet des lueurs éphémères. Arzhiel et Elenwë saisirent l’occasion pour décamper en vitesse, se réfugièrent au cœur de la forêt épargnée, retournèrent chercher par la peau des fesses Hjotra, resté sur place à profiter lui aussi du spectacle, puis repartirent, escortés par Voronwë, volant dans leur sillage.

- « Merci la discrétion avec un croco de deux tonnes accroché en cerf-volant à nos basques ! » ronchonna Arzhiel. « Mais pourquoi vous nous suivez, on va se faire repérer tout de suite ! »
- « T’inquiètes chaussette, j’assure chaussure, je suis protégé par un sort d’invisibilité. Vous êtes les seuls à pouvoir me voir. »
- « Ce sont des zombis mangeurs de chair fraîche, avec ou sans écaille
», fit remarquer Elenwë en se pomponnant. « Votre sort est inutile, ils se guident à l’odeur. »
- « C’est le ver de trop, je suis saoulé, Voronwë
», tempêta Arzhiel. « J’en ai ras la couette d’avaler vos couleuvres. Retournez pondre vos œufs au lieu de nous casser les nôtres. Avec de la chance, les zombis vous suivront et nous ficheront la paix. »
- « Vous me virez ?
» s’offusqua le dragon, médusé. « Fort bien ! Après tous les efforts que j’ai fait pour sauver votre…ingénieur animalier ! Même pas je suis vexé. Mais vous comprendrez que je suis dans l’obligation d’annuler tous mes sortilèges vous concernant. »
- « On en reparle lors de votre pot de départ ? Maintenant, il faut rentrer chez vous, hein ? A votre place je m’en irai ventre à terre avant d’essuyer une calotte !
»

Le nain s’avança en levant une main menaçante juste au moment où le reptile mercenaire annulait ses enchantements. Le sort de téléportation supprimé renvoya aussitôt Elenwë et Arzhiel à leur point de départ, dans la salle du trône, au Karak. Le seigneur nain, emporté par son élan, étala une vieille servante passant là de la large baffe plusieurs fois promise, sous les yeux hébétés de toute la cour.

- « Hein ? Ah…euh… » fit ce dernier en voyant la vieillarde sonnée. « Et que la soupe soit servie à l’heure la prochaine fois ! D’abord ! »
- « Seigneur, tout va bien ?
» s’enquit Garfyon en approchant en garde haute, par prudence. « Dame Elenwë ! Vous êtes transpirants et vos habits sont en bien mauvais état…Seriez-vous tous deux partis pour…en pleine bataille…pendant que vos soldats meurent sur nos murailles ?! »
- « Justement
», répondit Elenwë en se recoiffant d’un air mutin. « Il faut bien commencer à repeupler. »
- « Langue de vipère
», grommela Arzhiel. « Entre ça et votre brillante idée d’engager le boulet écailleux, rappelez-moi de m’occuper de votre cas ce soir. »
- « Nous pensions tous que c’était déjà fait
», commenta Garfyon d’un ton glacial tandis que la cour lançait des regards noirs au seigneur las.

Arzhiel, dépité, chercha ses mots pour clarifier la situation avant qu’elle ne s’envenime davantage puis, y renonçant, alla se lover sur son trône. Sentant quelque chose bouger dans sa sacoche, il en ressortit un lapereau-zombie qu’il s’empressa de jeter contre une colonne avant de broyer sa carcasse sous son talon.
Lourdement pénalisé par les votes de la partie elfe outrée de son conseil des ministres, il fallut quatre jours de geôle à Arzhiel pour convaincre la cour de le libérer.

Bilan de la mission :
Arzhiel : Popularité plébéienne -1
Hjotra : Allumage de feu en milieu sauvage +1, pistage et piégeage d’animaux de la forêt +1 (déblocage de la compétence scoutisme niveau 1)
Elenwë : Spectacle artificier en plein air +1, Ressources Humaines (et draconiennes) -1
Expérience acquise : Piètre
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